Le Real fut » Juvesque «
Deux clubs au passé aussi prestigieux que ténébreux. Deux sacrés palmarès mais aussi pas mal de restes moins sacrés. Pour la Juve, on sait, la justice est passée par là. Pour le Real, on ne saura jamais, le roi empêchera de passer. Pourquoi revenir avec ces histoires ? Par respect pour les » victimes « . Parce qu’aimer, c’est aussi ne pas oublier. Parce que même si, comme disait Simone Signoret, on ne sait pas » désaimer « , on ne doit pas non plus le faire aveuglément. Parce que la qualif du Real contre le Bayern est passée par là.
Soit, cette finale fut fantastique. Parce que improbable, illogique et inouïe dans son final. Le Real Madrid fut » Juvesque » dans ses fulgurances punitives. La Juve, une jeune fille pleine de charme avant de redevenir la » Vieille dame « . Cette Juve qui a fait du verbe défendre un plus-que-parfait à tous les temps. Un art appréciable, respectable et surtout spectaculaire. Comme toute oeuvre, le sublime se balade sur un fil tendu au-dessus du jugement qui peut le faire basculer du côté du ridicule. Un pigment pour les uns, une fausse note pour les autres ou encore une faute de français. Sur un échiquier footballistique, cela peut être une faute de placement, un moment d’égarement qui fait passer le » je » avant le » nous « .
Exactement ce que j’ai ressenti pendant ce match. Et mes pensées m’ont emmené en Catalogne. Du côté du Barça. Voilà que je comprends pourquoi il s’est débarrassé d’un joueur qui, pourtant, collait bien à l’esprit » footesque » du club. Dani Alves. L’encyclopédie de ce qu’un joueur d’un sport collectif ne doit pas faire. C’est-à-dire jouer tout seul. Pour lui-même. Un homme d’actions…individuelles. Moi qui aime l’improbable, je suis servi. Je prends même du plaisir avec ce mec. Mais question tactique, c’est le 12e homme… adverse. Et c’est là qu’on se dit que, sur le coup de 21h46, ce n’était plus la Juve sur la pelouse de Cardiff. La rayure blanche du maillot est restée au vestiaire. Le côté noir a pris le dessus.
Alves a fait de ce match un moment d’égarement permanent. De son flanc droit, un boulevard aux allures de » trip » à Las Vegas pour les Madrilènes. J’y joue, j’y gagne à tous les coups. Après le match, Allegri a déclaré : » Je sais ce qui s’est passé. » Par élégance, il n’a rien dit en public mais j’ai comme l’impression que son impression ne doit pas être très lointaine des lignes qui précèdent. Et là, on se dit qu’en foot, il n’y a d’élégant que le talent individuel des joueurs. Pas l’expression collective d’une mise en place. Que l’élégance d’Allegri l’a empêché de sortir Dani Alves dans une finale de Ligue des Champions.
Aigri, il doit l’être. Un magnifique entraîneur, il le restera. Comme Zidane l’est devenu. Encore plus vite que son génie de joueur. Zizou nous rappelle depuis qu’il est sur le banc du Real que le foot est d’abord et avant tout une relation humaine. Surtout dans un club qui peut s’offrir les meilleurs joueurs du monde. Son coup de génie fut, juste avant cette finale, de donner quelques jours de vacances à ses joueurs. Un esprit sain et libéré dans un corps de champion. Tels étaient les Madrilènes.
Zidane est un type authentique. Sincère. Je le pense vraiment pour l’avoir croisé et même un petit peu échangé avec lui. Son humilité teintée de timidité me semble vraie. Un humain devenu Dieu des terrains et qui les a quittés de façon magnifiquement humaine. Et donc touchante. Mais bon, ce coup de boule a quand même coûté une Coupe du Monde à la France.
Au Real, il y a aussi deux joueurs qui ont donné un fameux coup de boule à l’estime que l’on peut avoir pour les joueurs qu’ils sont. Sergio Ramos et Marcelo sont des compétiteurs hors norme mais ce ne seront jamais de grands champions. Leur » cinéma » n’en fait que des hommes de série Z alors qu’ils sont des footeux d’en haut de l’affiche. Ils s’en fichent. Ils ont sûrement raison. Comme nous d’aimer celui que les autres aiment détester. Cristiano Ronaldo s’aime beaucoup. Si » s’aimer » permet aux autres d’aimer follement, moi je prends.
PAR Frédéric Waseige
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