Le prix de la critique

Le capitaine anderlechtois a passé la barre des 250 matches en D1. Décrié, il s’est imposé à force de caractère.

C’était à Gand. Un match en déplacement. Ni fleurs, ni cadeaux donc. Pourtant, ce jour-là, le capitaine anderlechtois fêtait son 250e match en D1. Toutes des rencontres disputées avec la vareuse mauve et blanche. Une gageure. Depuis lors, il est entré dans le cercle très fermé des 25 joueurs les plus capés d’Anderlecht. Dans le noyau actuel, Olivier Deschacht est de loin le joueur le plus fidèle au cercle bruxellois. Le plus expérimenté en D1 belge également. Réussir une telle carrière dans le plus grand club de Belgique constitue déjà une réussite en soi. Encore plus quand on dispose des qualités de Deschacht, souvent décrié, jamais porté aux nues. Il a dû se battre à la fois contre les censeurs, contre ceux qui ne se pâment que devant les virtuoses, contre ses propres supporters habitués à acclamer les Robby Rensenbrink ou Marc Degryse en attaque et à évoquer les Morten Olsen, Henrik Andersen, Georges Grün ou autre Vincent Kompany, les défenseurs élégants marques de fabrique RSCA.  » On peut dire de lui que de joueur moyen qu’il était autrefois, il s’est transformé en un des meilleurs défenseurs de Belgique « , affirme Werner Deraeve, chef de la cellule scouting d’Anderlecht.

 » Il peut sembler limité mais est capable de grands matches « , ajoute Grün.  » Parfois, il manque de technique mais il fait ses matches. On a l’impression qu’il est mauvais et on s’étonne quand il est bon. « 

 » Je n’ai pas attendu qu’Anderlecht brille en coupe d’Europe et domine le championnat pour affirmer toute mon estime pour Deschacht « , conclut l’adversaire Milan Jovanovic.  » C’est un joueur sous-estimé et j’ai toujours vécu des matches très durs contre lui.  »

Son parcours

 » Nous avons transféré Deschacht des Scolaires de Lokeren « , ajoute Deraeve.  » Il a connu une première saison très délicate mais à partir de la deuxième année, cela n’a fait qu’aller de mieux en mieux. Signe de sa persévérance et de sa mentalité. Bien que nous savions (et lui aussi en était conscient) que ses qualités étaient limitées, il n’a cessé de se donner à fond. « 

 » Deschacht faisait partie des jeunes entraînés par Frankie Vercauteren « , se remémore Aimé Antheunis,  » Après la bonne campagne en Ligue des Champions, plusieurs joueurs sont partis et c’est la raison pour laquelle plusieurs jeunes ont frappé à la porte. Parmi ceux-ci, il y avait notamment Deschacht. Je l’ai vu travailler énormément à l’entraînement. Chaque jour, il s’améliorait. Il était très critique vis-à-vis de lui-même et ne rejetait jamais la faute sur les autres. Quand il était mauvais, il l’admettait. Beaucoup de gens trouvaient qu’il avait le niveau pour la troisième division mais j’ai perçu un potentiel beaucoup plus grand « . C’était le début de l’aventure. En 2001.

Si Deschacht est encore là, près de dix ans plus tard, il le doit à sa mentalité.  » Son caractère, c’est sa marque de fabrique « , explique Deraeve.  » Il veut toujours gagner. Il a toujours dû se battre pour une place dans l’équipe première et bien qu’il ne soit pas le plus talentueux, il est toujours là dans le onze de base. C’est un gagneur agressif, dans le bon sens du terme. « 

 » Les doutes qui planaient autour de lui se sont envolés complètement « , explique Hugo Broos, entraîneur des Mauves de 2002 à 2005.  » Même moi, je n’étais pas complètement convaincu lorsque j’entraînais les Mauves. Je me souviens qu’on s’était même mis à la recherche d’un nouveau flanc gauche. Finalement, ce ne fut pas nécessaire. Olivier sait ce dont il est capable ou pas. Je sens depuis le début une réelle volonté de réussir chez lui. Cela se voyait à la manière dont il s’entraînait et à la vie qu’il menait. Il voulait devenir titulaire et le rester ! Pour un entraîneur, c’est agréable de pouvoir compter sur de tels professionnels. Pourtant, ce fut loin d’être évident pour lui car son entourage ne se prête pas à cela. Son père est un industriel fortuné et qui a réussi. Mais Olivier voulait tracer son propre chemin.  »

Sa position

 » C’est le meilleur back gauche de Belgique « , clame Jovanovic.  » Il répond à tous les critères du back gauche : il est toujours bien placé et lit très bien le jeu. De plus, il est précis dans ses passes. « 

 » Au back gauche, il est très fort « , continue Anthuenis.  » C’est sans doute sa meilleure position. Il est intelligent et sent quand il doit faire le dédoublement. Mais il a prouvé sa polyvalence ces dernières saisons lorsqu’il fut appelé en défense centrale. Avec Roland Juhasz, il forme un duo particulièrement complémentaire. Sa principale force reste quand même le duel. Il voit et sent le jeu. Et avec le temps, il a acquis énormément de maturité. Je ne suis pas d’accord avec l’avis de certains analystes qui affirment qu’il n’est pas bon à la construction. Au contraire, il est très fort ! La même remarque vaut également pour Jelle Van Damme. Ce n’est pas parce que tu es Belge que tu n’es pas bon.  »

 » Quand on compare le jeu de ses débuts à maintenant, on peut voir qu’il a amélioré beaucoup d’éléments « , continue Deraeve.  » Son jeu de position, sa technique et sa volonté. Pour l’axe, je trouve qu’il lui manque quelques centimètres et la puissance nécessaire à cette position. Ses qualités conviennent davantage sur les côtés. « 

 » De plus, son jeu de tête n’est pas terrible « , ajoute son ancien co-équipier Glenn De Boeck.  » Mais même dans une défense à trois, il se débrouille. Ce n’est pas donné à n’importe quel défenseur.  »

 » Au début, il faisait régulièrement des fautes « , affirme Broos.  » Il avait beaucoup de problèmes avec son jeu de position. La présence d’ Hannu Tihinen, qui l’a guidé et lui a appris à rester calme dans certaines situations, fut importante pour son développement. Aujourd’hui, je ne saurais dire quelle est sa meilleure position. Cela dépend un peu des circonstances. Mais sa polyvalence constitue un avantage.  »

Capitaine

 » C’est un honneur d’obtenir le brassard de capitaine à Anderlecht « , argumente Anthuenis.  » C’est rare et n’est pas donné à tout le monde. Pourtant, il a reçu beaucoup de critiques et cela s’est apparenté à un cadeau empoisonné. Ce n’est pas parce qu’il est le fils de son père qu’il est devenu capitaine. Il a dû faire ses preuves. « 

 » Les critiques ne l’ont pas épargné « , ajoute De Boeck,  » mais s’il joue dans le plus grand club de Belgique, cela signifie quelque chose, non ? A Anderlecht, le public s’amourache des joueurs qui font la différence, comme Mbark Boussoufa ou Romelu Lukaku. Pourtant, il est fort important dans le dispositif des Mauves et les fans commencent à le comprendre. Il devient de plus en plus populaire et cela lui enlève une certaine pression. Chaque équipe a besoin d’un élément comme Deschacht. Les joueurs qui s’effacent au profit du club ne sont pas légion et pourtant, il y en a encore un à Anderlecht.  »

 » Ce fut un bon choix de le nommer capitaine car il porte ce sens des responsabilités depuis longtemps « , dit Broos.  » On ne fait pas 250 matches en D1 et on ne devient pas capitaine d’Anderlecht par hasard « , s’enflamme Jovanovic.  » Il sait exploiter ses qualités et cacher ses défauts. C’est un signe d’intelligence. « 

Quant à Grün, il conclut en disant :  » Il le mérite car il est tout le temps sur le terrain. Il est hyper pro et jamais blessé. En cela, il montre l’exemple. Par contre, on ne peut pas vraiment parler de meneur. Il manque un peu de présence. Aujourd’hui, il n’y a pas, à Anderlecht, une personne charismatique qui a l’envergure pour diriger la défense. « 

Equipe nationale

Reste alors le chapitre international. Snobé par René Vandereycken, à peine repris dans le noyau des Diables Rouges, Deschacht n’a toujours pas réussi à y faire son trou. 24 sélections, c’est peu.  » Cela demeure un mystère : pourquoi a-t-il été écarté aussi longtemps ? », résume Broos.

 » Un joueur avec une telle mentalité doit toujours être repris « , affirme De Boeck.

 » Celui qui est capitaine à Anderlecht mérite toujours sa sélection en équipe nationale « , explique Anthuenis.  » Evidemment, on peut en choisir un autre, comme Sébastien Pocognoli. C’est une question de choix ou de style mais si j’étais sélectionneur, je le prendrais avec moi.  »

 » La concurrence est forte. Outre Pocognoli, on y trouve également Thomas Vermaelen et Jelle Van Damme « , corrobore Deraeve.

 » Oui mais Vermaelen est avant tout un défenseur central et Van Damme preste mieux dans l’entrejeu « , tempère Broos.  » Quant à Pocognoli, il est jeune et au niveau de la maturité, Deschacht se situe un échelon plus haut. Aujourd’hui, c’est le meilleur back gauche belge et il possède actuellement le niveau international. « 

Son futur ?

A 29 ans, Deschacht s’oriente vers une carrière à la belge, sans une pige à l’étranger.  » Je ne pense qu’il est fait pour une aventure à l’étranger « , pressent Deraeve.  » Il connaît Anderlecht et Anderlecht le connaît. « 

 » C’est un bon joueur de D1 belge et il n’a pas intérêt à partir à l’étranger « , explique Grün.  » Encore faut-il que l’étranger le courtise car les bons championnats ont surtout besoin d’étrangers capables d’apporter une plus value par rapport aux joueurs du cru. C’est également un signe des temps. Si vous êtes très bon, vous partez à l’étranger très vite et très jeune. Si vous faites toute votre carrière en Belgique, c’est qu’il vous manque un petit quelque chose. « 

par stéphane vande velde – photos: belga

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