« Le Real me donne la nausée »

A 45 ans, le Ballon d’Or 1994 – enfant terrible des nineties – est resté un amoureux du FC Barcelone.  » J’y suis lié à vie. « 

Le club de polo de Barcelone. Un endroit huppé jouxtant le Camp Nou, où l’on vient pour pratiquer ce sport très en vogue dans la haute société, mais aussi et surtout pour prendre un verre ou déjeuner dans un cadre verdoyant. C’est là que HristoStoichkov, Ballon d’Or 1994, nous rejoint. Il y est chez lui.  » J’ai joué huit saisons au FC Barcelone et les cinq premières furent déterminantes dans ma carrière « , explique-t-il.  » Depuis lors, je considère que ma vie est ici.  »

La métropole catalane est devenu sa ville d’adoption, et le Barça, son club de c£ur :  » Cette ville est formidable. Il y a tout ici : la mer, la montagne, le soleil. Et surtout, il y a le Barça. Mésqueunclub, affirme le slogan du club. Plusqu’unclub. Pour moi, c’est vraiment le cas. Ce club m’a tout donné, et j’y suis désormais lié à vie. C’est le plus grand club du monde, il est connu aux quatre coins de la planète et même au-delà. Faites le test : payez-vous un petit voyage sur la planète Mars et demandez au premier Martien que vous croisez ce qu’il connaît de Barcelone : – LesRamblasouleBarça ? Je suis certain qu’il vous répondra : – LeBarça !  »

Stoichkov a toujours eu le verbe facile et cela n’a pas changé avec l’âge. Lorsqu’on veut évoquer avec lui la rivalité ancestrale avec le Real Madrid, la discussion tourne court :  » Parlons d’autre chose, voulez-vous ? La simple évocation du nom du Real Madrid me donne la nausée. Je ne veux pas entendre parler de ce club.  » Le ton est donné.

Lancez un gamin de 14 ans, et vous verrez !

Stoichkov n’avait que 24 ans lorsqu’il a débarqué du CSKA Sofia. Un petit événement à l’époque.  » La Bulgarie n’était pas encore membre de l’Union européenne « , rappelle-t-il.  » Et le mur de Berlin venait à peine de tomber. Les réminiscences de l’ancien Bloc de l’est étaient encore bien présentes, et quitter la Bulgarie n’était pas si évident, même pour un footballeur renommé. J’ai eu la chance que tout soit arrivé au bon moment pour moi. J’ai assisté à la chute du mur de Berlin devant ma petite télévision à Sofia, il y a eu l’ouverture des frontières…  » L’arrêt Bosman n’avait pas encore bouleversé le paysage du football européen.  » Il n’y avait que trois étrangers dans l’équipe du Barça « , se souvient-il.  » RonaldKoeman, MichaelLaudrup et moi. Un défenseur, un milieu de terrain et un attaquant. Les autres joueurs étaient tous espagnols, voire catalans. Mais quels joueurs ! Andoni Zubizarreta, José Maria Bakero, Andoni Goitkoetxea, Pep Guardiola, Txiki Beguiristain… Placés sous la direction de Johan Cruijff, un entraîneur d’exception. Pour moi, l’équipe qui gagna la Ligue des Champions en 1992 était la meilleure de tous les temps.  »

Meilleure que l’équipe actuelle ?  » C’est toujours difficile de comparer les époques. Lionel Messi est exceptionnel aussi, bien sûr. C’est un extra-terrestre. Mais il est aussi très bien entouré. Et surtout, il connaît ses coéquipiers par c£ur. Lorsqu’il joue avec l’Argentine, il est moins performant. Simplement, parce qu’il évolue dans un autre système de jeu, avec des coéquipiers qu’il ne côtoie qu’une fois tous les mois ou tous les deux mois. Au Barça, tout le monde se trouve les yeux fermés.  »

Stoichkov a donc été le coéquipier de Guardiola :  » Un homme très intelligent, qui sent le football. On voyait déjà, à l’époque, qu’il était taillé pour devenir entraîneur. Mais plusieurs de mes anciens coéquipiers ont, ou ont eu, des fonctions importantes au Barça. Beguiristian fut directeur sportif, Zubizarreta l’est devenu, Luis Enrique est toujours l’entraîneur de l’équipe B actuellement, Carles Busquets est l’entraîneur des gardiens. Le secret du Barça, c’est cela. On confie des responsabilités sportives aux gens capables de propager la culture barcelonaise. D’ailleurs, il faut aller voir La Masia, le centre de formation. C’est là que bat le c£ur du club. On y enseigne une culture footballistique très particulière. Toutes les équipes de toutes les catégories d’âge jouent selon le même système de jeu. C’est simple : si vous faites jouer un gamin de 14 ans avec l’équipe Première, il sera directement intégré. Je ne dis pas qu’il sera d’emblée aussi bon que Messi, mais il comprendra tous les systèmes de jeu, parce que ce sont les mêmes que ceux qu’on lui a enseignés depuis sa plus tendre enfance. Lorsque Bojan Krkic est introduit, il ne dépare pas. Pedro est devenu une valeur sûre.  »

Au contraire de Zlatan Ibrahimovic, un élément extérieur dont la greffe n’a pas pris, puisqu’il n’a jamais trouvé ses marques la saison dernière :  » Le problème, avec lui, était ailleurs : il ne pensait pas Barça, il pensait : -Moi !  »

Marquer des buts, c’est un art que Stoichkov a toujours dominé. La légende raconte qu’avant un match, il demandait à sa fille combien de buts il allait marquer. Et qu’elle lui répondait systématiquement : -Trois ! Il mettait évidemment tout en £uvre pour la satisfaire. Une autre légende raconte que, dans son contrat, Stoichkov n’avait fait inclure qu’une seule clause : il devait disposer d’un beau bolide rouge. Petit sourire en coin.  » J’ai eu… plusieurs voitures rouges « , rétorque-t-il.

Des clásicos tumultueux

Durant ses huit saisons à Barcelone, Stoichkov a disputé 11 clásicos. L’histoire ne retiendra pas les buts qu’il y a inscrits, car il n’a scoré qu’à une seule reprise face au Real Madrid, mais surtout ses expulsions. Elles furent au nombre de deux et elles ont fait date. La première eu lieu le 5 décembre 1990 (0-1) suite à une altercation avec Michel. D’autres joueurs s’en sont mêlés, une bagarre générale s’en est suivie et lorsque l’arbitre a essayé de séparer tout le monde, l’attaquant bulgare au sang chaud a répondu d’un solide coup de crampon. Il a écopé de deux mois de suspension. La deuxième exclusion a eu lieu le 7 janvier 1995 lors d’un 5-0 madrilène au stade Santiago Bernabeu. Stoichkov, qui pouvait entrer dans une colère noire lors d’une simple partie de cartes et dont la plus grande jouissance était d’humilier les joueurs au maillot blanc, était fou de rage face à cette souffrance qu’il subissait lui-même et distribua des coups tous azimuts, cherchant lui-même l’exclusion.  » Comme ça, ces fils de p… ne pourront jamais dire qu’ils m’en ont mis cinq ! « , aurait-il justifié par après.

Certains joueurs, pourtant, ont quitté le Barça pour aller défendre le maillot de l’ennemi héréditaire. Pour Stoichkov, c’eut évidemment été inconcevable. Mais son ancien coéquipier danois Laudrup a, lui, viré de bord. Et cela s’est très bien passé. En revanche, LuisFigo a eu droit à une conduite de Grenoble chaque fois qu’il a remis les pieds au Camp Nou.  » Tout est dans le comportement « , explique Stoichkov.  » Laudrup est resté humble et discret : il a expliqué que c’étaient les circonstances de la vie et de la carrière sportive qui l’avaient mené à Madrid. Figo, en revanche, a fait le fanfaron. Lorsqu’il a signé au Real, il s’est empressé de déclarer : – Voilà, j’ai rejoint le meilleur club du monde. Cela n’a guère été apprécié en Catalogne.  »

Si Stoichkov a énormément apprécié son premier passage au Barça, sous la houlette d’un Cruijf qu’il idolâtre, son deuxième passage fut moins réjouissant. Et il ne faut plus trop lui parler de LouisvanGaal, qui fut son entraîneur de 1997 à 2000.  » Un homme stupide et ridicule. Il ne connaissait rien et je n’ai rien appris avec lui.  »

Une reconversion difficile

Si Stoichkov a marqué l’histoire du FC Barcelone, il a forcément marqué, aussi, l’histoire de l’équipe nationale bulgare, qui fut demi-finaliste de la Coupe du Monde 1994 aux Etats-Unis. Il fut co-meilleur buteur du tournoi et reçut, dans la foulée, le Ballon d’Or européen.  » On avait une génération exceptionnelle « , se souvient-il : EmilKostadinov, KrasimirBalakov, IordanLetchkov, TrifonIvanov. Des joueurs très intelligents, qui comprenaient le jeu tactiquement. D’ailleurs, ils sont presque tous devenus entraîneurs par la suite, ce n’est pas un hasard. Pour moi aussi, cela reste forcément un souvenir incroyable. Combien de temps faudra-t-il encore attendre avant de voir la Bulgarie en demi-finale d’une Coupe du Monde ? Aujourd’hui, mon pays, essaie encore vaille que vaille de se qualifier pour un grand tournoi, mais n’y arrive plus. Pourtant, il y a de bons joueurs, à l’image de DimitarBerbatov, mais qui se fait tirer l’oreille pour rejoindre son équipe nationale. Je peux comprendre qu’il ne répond pas aux appels avec beaucoup d’enthousiasme. A Manchester United, il est le roi, il est très apprécié des supporters, on ne voit que ses qualités. Lorsqu’il débarque en Bulgarie, on ne voit que ses défauts. Lorsque l’équipe perd, on lui fait porter la responsabilité de cet échec. Il y a toujours quelque chose qui ne va pas. Je comprends qu’à un moment donné, il ait dit : – Njet, j’enaimarre !  »

Stoichkov fut lui-même sélectionneur national de 2004 à 2007.  » Ce fut ma plus grande erreur « , reconnaît-il.  » Les joueurs bulgares étaient arrivés en fin de cycle et rejoignaient la sélection avec des pieds de plomb. Je ne pouvais rien en tirer.  » Il a remis sa démission en avril 2007, suite à des  » sentiments négatifs accumulés lors des qualifications pour l’EURO 2008 « .

Lorsqu’il n’est pas à Barcelone, Stoichkov est parfois en Afrique. Le mois passé, il a encore passé 48 heures au Burkina Faso, car il est ambassadeur good will de l’ONU pour l’alimentation et l’agriculture.  » J’adore ces escapades en afrique « , affirme-t-il.  » Là-bas, on rencontre encore des gens vrais, qui ne sont pas pourris par le fric. Les aider à sortir de la misère, à prendre la vie par le bon bout, accessoirement leur apprendre à jouer au football, c’est une vraie cause noble qui m’enthousiasme.  »

L’an passé, il s’était aussi occupé des Mamelodi Sundowns de Pretoria, mais les échos recueillis tentent à démontrer qu’il n’y a pas laissé que de bons souvenirs. Ses critiques envers le sélectionneur Carlos Alberto Parreira ont interloqué.  » Certes, il a été champion du monde avec le Brésil en 1994, mais de quelle manière ?  » Quand on disait que Stoichkov ne changera jamais…

PAR DANIEL DEVOS

 » Le Barça est le plus grand club du monde, il est connu aux quatre coins de la planète et même au-delà. « 

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