Le prisonnier

Les sponsors le poussent à rejouer, le Brésil l’attend: est-il vraiment maître de son destin?

Universellement porté aux nues, voici pourtant trois ans qu’il n’a plus justifié son surnom, assez encombrant: El Fenomeno. Depuis la finale de la Coupe du Monde 1998, Ronaldo suscite pas mal de curiosité. Il constitue même un mystère. On a beaucoup parlé du malaise (une crise d’épilepsie?) dont il a été victime quelques heures avant le coup d’envoi du match contre la France. Au Brésil, il y a même eu un procès. Mais rien n’en est sorti.

Les joueurs qui, comme Roberto Carlos, avaient déclaré qu’ils ne comprenaient pas pourquoi Ronaldo avait été aligné, laissant sous-entendre qu’un sponsor avait exigé qu’il joue, ont fait marche arrière. Ronaldo, quant à lui, s’est contenté de préciser qu’il avait de bons rapports avec son sponsor mais que jamais, celui-ci ne l’avait obligé à monter sur le terrain.

Le 4 novembre, contre Lecce, Ronaldo a effectué son retour en championnat d’Italie, presque deux ans jour pour jour après l’avoir quitté. Il ne sera resté que 13 minutes sur le terrain: une contracture à la cuisse gauche l’a obligé à abandonner ses équipiers de manière précipitée. Juste le temps de toucher trois ballons et d’effectuer quelques timides accélérations.

Sur le site de l’Inter, il a quand même tenu à adresser un message aux supporters: « Je remercie tous les supporters et les passionnés de football du monde. Ils me sont toujours restés proches et ont fait de moi leur favori. Mais bien vite reviendra le moment où les supporters des équipes adversaires de l’Inter recommenceront à me siffler et ce ne sera que juste. Je souhaite que cela m’arrive très rapidement parce que cela signifierait que j’aurais effectivement repris le chemin du terrain et des buts adverses. Contre Lecce, je n’ai jamais pensé aux contacts et aux coups de pied. Je songeais seulement à la manière de créer des brèches dans la défense adverse. Alors que j’étais dans les parages de la ligne médiane, j’ai ressenti une légère douleur après une rotation du tronc. Je me suis alors instantanément approché du banc où les médecins et les kinés ont diagnostiqué une contracture. Patience. Je recommencerai dès demain. D’ailleurs, après cette blessure, je n’ai plus de partie de mon corps où je peux me faire mal. Le pire est passé. Nous nous reverrons bientôt ».

Le même discours depuis deux ans

Voilà un discours que l’on entend déjà depuis deux ans et qui a renforcé une fois encore les convictions des pessimistes qui prétendent que le joueur ne retrouvera jamais la totalité de ses moyens et rappellent sans cesse l’exemple de Marco Van Basten qui, lui aussi, annonçait un retour imminent qui n’a jamais eu lieu. Pour ces sceptiques, il est déjà miraculeux que Ronaldo puisse simplement encore courir. Et ils se plaisent à souligner que chaque fois qu’il dispute un bout de rencontre, il a besoin d’un mois de repos. Ils rappellent que le joueur ne donne jamais de date pour son retour et réfutent le fait que ce soit par superstition.

Le 7 octobre dernier, le Brésil doit affronter le Chili et, trois semaines avant ce rendez-vous, Luiz Scolari, le sélectionneur de la Seleçao, le convoque en vue de cette rencontre. Une sélection surprenante dans la mesure où Ronaldo n’a pas encore disputé un match de championnat depuis le 21 novembre 1999. Et que le 20 septembre, il a remplacé son compatriote Adriano à la 62e du match aller de Coupe de l’UEFA contre la modeste équipe roumaine de Brasov alors que la marque était de 3-0 pour son équipe. Une semaine plus tard, Ronie entamait le match retour, mais après une demi-heure de jeu, il s’occasionnait une élongation qui l’obligeait à quitter le terrain. Cette nouvelle blessure n’empêche pas Ronaldo de rentrer au pays. Personne ne comprend ce qu’il va faire là-bas. Il est blessé mais, dans l’absolu, on ne sait pas vraiment où il en est. Les seuls renseignements qui filtrent, c’est le joueur lui-même qui les dévoile à la presse. Et comme il déserte les conférences de presse… Les médecins ne disent rien des blessures bénignes, hématomes ou entorses, des joueurs de deuxième rang; il est donc difficile de s’imaginer qu’ils vont s’étendre sur l’état de santé de la star brésilienne. Hector Cuper, l’entraîneur de l’Inter, lui, met les pieds dans le plat, soulignant l’absurdité de la situation et déclarant que si le joueur était vraiment blessé, il n’est pas capable de tenir sa place. Des propos qui ne font pas fait plaisir à la direction du club milanais.

Le cadeau d’anniversaire de Van Nistelrooij

A Curtiba, Ronaldo se rend à l’évidence: il n’est pas en mesure de disputer la rencontre de Coupe du Monde et, lors d’une conférence de presse, il avoue que le contrat le liant à Nike contient une clause selon laquelle il peut être résilié s’il n’est pas sélectionné en équipe nationale pendant plus de deux ans. Et le match contre le Chili est fixé juste avant l’échéance, son dernier match avec la Seleçao remontant au 9 octobre 1999 contre les Pays-Bas.

D’ailleurs, le jour de son 25e anniversaire, le 22 septembre, Ruud Van Nistelrooij lui a fait parvenir un paquet dans lequel se trouvait le maillot qu’il avait porté ce jour-là, avec un petit mot d’encouragement. Le Brésilien a apprécié le geste de l’attaquant de Manchester United qui, lui aussi, a été victime d’une grave blessure l’ayant tenu longtemps à l’écart des terrains.

Rentré en Italie, Ronaldo ne peut prendre part à la rencontre du mercredi 10 octobre face à Vérone, ni même à celles prévues les deux week-ends suivants. Mais El Fenomeno a repris l’entraînement et annonce son retour pour la rencontre au sommet du 27 octobre contre la Juventus. Ce jour-là, Hector Cuper ne le retient même pas dans les seize. Rapidement, on parle de polémique entre les deux hommes. Sur son site, Ronaldo lance le message suivant: « Jamais personne n’est allé à l’encontre des décisions de Cuper. Et nous n’avons jamais été opposés l’un à l’autre. Il est l’entraîneur et il décide comme il l’entend. Les choix faits jusqu’ici l’ont été de manière commune. Nous étions tous d’accord: le staff médical, lui et moi. Et jamais personne n’a songé à lancer la moindre polémique ».

Dans la foulée, Hector Cuper promet au public que Ronaldo jouera une partie de la rencontre contre Lecce, le 4 novembre. Tout un symbole: c’est justement contre cette équipe qu’il avait fait sa dernière apparition en championnat.

L’entraîneur avoue qu’il a une appréhension. Il craint le climat musclé de la rencontre. Si des coups de pied devaient être échangés dès les premières minutes, il serait peu judicieux de lancer le Brésilien dans la bagarre. Mais Cuper ne peut traiter ce joueur d’une manière différente de ses autres footballeurs, surtout d’un point de vue économique. Si Ronaldo est vraiment en forme, il est logique qu’il joue. L’entraîneur ne se trouve pas dans une position confortable. Ronaldo veut jouer; le public veut qu’il joue, et Massimo Moratti, le président de l’Inter, veut voir sa star sur le terrain.

Le mercredi précédant la rencontre, le coach argentin a demandé à Juan Manuel Alfano de soumettre le joueur à des tests physiques. Ceux-ci enlèvent à Cuper tous ses doutes: Ronaldo a obtenu des résultats excellents, supérieurs à ceux qu’il avait réalisés le 18 juillet à l’occasion du stage en altitude dans les Dolomites. Après un match à trois contre trois, (Ronaldo, Di Biagio et Pacheco contre Vieri, Sükür et Conceiçao), l’entraîneur se dit qu’il n’est pas utile d’alimenter de nouvelles polémiques et annonce officiellement que le Brésilien entamera la rencontre le week-end suivant.

Une sombre histoire d’assurance

Ce jour-là, Ronaldo ne fait aucune déclaration sur son site Internet alors que, jusque-là, il y avait fait part de tous ses états d’âme. Enfin, l’important était de savoir que le moment tant attendu était arrivé. Ils étaient nombreux à croiser les doigts depuis près de deux ans pour que ce grand retour ait lieu. Car cela ferait du bien à plusieurs personnes.

A Moratti pour commencer: voici quatre saisons qu’il possède le joueur et il ne l’a vu jouer qu’une seule année. Il n’en fait pas un problème économique mais, avec le temps, cela pourrait bien le devenir. Selon des sources brésiliennes, Ronaldo serait assuré pour 6,447 milliards qui, en cas d’interruption de carrière, seraient partagés en deux: 4,515 milliards pour l’Inter et 1,932 milliard au joueur. Mais selon les mêmes sources, ces mêmes polices d’assurance ne seraient pas valables en cas de double intervention chirurgicale au même membre…Ce qui est le cas de Ronaldo, opéré deux fois en cinq mois au tendon rotulien (novembre 99 et avril 2000).

D’autres attendent avec impatience le retour du messie: les patrons de l’équipe nationale brésilienne notamment. Au-delà des mauvais résultats, la Seleçao a besoin d’un élément charismatique. Rivaldo ou Romario ont beau être de bons joueurs, ils tirent une drôle de tête sur toutes les photos alors que Ronaldo n’arrête pas de montrer ses grandes dents de lait, comme il les appelle.

Il y a les sponsors aussi. Ils sont prêts à lui faire de nouvelles propositions. En 2002, deux contrats arriveront à terme et, à l’approche de la Coupe du Monde, il ne fait pas de doute que s’ils ne veulent pas prolonger leur bail, ces deux parraineurs seraient vite remplacés, tant les candidats se bousculent. Conscients de cette situation, les deux managers brésiliens du joueur (le troisième est italien) ont imaginé la possibilité de prêter pour quelques mois Ronaldo à un club brésilien, juste le temps de retrouver doucement le rythme de la compétition. Jusqu’à présent, Moratti s’est toujours opposé à ce projet.

Il n’en reste pas moins que revoir Ronaldo taper dans un ballon au cours d’un match à enjeu est devenu une obsession médiatique. Même convalescent, le Brésilien reste une superstar. Et ce n’est pas par hasard que la RAI, la télévision italienne, avait acheté les droits pour le match de deuxième rang contre Brasov, disputé sur terrain neutre à Trieste, devant une dizaine de milliers de spectateurs.

Mais deux ans de souffrances ne s’effacent pas d’un coup de baguette magique.

Nicolas Ribaudo

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