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Le retour du Tigre

En avril 2019, Tiger Woods remportait le Masters sur le domaine mythique d’Augusta National. Sa première grande victoire après onze ans de misères en tout genre. Reconstruction de l’un des plus beaux come-backs de l’histoire du sport.

« Où étais-tu au moment où Tiger Woods a gagné le Masters en 2019 ?  » N’importe quel amateur de golf, n’importe quel Américain fan de sport peut répondre sans peine à cette question. Pour vous dire à quel point le moment a été important. Ce jour-là, soit onze ans après sa quatorzième victoire dans un tournoi majeur, l’US Open 2008, le Tigre refrappait enfin très fort. Entre les deux, une terrible traversée du désert. Sportive et privée. Que ce soit clair : Woods est le plus grand golfeur de l’histoire. Pas en nombre de victoires dans les plus grands événements – Jack Nicklaus fait toujours la course en tête – mais bien au niveau de l’impact sur son sport.

On est en 1997. Tiger Woods devient, à 21 ans, le plus jeune vainqueur du Masters. On parle de révolution. Il lance la globalisation et la commercialisation du golf à grande échelle. Mais pas uniquement. Sur le plan purement sportif, il démontre que cette discipline devient plus athlétique. Aujourd’hui, ça semble simplement normal que les golfeurs passent des heures à la salle de muscu et soient entourés d’une équipe XXL (un psy, un diététicien, un coach de fitness). Mais à la fin des années 90, quand Woods a commencé ce régime, il est clairement un pionnier. En plus, il est Afro-américain. Encore une révolution.

Grâce à son image parfaite, superbement mise en scène par Nike, ce Californien, fils d’un vétéran du Vietnam, a su inspirer plusieurs générations. Parce que Tiger Woods rassemble une tonne de qualités au-dessus de la moyenne : des atouts athlétiques, une mentalité de tueur, un talent hors-normes, le sens des affaires,…

Si on prend le plateau des meilleurs golfeurs du globe aujourd’hui, on y trouve pas mal de gars qui avaient Woods comme idole quand ils étaient gamins. Prenez Thomas Pieters et Thomas Detry. Il y a quelques mois, Detry nous confiait :  » Tout le monde était super content de son come-back à Augusta National. La vraie idole de la jeune génération, c’était lui. Je pense que c’est aussi comme ça pour la génération plus âgée. Il a modifié le golf. Sur le plan du sport et sur le plan commercial.  »

The toughest bastard

Dans le milieu, parmi toutes ses qualités, on s’attarde d’abord sur son instinct de tueur.  » He’s the toughest bastard who ever played the game « , a lancé Rick Beem, un commentateur bien connu, dans le magazine Golf Digest. Le pire salopard de l’histoire du golf, carrément ! L’homme ajoute :  » On dit qu’il est devenu moins tueur entre-temps mais il faut prendre ça avec des pincettes.  »

Tiger Woods est le fils unique d’un militaire extrêmement sévère. Ça expliquerait en partie sa personnalité égocentrique. Thomas Pieters confirme, après en avoir déjà parlé avec des collègues :  » Quand il était au sommet, il était intimidant. Tu n’avais pas trop envie d’être dans ses parages. Il impressionnait par ses performances et aussi par son regard de tueur.  »

Pendant les compétitions, il est tellement concentré qu’il ne s’autorise aucun échange verbal avec ses adversaires. Et il exerce une vraie fascination sur les spectateurs. Chaque fois qu’il réussit un beau coup, le public est aux anges et le fait sentir par ses réactions, ce qui intimide encore un peu plus la concurrence. Dans ces moments-là, ils comprennent : Tiger is coming. On a de nouveau vu ces scènes l’année dernière quand il a remporté le Masters.

Ce côté sombre du Tigre a été subitement épinglé dans les médias, fin 2009, quand on a eu connaissance de ses écarts conjugaux. On a parlé d’addiction au sexe. Comme si sa réputation l’autorisait à ne plus respecter les valeurs de notre société.  » Je pensais que toutes ces règles n’étaient pas faites pour moi « , a-t-il avoué lors d’une douloureuse conférence de presse, début 2010.

Des problèmes de dos ont continué à précipiter sa chute. En 2014, il a subi une première opération, pour éliminer une hernie. Il y a eu, par la suite, trois autres passages sur le billard. Pour les analystes, c’était clair : Tiger Woods ne reviendrait plus jamais au plus haut niveau. Ses douleurs au dos et dans les jambes ont fait de lui un accro aux antidouleurs. Et on a vu les effets indésirables de cette consommation effrénée en mai 2017 quand il s’est fait arrêter par la police, à moitié endormi au volant. Ces images d’un Tiger Woods drogué ont immédiatement fait le tour du monde. Là, il touchait plus que jamais le fond. Et il s’est retrouvé en dehors du top 1.000 mondial !

The Tiger is back

L’année 2018 a été celle de sa résurrection, après une quatrième intervention chirurgicale, la pose d’une prothèse cervicale et une adaptation de son style. Une sixième place dans un grand tournoi (The Open), une deuxième au PGA Championship et la victoire dans la Ryder Cup avec la sélection américaine, annoncent la cerise sur le gâteau pour 2019. À savoir un succès dans un tournoi majeur. Et c’est venu sur le parcours mythique d’Augusta National, là où tout avait commencé pour lui en 1997.

Ce jour-là, il était tombé dans les bras de son père après avoir triomphé. 22 ans plus tard, après une nouvelle consécration sur le même site, il a sprinté vers ses enfants, Sam et Charlie. Tout heureux d’avoir fermé le clapet de tous ceux qui l’avaient démoli entre-temps. Et tout heureux, surtout, de pouvoir montrer à ses gosses que papa est un champion.  » Ils ont vu tous les dégâts que le sport a causés à mon corps et ils ne voulaient plus que je continue à souffrir. Pouvoir leur montrer maintenant que je vis à nouveau le bonheur que j’ai vécu pendant des années, c’est ce qui me rend le plus heureux.  »

C’est le genre d’histoire, le type de come-back improbable dont le peuple américain raffole. À 44 ans, Tiger Woods est toujours le golfeur le plus populaire du monde. Le mieux payé aussi. Il lui reste deux objectifs, pour lesquels il va continuer à combattre ses douleurs physiques : le record de victoires en tournois majeurs détenu par Jack Nicklaus (18) et une participation aux Jeux Olympiques, qui ont inscrit le golf à leur programme en 2016.  » Tokyo sera ma dernière chance « , a, déjà, dit l’Américain l’année dernière. Le report, dû à la crise mondiale du coronavirus, semble à la fois une bonne et une mauvaise chose pour lui. Une mauvaise dans le sens où il aura 45 ans en 2021, et c’est vieux dans un sport qui fait toujours plus la part belle aux plus jeunes. Mais une bonne dans la mesure où il a de nouveau connu des problèmes de dos ces derniers mois, ce qui l’aurait probablement empêché de faire des perfs dans l’immédiat. La PGA a décidé qu’on ne jouerait plus au golf avant fin mai. Le Masters a été reprogrammé à la mi-octobre. Ça va lui permettre de laisser reposer la charpente.

Il se concentre maintenant sur Tiger Woods Ventures, son empire commercial avec lequel il offre, pour l’instant, un soutien (technique) pour l’enseignement à domicile. Et également sur un match de charité contre Phil Mickelson, plus tard ce mois-ci. Un duel de prestige, sans public, qui sera retransmis en direct à la télévision et qui devrait rapporter de l’argent pour, entre autres, la lutte contre le coronavirus.

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