Le réseau Duchâtelet

Le président du Standard a tissé une véritable toile sur l’Europe. Quels sont les objectifs de ces clubs ? Quelles seront leurs interactions ? Et comment le réseau se construit-il ?

De Floyd Road, on aperçoit la masse et les tubes métalliques qui soutiennent l’armature du stade de Charlton, en contrebas. Au nord et au sud, les routes montent, dégageant un panorama presque imprenable sur The Valley, l’antre des Addicks qui doit justement son nom au fait de sa position dans une cuvette.

Ici, on n’est plus vraiment à Londres mais dans le borough de Greenwich, au sud-est de la capitale anglaise, là où la Tamise sillonne vers la mer, à quelques kilomètres seulement du fameux observatoire.

Le quartier est bigarré, ni bourgeois, ni modeste.  » On est ici comme dans un village « , explique Paul, supporter de Charlton depuis 60 ans.  » Charlton est un club familial. C’est un peu sa marque de fabrique. Ici, il n’y a jamais eu de hooligans. Et on en est fier.  »

Le stade a tous les atours de ceux de Premier League, même s’il évolue en Championship aujourd’hui. D’une capacité de 28.000 places, il incarne l’âme de Charlton, plus qu’ailleurs.

 » Charlton a un potentiel pour grandir « , observe RichardCawley, journalisteauSouthLondonPress.  » L’affluence a baissé depuis que les Addicks ont quitté l’élite mais une montée éventuelle conduirait à retrouver un Valley sold-out. Il n’y a pas l’ombre d’un doute.  »

Lorsque Roland Duchâtelet décide de s’intéresser à ce club, il s’attaque à un géant endormi, quasiment aux abois sur le plan financier, et entraîné par une légende locale, Chris Powell, dernier international anglais à avoir porté les couleurs de Charlton, et qui avait renforcé son propre statut légendaire en faisant remonter le club en Championship.

Roland the rat

 » Les supporters ont applaudi son arrivée car ils commençaient à craindre une faillite « , se rappelle Cawley. Pourtant rapidement, les fans se posent des questions sur ce businessman belge qui ne communique que trop peu à leur goût et qui, quand il le fait, commet quelques maladresses comme lorsqu’il annonce que certains joueurs de Charlton pourraient se retrouver au Standard.

 » On a eu peur que Charlton n’ait aucun avenir et ne serve uniquement de feeder club « , explique Paul. Autre maladresse : le renvoi de Powell. Ce limogeage, pas du tout scandaleux au vu de la dernière place du club à ce moment-là, intervint après une élimination en Cup et un parcours particulièrement réussi puisque les Addicks avaient atteint les quarts de finale de l’épreuve.  » En le limogeant le lendemain de l’élimination, il donnait l’impression qu’il ne mesurait pas l’exceptionnel parcours du club dans cette épreuve.  »

Les supporters se déchaînent et affublent le nouveau président d’un sobriquet peu avenant (Roland the rat), les éditorialistes des journaux nationaux généralement peu intéressés par Charlton suivent le mouvement.  » Roland Duchâtelet est un homme avec un plan. Malheureusement, c’est un plan méchant, qui va horrifier ceux qu’il est censé impressionner. Duchâtelet a frappé au coeur même du mouvement de résistance. Il a renvoyé son manager, Chris Powell (…) considéré ici comme un héros.

Le crime de Powell ne réside pas dans la position au classement, les éliminations en Coupe ou le développement. Il a simplement mis en doute la stratégie de Roland Duchâtelet qui est de faire de Charlton aussi peu qu’un club satellite pour le Standard de Liège. Duchâtelet suce un grand club anglais et veut n’en faire qu’un dépotoir ou une chaîne de production bon marché. Et l’UEFA observe cela sans rien dire. Ça empeste « , écrit Martin Samuel, éditorialiste pour le Daily Mail.

 » On ne peut s’empêcher de penser que le licenciement de Powell est symptomatique de la volonté d’un nouveau propriétaire étranger de gommer les principes établis et les traditions d’un club fier, sans aucune pensée pour les supporters. Charlton est face à une crise d’identité. Le sentiment qui prévaut est que le nouveau propriétaire sait tout mieux que quiconque. Il semble que ses réflexions financières usurpent les lois du football « , ajoutait James Olley, chef sport du London Evening Standard.

La marionnette du président

Dans ce climat délétère, à 16 matches de la fin et alors que Charlton occupe la dernière place – mais avec 5 matches de moins que ses concurrents ! -, Duchâtelet nomme José Riga comme nouvel entraîneur (récemment remplacé par Bob Peeters). Traité  » de marionnette du président  » et mal perçu par des fans, juste parce qu’il succède à l’icône locale, Riga reste calme. Les faits lui donnent raison. Trois mois et 16 matches plus tard, Charlton est sauvé grâce à un excellent bilan de 7 victoires (le précédent manager n’en avait engrangé que six en 30 matches !), 3 partages et six défaites.

Pendant trois mois, Riga n’a quasiment rien vu de Londres, naviguant entre le centre d’entraînement, le stade et Bexleyheath, quartier sans grand charme de l’est de Londres. C’est là, dans un hôtel du coin où il a élu domicile que Sport/Foot Magazine l’a rencontré.  » Je n’ai vu le centre de Londres que deux à trois fois « , dit-il. Il n’était pas venu pour faire du tourisme mais pour redresser un club qui, bien qu’il avait quelques matches de retard, filait du mauvais coton et avait atteint le fond de la Championship, cette D2 anglaise, marathon au long cours de 46 matches (il y a 24 équipes !).

Pendant trois mois, Charlton a enchaîné les matches tous les trois jours.  » Quand je suis arrivé, j’ai regardé le calendrier et là, j’ai vu l’ampleur de la tâche « , continue Riga.  » Je suis arrivé dans des conditions difficiles et je devais disputer mon deuxième match contre Millwall, dans le derby. Je me suis tout de suite dit que si on devait jouer tous les matches à l’arraché, sans consistance dans le jeu, on allait finir par craquer.

Or, comme je ne disposais pas d’attaquants capables de faire le boulot seul sur le plan offensif, c’est toute l’équipe qui devait s’y mettre. Donner l’impression d’avoir de l’emprise sur le match était également une très bonne manière de faire grandir l’équipe. J’ai aussi misé sur des joueurs qui n’avaient pas reçu leur chance.  »

Au fur et à mesure que les points se mettent à tomber, les critiques des fans se taisent. Duchâtelet a réussi son pari et Riga a séduit The Valley.  » Nous avons perdu un manager populaire mais il faut bien reconnaître que nous avons progressé au niveau du football. Riga va dans la bonne direction ; il reste toujours très digne et cela nous plaît « , ajoute Paul.

Le sauvetage a rassuré les gens mais tant les journalistes que les supporters demeurent sur leurs gardes.  » Le président est un businessman. Il est là pour faire de l’argent « , dit Paul. Cawley ajoute :  » Ce qu’a fait Riga relève du miracle. On attend véritablement les transferts de l’été pour tirer des conclusions définitives sur la politique présidentielle car cette équipe a besoin d’être renforcée pour ne pas lutter contre la relégation la saison prochaine.  »

Dirigé par une juriste de même pas 30 ans

Un peu plus haut dans les bureaux, on ne l’entend pas nécessairement de cette oreille. C’est là que Katrien Meire, nommée CEO de Charlton à la reprise du club par Roland Duchâtelet, a pris ses quartiers. A bientôt 30 ans, la voilà donc aux commandes d’un  » sleeping giant «  comme elle le reconnaît.

 » Notre objectif est d’améliorer l’équipe afin d’en faire une force vive de Championship et voir comment il faut investir pour atteindre ce but. Et si jamais on a une occasion de monter en Premier League, on ne s’en privera pas mais l’état actuel du club ne nous permet pas encore de rêver à cet objectif. Ce ne peut être qu’un but à long terme « , précise-t-elle. Car, Duchâtelet ne compte pas investir sans raison dans le club londonien.

 » Nous disposons d’un des plus bas budgets de Championship. Pour le moment, les salaires nous coûtent 7,5 millions d’euros par an, là où d’autres équipes dépensent de 18 à 36 millions. Et on ne veut pas participer à l’inflation, au risque de nous retrouver en difficultés financières. C’est pour cette raison qu’actuellement, il y a beaucoup d’équipes de Championship à vendre.  »

Mais quelle est donc l’ambition du président du Standard envers Charlton et comment l’équipe mise en place compte-t-elle remplir ses objectifs ?  » On ne veut pas, comme la plupart des autres équipes, disposer d’un noyau de 40 joueurs « , continue Meire.  » On veut que chaque membre du noyau reçoive une réelle opportunité de jouer. Nous voulons également puiser dans notre Académie et montrer aux jeunes que chez nous, ils recevront une chance, ce qui n’est pas nécessairement le cas à Tottenham, Arsenal ou QPR.  »

Limiter les salaires en réduisant le noyau et jouer la carte des jeunes, voilà donc les deux premiers piliers de la politique mise en place.  » Sur papier, c’est séduisant « , dit Cawley,  » mais si tous les noyaux de Championship sont pléthoriques, c’est qu’il y a des raisons. Une d’elles est certainement le nombre de matches et donc la répétition des efforts que cette compétition requiert.  »

Quant à la place de Charlton dans le réseau, elle reste vague.  » Les fans nous ont critiqués mais ils ne nous ont pas bien compris « , conclut Meire.  » On va parfois utiliser le réseau mais il faut bien comprendre que ce réseau ne constitue pas une pyramide. Roland Duchâtelet considère ses clubs comme ses enfants. Et pour lui, chaque entité a sa propre vie.  »

Deux avantages d’Alcorcón : Madrid et la Liga

À trente minutes du centre de Madrid, la tranquille Alcorcón a tout de la banlieue sans histoires. S’il ne domine pas le paysage, souffrant de l’ombre imposante des nombreuses entreprises qui ont pris leurs quartiers à proximité, l’estadio San Domingo est sans doute la seule escale qui en vaille la peine pour tout promeneur qui s’attarde à longer l’interminable avenida Pablo Iglesias, balayée par un vent piquant qui chasse l’odeur des gaz d’échappement.

Presque dissimulée derrière un modeste portique d’entrée décoloré et altérée par un tag protestant contre les politiciens locaux, l’enceinte n’a pourtant rien à envier à une bonne partie des stades de notre Pro League, avec de modestes mais modernes tribunes pour entourer une pelouse impeccable.

Dans les travées du San Domingo, une affiche rappelle l’heure de gloire du club local, dont le nom avait résonné pour la première fois aux oreilles européennes un soir d’octobre 2009, à l’occasion d’une victoire retentissante en Copa del Rey face au grand Real Madrid. Un succès 4-0 qui, cinq ans plus tard, a été ravivé dans les mémoires belges par la figure d’un Roland Duchâtelet qui a décidé d’ajouter le club amarillo de la banlieue madrilène aux symptômes de sa fièvre acheteuse.

Mais que vient donc chercher Roland Duchâtelet dans l’un des clubs les plus modestes de la Segunda division ? Fidel Castrejón, qui reçoit sourire aux lèvres dans son rudimentaire bureau de responsable de presse aux murs d’un jaune douteux, énumère :  » Premièrement, Alcorcón est à Madrid. Madrid est la capitale de l’Espagne, c’est une belle vitrine pour tout le monde. Ensuite, c’est un petit club, et surtout un club sain, qui n’a pas de dettes. Et enfin, la deuxième division espagnole est une compétition très importante. C’est l’un des dix championnats les plus puissants d’Europe.  »

Immédiatement, une question se pose : pourquoi un club qui n’a pas de dettes est-il à vendre ? Ce sont Quique Rubio et Aimara Garteizgoxeascoa, journalistes pour le quotidien AS, qui nous apportent la réponse dans un café où le fanion du club local cohabite avec les maillots du Real Madrid :  » Le problème d’Alcorcón était un souci de capital social. En gros, il fallait juste sortir un peu plus de quatre millions d’euros, les mettre sur un compte auquel personne ne touche, et augmenter ce capital chaque année.

C’est un club très bon marché. Et en Espagne, c’est compliqué de trouver un club qui n’a pas de dettes. S’il veut utiliser Alcorcón comme une vitrine pour ses joueurs, comme on l’a entendu dire, il s’en fout que le club soit plus ou moins grand, avec plus ou moins de public. Il faut juste être dans un championnat qui se voit. « 

 » Duchâtelet ne vient pas à Alcorcón pour spéculer  »

Et si, en plus de faire des affaires avec ses joueurs, le président du Standard profitait de sa nouvelle présence à Madrid pour faire des affaires tout court ? Fidel Castrejón est sceptique :  » À Alcorcón, il n’y a rien(il rit).  » Difficile de lui donner tort. L’abandon du projet Eurovegas, qui avait choisi la ville de banlieue pour implanter son Las Vegas européen, a tué dans l’oeuf une belle opportunité d’essor économique.

Un retournement de situation qui a fait fuir les concurrents mexicains de Duchâtelet, qui voulaient également racheter Alcorcón. Mais Roland, lui, est resté. Uniquement pour placer ses joueurs ?  » C’est vrai que c’est une ville avec beaucoup de terrains pour une croissance industrielle « , concède Castrejón.  » Il y a Ikea, Mediamarkt, quelques multinationales, et l’intention d’en faire venir plus. Mais Alcorcón, ce n’est pas un endroit pour gagner de l’argent.  »

Roland Duchâtelet vient donc s’asseoir à la table de ce grand conseil d’entreprise qu’est le football espagnol. Et contrairement à ce qu’on pourrait penser, le nouveau président de la  » fiebre amarilla  » ( » la fièvre jaune  » en VF, le surnom du club) est plutôt bien accueilli par les habitués de l’estadio San Domingo. Grâce à l’impopularité de son prédécesseur, d’abord.

 » Le dernier président du club avant l’arrivée de monsieur Duchâtelet était l’ancien trésorier. Il n’était pas très aimé du public local, notamment parce qu’ils le soupçonnaient d’avoir poussé vers la sortie son prédécesseur, qui était une véritable célébrité locale « , explique Aimara Garteizgoxeascoa.

Fidel Castrejón confirme que, même au sein du club, le portefeuille de clubs du nouveau président rassure :  » Nous pensons que ce n’est pas quelqu’un qui vient ici pour spéculer. Il vient pour faire grandir Alcorcón. Avec lui, on parle d’investissement, de croissance progressive et de tranquillité.  »

Les paroles sportives de la première conférence de presse de Roland Duchâtelet en Espagne tournaient effectivement autour des mots  » croissance progressive  » et  » stabilité « . Rassurant, pour un club qui tutoie un peu trop la zone rouge pour sa troisième saison en Segunda, après deux années  » hors-normes  » qui ont amené le club en play-offs, à quelques centaines de minutes d’une incroyable promotion en Liga.

Mais un an plus tard, l’heure est au maintien. Et nouvel investisseur ne rime pas avec folie des grandeurs :  » Avoir joué les Play-offs, c’est quasi un miracle. Le club a l’un des plus petits budgets du championnat. Maintenant, on veut surtout consolider notre place en Segunda. Plus vite tu montes, et plus vite tu redescends  » détaille Fidel Castrejón.

 » Duchâtelet n’est pas arrivé à Alcorcón comme un touriste  »

Les arrivées hivernales de Dudu Biton et Guillermo Mendez ont quelque peu perturbé la routine des banlieusards. Voir débarquer ces joueurs en méforme a fait grincer des dents Miguel Alvarez, entraîneur de la  » fiebre amarilla  » au moment de l’arrivée de Duchâtelet. Mais quelques jours plus tard, c’est le coach qui a été sommé de faire ses valises.

De là à y voir une intervention d’un nouveau président désireux d’enlever les bâtons qui pourraient se glisser dans ses roues, il n’y a qu’un pas, que Fidel Castrejón refuse de franchir :  » La décision est revenue à la direction sportive. Ils ont pensé qu’il y avait besoin d’un changement, et ils l’ont dit à Roland qui leur a fait confiance. Ça n’a rien à voir avec sa venue.  »

José Bordalás, le nouveau mentor d’Alcorcón, a intégré l’attaquant israélien qui sort de plus en plus souvent du banc de touche en fin de rencontre. Mendez, par contre, reste hors des sélections dominicales.

 » Il ne vient pas ici dans le but de tout changer « , explique Castrejón.  » La première chose qu’il a faite, c’est de s’intéresser aux gens, à la manière dont on travaille. Il a parlé à chacun directement, et d’égal à égal, sans imposer ses vues. Évidemment, il voudra changer des choses, mais il ne nous brusque pas, il nous laisse travailler tranquillement.  »

Une liberté d’action qui s’accompagne d’un suivi quotidien de l’activité du club, comme le décrit à nouveau le responsable de presse d’Alcorcón :  » Roland s’informe tous les jours par téléphone. Il est au courant de tout. Il connaît le championnat, l’équipe. Il n’est pas arrivé ici comme un touriste, sans rien savoir.  »

Ujpest, premier laboratoire

Après Londres et Madrid, nous prenons la direction de Budapest. Ujpest est le premier club à avoir rejoint la galaxie de Roland Duchâtelet. Officiellement, il n’est d’ailleurs pas à lui. Il appartient à son fils Roderick qui le gère comme le véritable propriétaire et en Hongrie, on ne parle que de Roderick. C’est à peine si on connaît son père Roland.

Pourtant, les échanges fréquents entre Ujpest (prononcez Ouïlpest), le Standard et Saint-Trond ne permettent pas d’avoir des doutes : Ujpest fait bien partie du réseau Duchâtelet. Et Roland ne s’en cache pas vraiment, lui qui propose à tous les jeunes du Standard de parfaire leur écolage à Ujpest.

Pourtant, la Hongrie n’a pas spécialement bonne réputation. Ujpest sonne comme un nom barbare et peu de gens savent que ce club fait partie de la banlieue de Budapest, ville magnifique, qui offre une certaine qualité de vie le long du Danube.

Douze kilomètres séparent le centre-ville du club. Le stade est assez moderne (davantage que certains clubs de D1 belge) et entouré par quelques chancres industriels. General Electric a une usine dans le coin. Si Ujpest ne semble pas familier aux oreilles belges, on parle tout de même d’un club historique de Hongrie.

 » Il s’agit du plus vieux club de Hongrie encore en existence « , explique Daniel Galambos, journaliste à Nemzeti Sport.  » Fondé en 1885, il s’agit du 3e club le plus titré du pays et du 2e plus populaire derrière son grand rival, Ferencvaros.  » Club de la police, financé par le ministère de l’intérieur lors de la période communiste, il a dû trouver de nouveaux financements à la sortie du communisme. D’où un certain déclin depuis 20 ans, le dernier titre remontant à 1998.

De l’intérieur, le stade paraît cosy, avec des tribunes très proches du terrain. La femme de Roderick Duchâtelet, qui est venue le rejoindre avec toute la famille l’été dernier, nous reçoit et nous fait visiter. Elle occupe le poste d’Operations Director et nous raconte la difficulté qu’elle a eue de se faire accepter dans ce microcosme très masculin.

 » Au début, on me voyait toujours comme la femme du patron « , raconte Valérie Gys.  » Je me souviens très bien la première fois que j’ai accompagné Roderick en déplacement. C’était à Videoton. J’avais fait mon brushing et mon chic. Il n’y avait personne. Ce n’est que peu de temps avant le début du match que j’ai vu tout le monde arriver en veste en cuir ! C’est d’ailleurs cela qu’on essaye de changer.

 » Ujpest est un club de tradition et c’est essentiel dans le foot actuel  »

A Ujpest, on aimerait accentuer l’aspect networking, et faire en sorte que les invités ou sponsors ne voient pas uniquement le match comme du football mais également comme une possibilité de faire des affaires. Et ça fonctionne puisque lors du derby face à Ferencvaros, les CEO de Microsoft, de Michelin et d’Unilever étaient présents.  »

Dans la loge d’honneur, des restes de pistaches traînent par terre. La place du Premier ministre, Viktor Orban (pourtant large soutien de Videoton) est indiquée.  » Il était prévu qu’il vienne pour le derby mais il a dû se décommander « , ajoute Valérie Gys.

Les idées fourmillent. La marque de fabrique Duchâtelet sans doute. Mais comment diable un Belge décide-t-il de reprendre un club en Hongrie ?  » Un peu par hasard « , confie Roderick Duchâtelet.  » Il y a eu une opportunité. Le fait qu’Ujpest soit un club de tradition était décisif car la tradition est essentielle dans le football actuel. La situation du football hongrois n’était pas excellente, ce qui rendait le club abordable et le climat pour investir était très favorable.

Le potentiel d’Ujpest est très grand puisqu’il constitue, avec Ferencvaros, un des deux clubs historiques du pays. Depuis lors, le Premier ministre a beaucoup investi dans le football et le niveau du championnat s’est amélioré.  »

Pourtant, tout ne fut pas rose. Dans un pays où la montée du nationalisme symbolisée par la mainmise de Viktor Orban va croissante, les investisseurs étrangers ne sont pas toujours les bienvenus.  » Aujourd’hui, Roderick Duchâtelet est le seul étranger en D1 hongroise « , explique Galambos.  » Le pays et le football hongrois ont besoin de ce type d’investisseur mais tout le monde ne s’en rend pas toujours compte et les voit comme des envahisseurs, voire comme des gens qui s’immiscent dans leurs affaires.  »

Récemment, Ujpest a failli être dégradé et mis en faillite par la Fédération hongroise. Un choc pour un club qui est présent dans l’élite hongroise depuis 1910 ! La faute au précédent propriétaire, Sandor Tolnai, qui prenait l’argent d’Ujpest et qui le transférait sur des comptes offshore. Jusqu’au jour où Roderick Duchâtelet en a eu marre de rembourser les dettes de l’ancien président.

 » Il n’a pas hésité à le traiter de criminel publiquement. Il avait l’impression que la Fédération était contre lui parce qu’elle se montrait très prudente et ne prenait aucune sanction. Certains ont affirmé que Roderick ne pouvait qu’être au courant de l’existence de ces comptes offshore mais il a plaidé la bonne foi.  »

 » Faire d’Ujpest un club qui ne coûte rien et joue l’Europe  »

Finalement, un accord a été trouvé et Ujpest a évité la rétrogradation. Après des nuits de palabres, le jour où tout est rentré dans l’ordre, Roderick est tombé en larmes à la télévision.  » Ce jour-là, beaucoup de gens se sont rendu compte qu’il aimait vraiment Ujpest et qu’il ne partirait pas du jour au lendemain comme un voleur « , ajoute Mark Pecsi, journaliste à la télévision SportKlub.

 » C’est dans ses gènes, je crois, mais Roderick ne flatte pas l’opinion publique. Il dit les choses comme il les ressent mais ça fait aussi son charme « , confie Valérie Gys.  » On ne fait pas pousser des roses dans le désert. On devait savoir si on voulait bien de nous ici, si on avait notre place. Mais le signal envoyé fut le bon. Dans cette histoire, les supporters ont fait bloc comme jamais. Lors du derby, c’était sold-out pour la première fois en 11 ans !  »

Autre reproche souvent entendu : l’arrivée massive de joueurs étrangers.  » C’est vrai que les Hongrois s’identifient davantage aux joueurs nationaux « , reconnaît Pecsi.  » Mais il s’agissait d’un faux débat. Le vrai débat consistait à savoir si les joueurs prêtés par le Standard renforçaient l’équipe. Et là, c’est vrai qu’on peut rester sur sa faim. Cette saison, seul véritablement Pierre-Yves Ngawa est un incontournable.  »

Ujpest sauvé, Duchâtelet accepté, reste à connaître la politique à long terme. Car, Roderick Duchâtelet a beau être un investisseur à long terme, il n’a pas les yeux plus gros que le ventre.  » Le but est de faire d’Ujpest un club qui ne coûte rien et qui joue régulièrement en Europe « , explique le président.  » Comme nous avons un petit budget, c’est plus facile de jouer l’Europe en Hongrie qu’ailleurs.

Debrecen a atteint la Ligue des Champions avec un budget de 2,6 millions d’euros. Nous sommes donc forcés de travailler avec des jeunes. Mon objectif est de disputer le championnat avec huit joueurs de -21 ans dans le onze de base. C’est pour cela que les jeunes pas assez bons pour être dans le noyau A du Standard nous intéressent.  »

Pour fonctionner à moindre coût, le réseau de son père peut évidemment l’aider.  » C’est plus facile de travailler avec des personnes qu’on connaît « , concède Roderick.  » Je peux me baser sur les infos des clubs associés car ceux-ci n’ont aucune raison de me vendre du vent. Et de plus, je préfère que cela profite à mon père qu’à quelqu’un d’autre. Mais je dois d’abord penser à boucler mon budget. Et pour faire du profit, je dois vendre des joueurs. Si je prends trop de prêts du Standard, ou d’un autre club du réseau, je ne pourrai rien vendre. Même si cela profite au réseau, je dois d’abord penser à mon club.  »

Carl Zeiss Iéna, ancien finaliste européen

La semaine dernière, 10.000 personnes ont assisté à la finale de la coupe régionale entre Carl Zeiss Iéna et son rival, le RW Erfurt (D3). Iéna a perçu 120.000 euros en droits TV et est assuré d’un beau match contre un club de Bundesliga au premier tour de la Coupe, en août.

En championnat, Iéna n’a atteint qu’une moyenne de 3.500 à 4.000 supporters, faute de répondre aux attentes. Il y a un an, le club a été barré par le Red Bull Leipzig, plus costaud financièrement, et en décembre dernier, on a compris qu’un retour en D3 n’était pas encore pour cette année. Sa troisième place en Regionalliga Nordost ne lui donne pas droit à la montée.

Pourtant, le club de 111 ans y aspire. Il est sis dans une ville de 106.000 habitants, une coté universitaire de Thuringe. Il a été un des grands clubs de RDA avec trois titres, quatre Coupes et 87 matches de Coupe d’Europe, dont une finale, perdue en 1981 contre le Dynamo Tbilissi.

Après la Réunification, Iéna s’est produit en deuxième Bundesliga pendant huit ans, la dernière fois en 2007-2008. Il est descendu en D4 en 2012. Début janvier, Roland Duchâtelet a acquis 49,98 % des parts de la Carl Zeiss Jena Fussball Spielbetriebs GmbH via son entreprise Staprix NV. Il s’est engagé à apporter deux millions alors que le budget du club est de 1,2 million. Iéna a d’ailleurs été le seul club pro de sa série, cette saison, avec le FC Magdebourg et le FC Neustrelitz.

Sans Duchâtelet, le club aurait à nouveau eu du mal à nouer les deux bouts, explique Andreas Rabel, de l’Ost Thüringer Zeitung, qui juge que pas grand-chose n’a toutefois changé.  » Nous nous attendions à plus de protestations. Hormis une banderole déployée par une petite partie du noyau dur, qui s’oppose à toute immiscion, il n’y a rien eu. On a seulement nommé un second manager général, aux côtés de Roy Stapelfeld.  »

En décembre, avant que l’arrivée de Duchâtelet soit approuvée par le conseil d’administration, le club a engagé Chris Förster. Supporter de toujours de Iéna, celui-ci a été expert financier de X-Fab, une entreprise de conducteurs électriques où on retrouve Duchâtelet depuis 1991. C’est également Förster qui a réuni le club et l’investisseur.

Deuxième intervention, l’embauche de Patrick Van Kets (47 ans), longtemps entraîneur des espoirs du Standard, au poste d’entraîneur principal.

Pourtant, le président de Iéna, Lutz Lindemann (64 ans), un ancien joueur du club, avait dit que l’entraîneur que cherchait Iéna depuis quelques mois  » devrait parler allemand et connaître à fond la Regionalliga.  » L’allemand n’est pas un problème pour Van Kets, Limbourgeois, et son futur adjoint, Karsten Hutwelker, connaît la série.

Lindeman nie qu’on lui ait imposé Van Kets. Il l’a rencontré en Belgique, à l’initiative de Duchâtelet et s’est dit charmé par l’homme, au point d’avoir demandé à Duchâtelet s’il pouvait l’enrôler.

Lindemann a remplacé Reiner Zipfel, parti pour des raisons personnelles, en avril, mais il avait pris la décision avant l’arrivée de Duchâtelet.

Lindemann et le club continuent à avoir le dernier mot dans la gestion. C’est impossible autrement, précise Roy Stapelfeld :  » La structure du club n’a pas changé et en Allemagne, on impose la règle 50+1, qui empêche des investisseurs d’acquérir la majorité des parts d’un club. Ils ne peuvent en acheter que 49,9 %. Roland Duchâtelet est notre principal partenaire et il est donc normal que nous discutions de tout avec lui, pour chercher ensemble des solutions. La situation est encore neuve. Nous tâtonnons. Les réunions avec les autres clubs de son réseau sont importantes : elles nous permettent de nouer des contacts internationaux et d’améliorer notre know-how.  »

S’attend-il à ce que l’arrivée de Duchâtelet modifie à terme les ambitions du club ?  » Nous voulons revenir dans le véritable football professionnel. Le premier cap, c’est la montée en D3. Nous possédons une bonne base grâce à notre bonne école de jeunes, aux sponsors qui travaillent avec nous depuis des années et à Duchâtelet. Nous essayons depuis des années de bâtir un nouveau stade et nous avons enfin reçu des signaux positifs de la Ville.  »

PAR STÉPHANE VANDE VELDE, GUILLAUME GAUTIER ET GEERT FOUTRÉ – PHOTOS: BELGAIMAGE

 » Le réseau ne constitue pas une pyramide. Chaque entité a sa propre vie.  » Katrien Meire, CEO de Charlton

 » Alcorcón n’est pas un endroit pour gagner de l’argent.  » Fidel Castrejon, chef de presse d’Alcorcón

 » Au début, on me voyait comme la femme du patron.  » Valérie Gys, Operations Director d’Ujpest et épouse de Roderick Duchâtelet

 » C’est plus facile de travailler avec des gens qu’on connaît et je préfère que cela profite à mon père plutôt qu’à quelqu’un d’autre.  » Roderick Duchâtelet

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