Le retour du libero

L’Amérique latine a opté pour trois défenseurs centraux, avec succès au premier tour. Les Pays-Bas et l’Italie ont adopté le système. La conclusion tactique de ce Mondial ? Le libero est de retour ! Même s’il y a d’autres chemins vers le succès.

C’est le Mondial du contre.  » Arsène Wenger a résumé la situation d’une phrase. Le manager d’Arsenal fait également office d’analyste de la télé française, histoire de rester en phase avec les évolutions tactiques.

Joue-t-on vraiment le contre, réagit-on plutôt que d’agir ? Parfois, comme les Pays-Bas contre l’Espagne et le Chili mais pas contre l’Australie ni le Mexique. Le Brésil a réagi face à la Croatie, l’Allemagne a usé de cette arme pour mater le Portugal puis, plus difficilement, l’Algérie. La Belgique a misé sur l’action puis sur la réaction. La Colombie a dominé et joué verticalement.

Le libero a effectué son retour. L’Uruguay a procédé avec trois défenseurs centraux dont un libre, comme le Costa Rica. C’est la marque de fabrique du Chili depuis sept ans et le Mexique y a eu recours. Avec des nuances, Louis van Gaal s’y est prêté, comme l’Italie dans son ultime match de poule contre l’Uruguay. L’Argentine a fait de même une fois, pendant une mi-temps, puis les joueurs ont fait fi des consignes d’AlejandroSabella. Au Brésil, Luiz Gustavo joue un peu dans ce registre, même s’il est plutôt médian. C’est peut-être ce qui fait coincer la Seleçao. Oscar, Neymar, Fred et Hulk sont des avants, Luiz Gustavo fait le ménage devant la défense et agit de facto comme troisième défenseur. Paulinho (ou Fernandinho) a donc dû porter tout le poids de l’entrejeu.

Des backs volants

Tout l’art consiste à trouver des brèches et à en priver l’adversaire. Le libero classique à la Franz Beckenbauer a disparu il y a deux décennies, de plus en plus d’équipes procédant avec un seul avant soutenu par un médian offensif. Il y avait trop de monde derrière et un homme trop peu dans l’entrejeu. Le libero s’est donc mué en médian défensif voué à la neutralisation du numéro dix classique. En possession du ballon, il relance l’attaque.

Puisque tout le monde aligne un seul avant, pourquoi est-il de retour ? Sur papier, c’est une option plus prudente et donc compréhensible. Vous êtes-vous demandé pourquoi le match Pays-Bas-Chili était si ennuyeux en première mi-temps ? Ou Pays-Bas-Mexique, ou Uruguay-Italie ? Parce qu’un trio central octroie plus de sécurité. Un défenseur s’occupe de l’avant, le deuxième couvre et le troisième soutient le médian offensif. Les arrières latéraux parachèvent la couverture. Le jeu est paralysé.

Pourtant, le premier tour a produit beaucoup de buts. Pourquoi ? Ce système est intéressant quand une équipe est en possession du ballon. Il s’agit d’avoir deux arrières très offensifs. Si AnthonyVanden Borre ne s’était pas blessé, Marc Wilmots aurait pu passer à cette tactique. Le Brésil encore plus nettement si Dani Alves et Marcelo avaient été en meilleure forme. Scolari a constamment hésité, rebuté par la bonne première mi-temps de la Croatie : parfois trois, parfois pas. Les arrières, qui sont le tendon d’Achille de l’équipe à cause de leur tempérament offensif, courent avec le frein à main. C’est difficile et donc, ils disputent un mauvais tournoi.

3-4-3 et 3-5-2

Le Costa Rica s’y est pris autrement. Junior Diaz a arpenté le flanc gauche de bout en bout. Ce système lui convient mieux que le quatuor défensif du Club Bruges. Sur les flancs, le Mexique disposait de deux joueurs libres, MiguelLayun et Paul Aguilar. Maxi Pereira a fait basculer le match contre l’Italie au profit de l’Uruguay. DirkKuyt s’est révélé à l’arrière gauche dans ce système de jeu.

Il faut donc avoir des arrières latéraux offensifs et un libéro doté d’un bon passing pour exploiter ces brèches. C’est comme ça que le Mexique a pallié les carences de Rafa Marquez, qui vieillit. Il a joué un bon tournoi jusqu’à ce qu’il croise la route d’ArjenRobben. L’homme au long ballon peut aussi camper dans l’entrejeu. Contre l’Espagne, les Pays-Bas ont découvert la longue passe de DaleyBlind, brillant dans le rôle de chasseur comme de passeur.

Le système présente un autre avantage, comme l’ont remarqué les Pays-Bas mais pas dans la version chilienne (3-4-3 en possession du ballon) : ils jouent plutôt en 3-5-2 en laissant un rôle libre à Robben et à RobinVan Persie. Ils peuvent se mouvoir partout. Un atout avec la vitesse de Robben. A un moindre niveau, Edinson Cavani et LuisSuarez ont eu cette latitude avec l’Uruguay, de même que JoelCampbell pour le Costa Rica.

Complémentarité et…

Les Mexicains OribePeralta et GiovaniDos Santos ont profité de cette liberté. Le Chili, lui, préfère un système plus rigide et a été moins dangereux : il place la pression haut mais dépend plus de la condition des joueurs. S’ils coincent, comme contre le Brésil, ils ne sont plus menaçants. D’autres formations ayant opté pour trois arrières, comme l’Italie, l’Uruguay, les Pays-Bas et certainement le Costa Rica, ne permettent pas à l’adversaire de trop descendre et conservent ainsi leur fraîcheur.

Il faut dégager des espaces pour les meilleurs. Nous n’avons pas été surpris que la presse brésilienne commence à spéculer sur un changement de système, en s’appuyant sur les entraînements de la Seleçao. Avec Fred sur le banc et plus de liberté pour Neymar, à la Robben. Ou comme Lionel Messi au Barça. Sur papier, on pouvait suivre l’idée de Sabella contre la Bosnie : GonzaloHiguain n’était pas en forme mais en alignant un défenseur de plus, il dégageait des espaces pour Messi près de SergioAgüero. Il a échoué parce que la Bosnie a mis le verrou et que l’Argentine ne dispose pas de talents offensifs à l’extérieur. MarcosRojo, l’arrière gauche, suspendu contre la Belgique, est un défenseur central de formation. Tout est question de complémentarité. Le Néerlandais PaulVerhaegh n’a pas conféré de profondeur au jeu contre le Mexique, qui a pu se concentrer sur Robben.

Flexibilité

En optant pour un trio central, les Pays-Bas ont rompu avec leur tradition, même si Van Gaal n’a cessé de répéter que son choix n’était dû qu’au forfait du médian défensif Kevin Strootman.

Cette tactique n’a pas empêché nos voisins de faire la différence contre le Chili et le Mexique, après être passé à… quatre défenseurs. Après le but du Mexique, Verhaegh a été remplacé. Kuyt a changé de flanc, passant à droite, et l’équipe a procédé en 4-2-3-1 avec Klaas-Jan Huntelaar dans le rôle de finisseur dans le rectangle, tandis que Robben retrouvait l’aile droite.

Conclusion : le libéro est de retour dans six ou sept équipes mais son registre varie. L’exemple des Pays-Bas démontre qu’il faut une certaine flexibilité pour renverser un match mais l’alternative est intéressante, défensivement mais aussi parce qu’elle peut amener des buts si d’autres conditions sont remplies : des backs offensifs et un homme doté d’une longue passe.

PAR PETER T’KINT À SALVADOR

Les Latino-Américains ont donné le ton. Et la plupart des autres ont suivi.

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