Le règne de la débrouille

Pierre Bilic

Marquer des buts en classe tout en potassant son football: difficile en Wallonie!

Il y a toujours eu des exceptions confirmant la règle générale: marier études et football au plus haut niveau n’est pas chose facile. Combien d’échecs pour des réussites à l’image de Jean-François de Sart (licencié en sciences économiques), de Gunther Jacob (avocat), de Tjörven De Brul (kinésiste) ou de Joris De Tollenaere qui porte aussi la robe?

Juin, mois des examens. Un peu partout, des élèves et leurs parents s’interrogent à propos de la meilleure façon de réussir dans le monde du football tout en ayant une garantie en cas d’échec, au moins un diplôme d’humanités, afin de se retourner (travailler ou entamer des études supérieures ou même universitaires comme le fit Bruno Taverne) quand cela se corse.

A Charleroi, Grégory Dufer a renoncé à ses projets scolaires avant la fin de ses humanités. Cela se passe bien pour lui mais un gars de son âge, Enzo Biondo, a entrevu un coin de paradis avant de revoir ses ambitions sportives à la baisse. Biondo a heureusement son diplôme d’humanités en poche. Il y a quelques années, Johan Walem abandonna ses études à quelques mois de la fin de ses humanités à Soignies. Or, Frans Masson, de l’Union Belge (et qui fut à un moment son titulaire au Collège Saint-Vincent), nous le confia il y a peu: Johan était un premier de classe en sciences fortes et le gars d’Ecaussinnes aurait réussi à l’université. Mais si l’on en croit Johan, Anderlecht lui avait proposé un premier contrat pro à prendre ou à laisser…

Alors que les pays qui nous entourent, principalement la France, ont résolu ce gros problème, via leurs centres de formation qui offrent à leurs jeunes une formation intellectuelle, la Belgique se distingue par son empirisme.

Dès le départ, il s’agit de distinguer le foot-études pour tous (social) et ce qui est proposé aux élites.

En Flandre, tout est axé autour d’un tissu de huit écoles (unies sous le sigle « top sports ») en ce qui concerne les élites sportives dont une majorité de footballeurs de haut niveau. Les champions en herbe sont regroupés dans des classes de quinze élèves, pris en mains par des professeurs ne s’occupant que d’eux car leur grille de cours est réduite à vingt-cinq heures par semaine pour leur permettre de se consacrer durant au moins dix heures à leur sport.

L’Union Belge soutient ces initiatives (budget de 6 millions la saison passée) et paye des entraîneurs. Cela donne de bons résultats et la proportions des gamins du nord augmente sensiblement au sein des équipes représentatives de jeunes.

Dans la partie francophone du pays, les choses bougent mais évoluent plus lentement. Or, c’est le moment de réagir. L’Union Belge aimerait investir (ce n’est pas le cas pour le moment) mais tout est plus complexe car l’enseignement francophone dépend de deux ministres et il y a souvent des luttes d’influences entre les réseaux (libre, officiel, provincial) alors que l’enseignement catholique est de loin le plus influent dans le nord du pays. L’enseignement francophone a beaucoup de chats à fouetter et sa survie dépend toujours des accords de la Saint-Polycarpe. N’empêche, il y a énormément de talents dans le sud du pays et ils méritent d’être motivés. Frans Masson étudie tout cela pour l’Union Belge où il a le titre de directeur-formateur.

Il y a des endroits où on travaille dur. Les promesses du Standard ont attiré le regard de Roda Kerkrade et de Pérouse. A Mouscron, des éléments très prometteurs formés par Philippe Saint-Jean et ses collaborateurs seront repris dans le noyau A des Hurlus la saison prochaine, etc.

L’Union Belge veut s’appuyer sur ces réussites afin de bâtir quelque chose. Charleroi est plus hésitant et ne devine pas encore l’intérêt que cela pourrait lui procurer. Or, il y aura un décret de la Communuauté française en 2002 qui définira notamment les conditions pour obtenir le statut de sportif d’élite, etc. Des changements sont en vue, mais en attendant, ce sont les initiatives du Standard et de Mouscron qui intéressent le plus la grande maison de verre du fait des excellentes relations que ces clubs entretiennent avec des établissements scolaires.

Le centre de formation du Standard

A Sclessin, Daniel Boccar chapeaute le centre de formation et le Standard mise à fond depuis trois ans sur un projet éducatif très intéressant. En gros, il y a cent cinquante jeunes de moins de quinze ans au départ. Puis, les Liégeois font un tri sévère, et actuellement, quarante-huit jeunes joueurs (seize Scolaires première année, seize Scolaires deuxième année, dix-huit Juniors -18 ans, dont vingt-deux internes) sont repris dans un projet éducatif mais Daniel Boccar insiste tout de go: « Ce n’est pas un foot-études, c’est une initiative du Standard. Il était impossible de progresser sans augmenter la charge de travail. Le but de tout ça est de s’entraîner plus. Les champions de sports individuels (tennis, tennis de table, natation, etc) le font bien: pourquoi ne serait-ce pas le cas de nos jeunes footballeurs? En France, ils ont droit à six à sept entraînements par semaine. A dix-sept ou dix-huit ans, ils ont une avance considérable par rapport à ceux qui ne suent que trois fois par semaine: on ne gomme plus cette différence par la suite. Et que vient-on de constater après trois ans de réorganisation lors de récents grands tournois en France? Nos jeunes ont imposé leur loi. Le secret: le talent est là mais il faut plus de travail et, chez nous, c’est possible grâce à Christian Modave (Sainte-Véronique) qui libère les jeunes de dix heures à midi trois fois par semaine: lundi, mardi, jeudi.

Ils s’organisent ensuite, profitent des récrés, des heures de gymnastique, du temps de midi pour effacer tout retard scolaire dans leurs cours. Vingt sont inscrits en humanités générales, vingt en hunanités technniques tandis que huit d’entre eux ont un enseignement plus professionnel à l’IPES. Les camionnettes du Standard sont à leur disposition pour le transport. Ils sont très motivés. On leur propose régulièrement des ateliers, et le soir, lors de la deuxième séance de travail, ils se font un devoir de mettre en pratique (jeu court, jeu long, etc) ce qui leur a été enseigné le matin. Quand il y a deux jours entre les séances de travail, il faut d’abord revoir sa leçon durant vingt minutes si je puis dire: ici, l’amélioration est immédiate car tout est encore fraîchement gravé dans les mémoires. Les courbes de progression des jeunes sont évidentes tactiquement, techniquement et physiquement. »

Boccar insiste sur les valeurs du mental. Après un cycle de trois ans, ils ont tout pour devenir de bons pros. Mais ce n’est pas toujours facile et un psychologue du sport est à leur disposition une fois par semaine. Boccar suit les résultats scolaires de près. Quand la courbe des points diminue, il peut supprimer un ou deux entraînements. Daniel Boccar a une équipe autour de lui ( Govaert, Dallemagne, Lonnoy, Matanda, Lazar, Piot, Bourguignon) qui ne sont pas des pros mais se libèrent quand il le faut pour travailler avec les jeunes. Daniel Boccar (à temps plein) a dû se séparer d’ Alex Czerniatynski qui était pro et trop cher pour un budget global estimé à trente millions.

Tout est mis en place pour que les jeunes soient mieux suivis qu’il y a vingt ans quand Etienne Delangre, Tony Englebert et leurs camarades étaient peu surveillés, avaient des chambres dans un Sart Tilman en construction et mangeaient tous les jours des frites ou des conserves. Quelques jeunes sont récemment partis à Pérouse (qui les avait suivis lors de la Coupe Intertoto) ou à Roda sans demander leur reste, l’un en exploitant la loi de 78. En Italie, on leur a proposé un salaire de 500.000 francs par mois. Cela ne se refuse pas même si la chance de jouer en Série A est minime.

Les Liégeois reprochent encore à l’agent de joueurs Youri Selak d’avoir attisé ce intérêt pour les jeunes de Sclessin. Pour eux, c’est du pillage et toute la politique de formation est en danger. Le Standard a bien retenu la leçon et dix jeunes ont été mis sous contrat avec ouverture pour plusieurs d’entre eux vers le noyau A. Le recrutement sera renforcé avec Vincent Delhalle. Pour Boccar, les jeunes nés en 1985 sont nettement meilleurs que la génération des Eric Deflandre, Gert Claessens, Christophe Kinet et leurs camarades qui devinrent de brillants champions de Belgique sous sa gouverne.

Le Futurosport mouscronnois

A l’Excelsior de Mouscron, Philippe Saint-Jean a monté le centre de formation dont Jean-Pierre Detremmerie rêvait: un outil de travail assez extraordinaire. Si le Standard a très vite opté pour la crème, Mouscron a préféré la notion de sport d’élite pour tous. Saint-Jean a réalisé un boulot sensationnel au complexe sportif du Futurosport. Des superbes surfaces de jeu s’étendent sur cet ancien terrain agricole. En trois ans, la progression a été fulgurante et Philippe Saint-Jean a développé tout son projet éducatif et de formation. « Tout a été possible grâce au formidable impact de Jean-Pierre Detremmerie », affirme Saint-Jean. « Quand nous lui demandions quelque chose, c’était accordé et réalisé dans les plus brefs délais. Sans lui, c’était impossible. Mais le but était largement social au départ. Il fallait que tout le monde puisse être formé et avoir sa chance. Ainsi, notre centre de formation est ouvert à tous. Cela veut dire que des joueurs des petits clubs de la région en bénéficient mais évoluent le week-end sous leurs couleurs habituelles. Il y a un véritable balai d’autobus qui amènent les jeunes au Futurosport. C’est une pyramide car j’envisage de commencer ce travail de plus en plus tôt afin que des gamins de sept ou huit ans, par exemple, profitent de plus en plus tôt du sport. Il n’y a pas de rupture dans la philosophie de formation et nous accompagnons les jeunes jusqu’à l’équipe Première. »

Il y a cependant eu une grosse rupture il y a quelques mois. Detremmerie louvoye entre le social et la formation des élites. Quand on voit le Futurosport, cela suscite les envies. Hugo Broos en a pris le commandement et intallera un de ses hommes ( Lorenzo Staelens) aux commandes des élites. Il y aura deux ailes: le social et l’élite. Et deux philosophies pour les jeunes qui passeront de l’un vers l’autre sans dialogue, sans suivi. Hugo Broos et Philippe Saint-Jean ne se parlent plus. Broos entend séparer le social et l’élite et cantonner Saint-Jean dans le premier domaine. Detremmerie ne veut pas trancher en matière d’idée de base (le social, c’est toujours son dada) mais a opté pour Broos dans ce combat entre Broos et Saint-Jean. En limitant Saint-Jean, Broos écarte aussi un technicien qui, un jour, entraînera une équipe de D1. Broos constitue, en plus de ses qualités de coach, une belle garantie de présence médiatique dans le nord du pays. Et qui dit bonne presse, dit sponsors, etc. Philippe Saint-Jean n’a pas cet impact médiatique en Flandre où Mouscron va de plus en plus à la pêche aux sponsors.

Detremmerie est un politicien et cela compte mais il est dommage que cela ait, même si on n’en parle pas beaucoup, un impact sur l’avenir des jeunes. A Braine et à Malines, Saint-Jean travailla en symbiose avec Franky Vercauteren: l’union d’un grand passé et d’une passion mise au service des jeunes. Philipe Saint-Jean est un formateur et un éducateur. La saison prochaine, il s’occupera de l’équipe Première de Tubize, gèrera le temps qui lui reste entre les jeunes de l’Excel (avant que son départ ne soit officiel), s’occupera des Espoirs de l’Union Belge avec Jean-François de Sart, etc.

A 47 ans, il a beaucoup fait pour les jeunes et ne demandait pas mieux que de travailler en bonne entente avec Broos et Staelens. « Il y a trois ans, il n’y avait personne au Futurosport », dit Saint-Jean. « L’outil intéresse tout le monde maintenant. »

Pierre Bilic

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