Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Parler de foot avec le coach des Loups : un vrai bonheur !

A lbert Cartier (43 ans) est arrivé à La Louvière sur la pointe des pieds. Début juin, pour le public belge, c’était  » Albert comment ? » Moins de trois mois plus tard, tout le monde sait que c’est le coach qui a hissé les Loups, pour la première fois de leur histoire, en tête de notre D1. Et les amateurs de foot comprendront bientôt que sa personnalité recèle de multiples facettes intéressantes : charisme, clarté dans le discours, humilité, contrôle des émotions, ambition, etc. Quand le Français détaille sa philosophie du football professionnel, on tend l’oreille et on se tait !

Match par match

 » Je ne vois jamais plus loin que le match qui suit. Bien préparer une rencontre exige déjà une concentration et une application terribles. Alors, en préparer deux ou trois à la fois… Dès le début de la semaine, je mets en place des ateliers de travail en fonction des qualités et des faiblesses du prochain adversaire. Excelle-t-il dans les duels aériens ? Joue-t-il essentiellement à ras du sol ? Est-ce une équipe de contre-attaque ? Notre programme dépend de tous ces paramètres, mais j’essaye de ne pas montrer à mes joueurs que leur travail est fonction du style de jeu de l’adversaire. Je ne veux surtout pas commettre l’erreur de leur rappeler toutes les trois minutes que l’équipe en question joue comme ceci ou comme cela. J’attends la deuxième partie de la semaine pour en parler ouvertement « .

La plus belle victoire

 » Le succès 2-1 contre le Cercle m’a donné plus de satisfaction que le 2-5 à Charleroi. Au Mambourg, nous avons eu la chance d’être très efficaces sur nos premières actions. En menant au score après une demi-heure, nous avons pris l’ascendant psychologique sur notre adversaire et cela nous a permis d’imposer notre style. Nous avons su défendre en avançant : c’est très important. Mais nous n’étions pas encore tout à fait prêts avant ce match à cause du renouvellement de la moitié de l’équipe et j’avais demandé à mes joueurs de privilégier le mental et la communication. Ces qualités, tout le monde peut les avoir, à condition de le vouloir. Que l’on soit dans son club depuis deux jours ou depuis deux ans. Alors qu’il faut obligatoirement du temps pour développer des automatismes et trouver le bon amalgame entre les créateurs, les travailleurs et les finisseurs d’un noyau… Travailleur, ce n’est certainement pas péjoratif. Dans chaque équipe, il y aura toujours des gars qui brillent et d’autres qui ne brillent pas : c’est une des lois du foot. Après la victoire à Charleroi, j’étais content aussi que les 18 joueurs se soient sentis concernés. Peter Odemwingie et Rogerio De Oliveira, qui sont montés en deuxième mi-temps, ont marqué pour sceller notre succès. Ils ont ainsi montré que, sans nécessairement être tout à fait prêts, ils étaient au moins compétitifs. Je compose toujours mon 11 de base en espérant qu’en cas de besoin, les réservistes et les blessés seront là pour courir, contrer, tackler, marquer.

Mais j’ai encore ressenti plus de bonheur après le match contre le Cercle Bruges parce qu’il a mis en valeur des notions essentielles pour moi : la lucidité, la solidarité, le courage, le refus d’abdiquer. Mes joueurs auraient pu essayer de changer de football quand ils se sont retrouvés menés au score. Ils ne l’ont pas fait, c’est une preuve d’intelligence. Ils ont continué à pratiquer ce que je leur avais enseigné au cours des six semaines de préparation. C’est pour cela que cette victoire, même si elle était moins spectaculaire et moins médiatisée que celle de la semaine précédente, était encore plus belle à mes yeux. Et, dans ce match aussi, c’est un réserviste qui a fait la différence : Rafik Djebbour nous a offert la victoire en jouant moins d’une demi-heure. Il jouait pour son frère, dans un coma profond après un accident de moto : 20 minutes après avoir fêté son but sur le terrain avec ses équipiers, il a complètement craqué dans le vestiaire. Normal « .

Pouvoir attaquer et devoir défendre

 » Vous me dites qu’après une victoire, je mets plus l’accent sur ce qui n’a pas marché que sur ce qui a été bon. Je suis comme ça : je cherche toujours à comprendre pourquoi on a gagné ou perdu et je refuse les excuses toutes faites, du style : -On a perdu parce que la literie était mauvaise ou parce que la collation de la mi-temps était trop lourde. Nous avons pris deux buts à Charleroi et un contre le Cercle : cela ne me plaisait pas. Tous les grands matches se gagnent d’abord en défense. Attaquer, tout le monde peut le faire ; défendre, tout le monde doit le faire. Pour viser plus haut que le maintien, il faudra que tous les joueurs du noyau se soient imprégnés de cette réalité et le montrent sur la pelouse « .

Objectif maintien

 » Quand je parle de maintien pour La Louvière, ce n’est pas de la fausse modestie. Cet objectif avancé par la direction est réaliste en fonction de la réalité économico-sportive. Nous visons, dans l’ordre, le sauvetage et l’intégration de jeunes dans le noyau pro. On dit que le maintien se négocie autour des 30 ou 35 points. Je veux que nous en prenions 40 le plus vite possible. A partir de ce moment-là, seulement, on pourra parler d’autres choses. Le faire avant serait déplacé, malvenu, inapproprié « .

L’ombre d’Ariel Jacobs

 » Je ne suis pas venu pour tout révolutionner mais pour prolonger le travail réalisé par Ariel Jacobs parce que c’était de l’excellent boulot. Il faut que le club continue à progresser. Avec d’autres responsables sportifs. Tout a changé : des joueurs, le coach principal, l’adjoint, le manager. Le seul lien entre le passé et l’avenir, c’est le président. La présence et le travail de Jacobs planeront éternellement sur ce stade. Et je n’ai surtout pas envie de voir disparaître cette ombre. L’homme a marqué l’histoire de club. Je sais que, quand je quitterai La Louvière, les gens ne retiendront pas la même image de moi que de Jacobs. Ce n’est pas mon but et c’est impossible parce que nous n’avons pas la même personnalité « .

Une politique sportive globale

 » Je supervise le travail de tous les noyaux, des équipes d’âge à la Première. Mais je ne peux pas avoir un contact direct et permanent avec tous les entraîneurs du club parce que c’est physiquement impossible. (Il regarde sa montre). Il est 19 heures, vous savez que je suis ici depuis 6 h 30 du matin ? C’est impossible pour moi d’aller observer les 6, les 7, les 8, les 12 et les 14 ans ! C’est pour cela qu’un responsable a été nommé pour superviser la politique sportive globale : c’est lui qui fait redescendre mes idées jusqu’à la base. Dans ce cadre, la présence du duo Léon SemmelingRégis Genaux est aussi terriblement importante « .

Les inconnus

 » Le public belge ne connaissait pas la plupart des joueurs qui sont arrivés cet été. Pour moi, ce n’étaient évidemment pas des énigmes. J’ai suivi leur parcours, je savais donc ce qu’ils valaient balle au pied. Et, dès que nous avons pensé sérieusement à eux, j’ai collecté un maximum d’informations sur leur personnalité et leur façon de vivre dans un groupe. On pourra toujours faire d’un homme un footballeur. Alors que le contraire est impossible. Chacun de mes joueurs doit être un bon coéquipier et peut être un leader « .

Rigueur, transparence, créativité

 » Ce sont les trois grands axes de mon travail. D’abord la rigueur : on ne peut pas travailler correctement dans le désordre. La rigueur permet de faire bouger les choses mais sans empêcher la bonne humeur. Ensuite la transparence : les joueurs doivent savoir ce que je pense d’eux, que ce soit positif ou négatif. Je n’ai pas le droit de les laisser dans le flou. Enfin la créativité : je veux être un entraîneur chercheur, trouver continuellement de nouveaux exercices et apporter des touches parfois surprenantes. J’attends des joueurs qu’ils fassent la même chose, qu’ils se montrent créatifs. Un gars comme Yannick Vervalle est capable de faire une longue chevauchée balle au pied avant de forcer un penalty, donner un assist ou marquer un but. Il a donc ma bénédiction pour tenter des raids de 50 mètres. Les autres aussi, en fonction de leurs qualités et à condition de ne pas essayer n’importe quoi. La créativité aiguise le sens des responsabilités. Cette notion de prise de responsabilités, je veux aussi la retrouver sur les phases arrêtées importantes : les corners, les coups francs aux abords du grand rectangle adverse et les penalties. Il y a une hiérarchie de tireurs, mais elle peut être bousculée en cours de match. Si le tireur désigné ne se sent pas bien, j’insiste pour qu’il passe son tour. Moi, si je ne suis pas en forme avant d’entamer un long trajet en voiture, je cède le volant. Même si c’est ma voiture !  »

Un budget ridicule

 » Ce n’est pas la première fois que j’entraîne un club qui a un des plus petits budgets de la série : j’ai connu cette situation à Metz et à Gueugnon. Ce n’est pas un problème. L’argent vous permet de payer un médecin mais pas d’acheter une bonne santé. C’est un outil important mais pas le facteur le plus déterminant. La Louvière n’a pas les moyens de se payer les footballeurs les plus doués, alors nous devrons compenser autrement. L’être humain n’utilise généralement que 15 à 20 % de son potentiel physique et intellectuel. C’est connu. C’est l’éducation moderne qui veut cela. On se fixe des limites trop facilement accessibles, puis on se satisfait du niveau qu’on a atteint. Je veux renverser cette habitude dans mon travail avec le noyau de La Louvière. Je ne demande pas à mes joueurs de tourner à 200 % de leur potentiel : 100 %, ce serait déjà très bien « .

Une conception anglo-saxonne de la défaite

 » Pour les Latins, la défaite a quelque chose de honteux parce qu’ils considèrent que leur orgueil est atteint. Dans les pays anglo-saxons, on ne voit pas les choses de la même façon : elle est intégrée dans l’acte sportif. Elle fait partie des possibilités, au même titre que la réussite. Je hais la défaite parce que c’est le meilleur moyen pour aimer la victoire, mais je refuse de parler d’échec. En sport, il n’y a pas d’échec mais seulement des réussites différées. On ne gagne pas aujourd’hui mais on peut s’imposer demain. De même, il ne peut pas y avoir d’esprit de vengeance ou de revanche mais simplement la conviction que d’autres compétitions suivront « .

Pouvoir et autorité

 » On peut avoir le pouvoir sans être autoritaire. Je ne confonds pas les deux notions. Quand j’ai renvoyé Odemwingie de l’entraînement, ce n’était pas une crise d’autorité. J’ai seulement voulu montrer que le pouvoir était entre mes mains. Je pouvais comprendre les inquiétudes et le manque d’assiduité de ce joueur ballotté entre La Louvière et Blackburn, mais je ne pouvais pas accepter dans mon groupe un joueur affichant un état d’esprit pareil. Odemwingie pensait à son transfert alors que les autres joueurs devaient se concentrer sur le match contre le Cercle. Il n’était pas dans la bonne dynamique, je ne pouvais pas le laisser au contact des autres gars du groupe « .

Les capitaines

 » Je suis devenu capitaine de Nancy, en D1, à 22 ans. L’entraîneur avait remarqué que je raisonnais en termes collectifs. Il y a des leaders techniques : ceux qui occupent une position déterminante dans l’entrejeu. Il y a des leaders émotionnels : ils calment l’équipe quand la tempête se lève. Pas nécessairement par des mots durs, mais par leur attitude générale : ils écartent les bras ou font le petit geste indispensable au bon moment. Moi, j’étais un leader institutionnel : je représentais les valeurs de mon club, la formation, la solidarité, l’attachement au maillot. Après cela, j’ai été nommé capitaine de Metz pour les mêmes raisons. Et quand j’ai arrêté de jouer, c’est Sylvain Kastendeuch qui a repris le brassard : lui aussi épousait totalement la philosophie du club. A La Louvière, j’ai désigné Gunter Van Handenhoven car j’estimais qu’il possédait le meilleur profil : il a de la personnalité, il pense au groupe et au club, il a un passé sportif intéressant (un Mondial des -20, un épisode de capitaine en Espoirs, des matches en D1 française). Et en plus de cela, il est belge. Or, je voulais absolument un capitaine belge. Je montre ainsi que je reconnais votre football et vos footballeurs. Il est temps que vous arrêtiez de vous sous-estimer. Les Français l’ont fait pendant des années. Ils se croyaient plus petits que tous leurs voisins et ils prenaient des claques. Un jour, ils ont enfin pris conscience que, comme les Anglais, les Italiens, les Espagnols et les Allemands, ils avaient deux bras et deux jambes. Ils ont hurlé : -Stop, basta ! Et, comme par hasard, ils se sont mis à tout gagner. Vous avez un déficit de formation ? Et alors ? Ça se corrige, que je sache. A condition d’avoir le désir. L’envie ne suffit pas « .

Coach bon marché

 » On a pu lire dans la presse flamande que j’avais été choisi par La Louvière parce que je n’étais pas cher : ça ne me dérange pas. Le titre de mon mémoire, pendant ma formation de coach, était : Entraîneur de football : profession ou destin ? J’ai cherché à démontrer que c’était un destin. Vous devenez un bon entraîneur parce que vous avez décidé dès votre plus jeune âge de pratiquer cette activité. On ne devient pas entraîneur à 33 ans sous prétexte qu’on ne sait pas quoi faire d’autre. Je sais que j’entraînerai toujours. Peut-être au plus bas niveau, dans quelques années, mais je serai toujours dans la corporation. Quand j’étais joueur à Nancy, j’ai reçu des offres du PSG, de Marseille et du Matra Racing. Je pouvais y gagner dix fois plus. Mais je suis resté parce que je ne voulais absolument pas quitter Arsène Wenger. J’avais conscience d’emmagasiner, avec lui, des tonnes d’informations qui me serviraient dans ma reconversion. L’aspect financier n’était pas une priorité pour moi il y a 20 ans, et rien n’a changé entre-temps « .

Tilmant futur T1

 » Le rôle premier d’un adjoint n’est pas de travailler avec son entraîneur mais de bosser pour son entraîneur. Fred Tilmant est tout à fait dans cette lignée. Tout en travaillant pour moi, il garde sa personnalité. Et je ne voudrais surtout pas que cela change. Je ne suis pas là pour lui demander de respirer en même temps que moi… C’est en conservant sa spécificité qu’il a fait une belle carrière de joueur. S’il reste comme il est, il fera aussi un bon parcours de coach, puis un joli bout de chemin comme entraîneur principal. Mais chaque chose en son temps. Il y a des exceptions, comme Didier Deschamps, mais un stage en tant qu’adjoint est un passage presque obligé avant de devenir T1. Ce n’est pas à moi de dire pourquoi Enzo Scifo, Michel Preud’homme et Jean-Marie Pfaff ne se sont pas imposés comme coaches en chef, mais je constate qu’ils avaient sauté une étape. Comme par hasard « .

Pierre Danvoye

 » Je voulais un CAPITAINE BELGE  »

 » Il y a trois sortes de LEADERS : les TECHNIQUES, les ÉMOTIONNELS, les INSTITUTIONNELS « 

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