LE REGARD des anciens

La génération actuelle des Diables décryptée par quatre internationaux au long cours.

Mercredi prochain, les Diables Rouges disputeront face à la Serbie & Monténégro une rencontre cruciale dans l’optique de la qualification pour la phase finale de la Coupe du Monde 2006. Battus, ou contraints au partage, les footballeurs d’ Aimé Anthuenis se retrouveraient en tout cas en ballottage défavorable dans l’optique d’une participation à une épreuve où ils répondent présents, sans interruption, depuis 1982. Un record pour une nation qui a dû arracher tous ces passe-droits sur le terrain, par le biais des préliminaires.

La génération actuelle est-elle moins talentueuse que ses devancières ? Et y a-t-il des aménagements à apporter dans ses diverses composantes ? Ce sont là des thèmes de réflexion que nous avons soumis à quatre anciens internationaux qui décortiquent, chacun dans le domaine qui leur est propre, leurs successeurs d’aujourd’hui : le gardien Christian Piot (40 caps de 1969 à 1977), le défenseur Michel De Wolf (42 présences de 1980 à 1994), Enzo Scifo (84 capes de 1984 à 2000) et Alex Czerniatynski (31 apparitions de 1981 à 1994).

Christian Piot :  » Pourquoi snober Proto ? »

 » Depuis le retrait de la scène de Filip De Wilde, aucun des gardiens utilisés n’a réussi à s’ériger en titulaire indiscutable. Geert De Vlieger a joui du plus de temps de jeu par rapport aux autres qui se sont vus décerner une chance par Aimé Anthuenis, comme Frédéric Herpoel, Erwin Lemmens, Tristan Peersman, Francky Vandendriessche ou encore Yves Vanderstraeten. Mais bien avant que la fatalité ne s’abatte sur lui sous la forme d’une rupture du tendon d’Achille dès son arrivée à Manchester City, en tout début de saison, il avait déjà perdu un peu de son crédit auprès de l’entraîneur fédéral suite à l’une ou l’autre approximations.

Il est curieux de constater que les mêmes petits manquements ont été décelés aussi chez tous ceux qui se sont relayés entre les perches. Je songe à l’erreur du portier mouscronnois sur le premier but lors du match Croatie-Belgique, par exemple, ou encore à la faute d’attention, sur coup franc, de Frédéric Herpoel contre l’Allemagne, pour ne citer que ces deux faits-là. Pourtant, en temps normal, un garçon comme Fred, abondamment courtisé par le Standard au demeurant, ne fait sûrement pas figure de mauvais keeper. Mais, pour lui, comme pour d’autres, c’est comme si une malédiction s’abattait dès l’instant où il doit revêtir la casaque nationale. Dans ces conditions, j’ai souvent l’impression que les ballons sur lesquels il peut s’employer avec brio en club, lui sont subitement refusés. Est-ce dû au décalage entre la valeur de notre championnat et la scène continentale ? C’est possible, sinon probable.

A cet égard, je me demande dans quelle mesure l’entraîneur fédéral n’a pas commis une bourde en lançant trop tôt dans le grand bain Tristan Peersman, qui avait quelques matches à avec Anderlecht à son compteur à peine lorsqu’il fut convié en sélection. Il est clair qu’on ne résorbe pas aisément une absence de vécu de plusieurs saisons, comme il en a fait l’expérience au Sporting. S’il a un potentiel évident, Peersman accuse toujours certaines lacunes, faute d’avoir pu s’illustrer dans la durée ces dernières années. En outre, des problèmes psychologiques, dus à la fois à un contexte familial difficile ainsi qu’à sa rivalité avec Daniel Zitka l’ont perturbé. Dès lors, comment pourrait-il encore être l’homme de la situation ? Tant que le climat dans lequel il baigne ne se sera pas rasséréné, je n’ai pas l’impression que l’on puisse attendre des miracles de son côté.

Par contre, en raison du cadre très favorable au sein duquel il est appelé à s’exprimer actuellement, Silvio Proto devrait se voir décerner une chance. Avec près de 100 présences en D1 ainsi qu’une expérience internationale avec les Espoirs, le Louviérois ne déteindrait pas. Manifestement, il a la cote, comme une enquête vient de le prouver dans vos colonnes. Je ne comprendrais pas qu’il soit encore snobé plus longtemps « .

Michel De Wolf :  » Confiance aux Brugeois  »

 » Si mes renseignements sont exacts, pas moins de 16 joueurs ont déjà peuplé le secteur défensif depuis qu’Aimé Anthuenis a pris la relève de Robert Waseige. En d’autres mots, il y aurait moyen de composer quatre arrière-gardes tout à fait différentes. C’est beaucoup et comme un phénomène identique est perceptible aussi dans les autres secteurs, il n’est pas illogique que le team Belgique se cherche toujours. Par rapport aux deux matches précédents livrés dans cette campagne de qualification pour la Coupe du Monde 2006, une nouvelle donne sera immanquablement d’application contre la Serbie&Monténégro dans la mesure où Eric Deflandre devra passer son tour suite à son exclusion à Santander. Au même titre que le crachat du capitaine, Bart Goor, en direction de Xavi, l’agression verbale du Liégeois vis-à-vis de l’arbitre Kim Milton Nielsen était tout à fait déplacée. Semblables attitudes sont incompréhensibles. D’autant plus que les solutions de rechange ne sont pas du même tonneau. Pour suppléer l’absence du vice-capitaine, le coach national a deux solutions : faire confiance à Anthony Vanden Borre, un garçon talentueux mais qui manque de planches comme on a pu le vérifier tant en D1 qu’en Ligue des Champions, ou Olivier De Cock, revenu à un bon niveau après sa double opération aux chevilles.

A choisir, je jouerais personnellement la carte du back brugeois, tout comme je ferais confiance à Peter Van der Heyden pour occuper le flanc gauche. Sur cette portion du terrain, personne n’a fait l’unanimité. Le meilleur tandem, c’est celui que Didier Dheedene a formé avec Goor. Comme Olivier Deschacht et Jelle Van Damme n’ont jamais saisi leur chance à deux mains, je pense qu’il serait de bon ton de relancer le gaucher brugeois. Avec De Cock et Timmy Simons dans le même secteur, il ne devrait pas y avoir de problèmes d’automatismes, de surcroît.

Quant à la dernière place à pourvoir, elle doit revenir à Vincent Kompany. D’accord, il n’a pas toujours été irréprochable avec Anderlecht mais Vince n’a pas pu compter cette saison sur un élément aussi précieux que Hannu Tihinen pour le coacher. Dans ce rôle-là, Simons peut faire l’affaire, j’en suis sûr, même si face à la Norvège, la collaboration ne fut peut-être pas optimale. Si réellement un problème devait persister à ce niveau, je pencherais pour l’association Daniel Van Buyten – Simons et je tenterais un essai avec Kompany au milieu du jeu. Vu ses longs compas et son envergure, il me paraît taillé pour cette mission, tant en sélection qu’au Sporting où il n’y a sans doute pas meilleur que lui comme demi défensif. Et au moins, à ce poste, ses péchés de jeunesse (une passe hasardeuse ou un dribble risqué) ne porteraient plus à conséquence « .

Enzo Scifo :  » Mieux utiliser les joueurs créatifs  »

 » L’équipe nationale est un univers particulier : il faut réussir à réunir les meilleurs éléments en obtenant une complémentarité. Dans les générations précédentes, la personnalité des joueurs permettait à l’équipe de se prendre en mains dans les situations délicates. Actuellement, quand il faut forger un exploit, les joueurs font preuve de volonté mais cela ne se voit pas toujours sur le terrain. Et Bart Goor en est le parfait exemple. Le joueur de Feyenoord possède une très bonne mentalité mais, il le dira lui-même, il n’est pas fait pour être capitaine. Il n’a pas le profil pour tirer l’équipe dans les situations difficiles.

Le milieu de terrain est le secteur du jeu où se gagne le match et qui nécessite donc de fortes personnalités. Goor suspendu cinq matches, Timmy Simons serait en mesure de reprendre son rôle. Cependant, je ne le vois pas quitter la défense. Il est polyvalent mais quand on possède des joueurs de la trempe de Vincent Kompany et Simons, il faut les faire jouer ensemble. Pourquoi ne pourrait-on pas imaginer le Brugeois en défense et l’Anderlechtois comme médian défensif ? Ce dernier dispose de tous les arguments pour jouer à cette position plus avancée. Par rapport à ses capacités techniques, je trouve dommage qu’on ne l’essaie pas dans la ligne médiane. Ce n’est qu’après essai que l’on pourra se rendre compte s’il détient les capacités physiques ou non pour évoluer comme médian défensif. Par contre, je ne pense pas qu’il faille tenter ce coup de poker dans un match capital comme celui qui nous attend à Bruxelles contre la Serbie&Monténégro. Il fallait y penser avant.

Enfin, il faut également résoudre la question de l’apport offensif. Avec Walter Baseggio, Sven Vermant et Thomas Buffel, la Belgique dispose de joueurs capables de soutenir les attaquants. Pourquoi ne le font-ils pas ? On pourrait imaginer Buffel dans un rôle de soutien d’attaque. Ce n’est pas un meneur de jeu mais il peut partir de la deuxième ligne et sait se montrer percutant dans les trente derniers mètres. On n’arrête pas de remettre Baseggio en question mais on ne peut pas se passer d’un tel joueur. Quand on lui donne des consignes, il les applique. Il met du rythme au jeu et est capable de l’orienter. Même si on ne gagne pas de matches avec 11 Baseggio.

Enfin, depuis le début de la saison, je ne retrouve pas Mbo Mpenza. Il faut l’utiliser en fonction de qualités qu’il a largement étalées à Mouscron. On se trouve face à un joueur qui aime bien plonger dans les espaces. Il ne faut donc pas le figer à un poste. Il faudrait le remettre en attaque et lui trouver des compléments idéaux. Je vois bien un système avec un attaquant central et Mbo qui graviterait autour « .

Alex Czerniatynski :  » Tous les espoirs sur Emile Mpenza  »

 » Tout le monde souhaite le retour d’ Emile Mpenza. Tous les espoirs belges reposent sur lui. Il avait pris la décision de quitter l’équipe nationale après le match contre La Gantoise car à ce moment-là, toute la Belgique était contre lui. Et il a eu raison. Récemment, il a eu une conversation avec Anthuenis et on voit qu’il a pleinement retrouvé confiance. Il marque et fait marquer à Hambourg. Mais s’il revient, tous les regards seront braqués sur lui. Cependant, d’autres joueurs, dans le passé, avaient déjà mis leur carrière internationale entre parenthèses avant de revenir sur leur décision. Et ces joueurs ont toujours bien été acceptés lors de leur retour.

Je crois qu’Emile est nécessaire à cette équipe d’autant plus que Wesley Sonck et Thomas Buffel manquent de confiance. Faut-il quand même les sélectionner ? Dans le passé, le problème ne se posait pas car l’entraîneur disposait de plusieurs cordes à son arc. Certes, ce n’est pas en restant sur le banc qu’ils retrouveront leurs sensations mais parfois, cela fait du bien à un attaquant de revenir se ressourcer en équiper nationale. Il ne faut pas remettre le talent de Sonck et Buffel en cause puisqu’il y a quelques mois ces mêmes joueurs marquaient comme ils respiraient.

Comme alternatives, Anthuenis dispose notamment de Cédric Roussel et de Luigi Pieroni mais Roussel est parti se perdre en Russie. Parfois, un joueur prend des décisions trop rapides, sûrement guidées par l’aspect financier. Les jeunes doivent réfléchir sur l’apport d’un départ à l’étranger. Si Sonck et Buffel étaient restés en Belgique, ils occuperaient une place de titulaire et en feraient profiter les Diables Rouges. Luigi est encore jeune et inexpérimenté. Si on le lance et que cela ne fonctionne pas, le joueur serait voué aux gémonies. Pour le reste, je crois qu’Anthuenis ne dispose pas d’autres solutions. Il suffit de regarder le classement des buteurs en Belgique. Aucun Belge ne figure dans les dix premiers. Et à l’étranger, ils ne jouent pas.

Quant aux jeunes, Anthuenis doit garder le cap. On ne peut pas sélectionner que des trentenaires. Il faut leur donner du crédit et attendre qu’ils fassent leur preuve. Le public doit comprendre qu’une génération est partie et qu’il faut faire avec. On ne peut que regretter que l’équipe actuelle ne puisse compter sur des gueulards de la trempe d’ Eric Gerets, Ludo Coeck, Franky Vercauteren ou René Vandereycken « .

Bruno Govers et Stéphane Vande Velde

 » BASEGGIO EST INDISPENSABLE, même si on ne gagne pas un match avec 11 Baseggio  » (Enzo Scifo)

 » ON MANQUE DE GUEULARDS comme Gerets, Coeck, Vercauteren ou Vandereycken  » (Czernia)

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