LE PRINCE D’EGYPTE

Bruno Govers

Le troisième Pharaon, sera-t-il le bon pour le RSCA ?

Anderlecht n’a pas encore eu beaucoup de chance, jusqu’ici, avec les footballeurs égyptiens. Après avoir donné son accord verbal en faveur d’un passage au Parc Astrid, en 2001, l’avant de La Gantoise Ahmed Mido Hossam s’était empressé, à la surprise générale, de rallier les rangs de l’Ajax Amsterdam où il n’allait pas s’imposer. Pas plus qu’au Celta Vigo, Marseille et AS Rome, avant d’enfin sembler se stabiliser cette saison à Tottenham Hotspurs.

Le Sporting ne fut pas plus heureux non plus avec le flanc gauche Tarek El Saïd, recruté au Zamalek le même été mais dont le séjour au stade Constant Vanden Stock se limita à sa plus simple expression. Les Mauves auront-ils davantage la baraka avec leur troisième Pharaon, Ahmed Hassan ? Aux dires d’ Inas Mazhar, rédactrice en chef d’ Al Ahram Weekly, les plus beaux espoirs sont manifestement permis.

 » L’intéressé constitue un véritable phénomène au pays « , dit-elle.  » Contrairement à la plupart des internationaux, originaires de la partie septentrionale du territoire, il a vu le jour et s’est solidarisé au football dans le sud, nettement plus chaud, où les clubs ne se comptent quasi que sur les doigts d’une seule main. Défavorisé géographiquement au départ, le joueur a réussi la gageure de s’immiscer au sein des sélections nationales des jeunes, alors qu’elles forment généralement la chasse gardée des cercles les plus représentatifs, ceux du Caire notamment. Enfin, comme si ces contre-exemples ne suffisaient pas, Ahmed Hassan s’est permis aussi, en début de carrière, de snober une offre d’El Ahly, la référence absolue au même titre que son frère ennemi de la capitale, le Zamalek. Après coup, il s’est régulièrement distingué des autres. Il a été ainsi le premier joueur non actif dans un club cairote à être transféré pour un montant record de 150.000 euros en Turquie. Depuis, il a continué à collectionner les performances : six participations d’affilée en phase finale de la Coupe d’Afrique des Nations en 1998 et 2006 agrémentées de deux succès et une nomination en tant que meilleur joueur de l’épreuve cette année. Inutile de préciser que, plus que Mido, il constitue la référence absolue chez nous « .

Découvert et lancé par Ruud Krol

 » Deux entraîneurs ont exercé une influence capitale sur ma carrière : Ruud Krol et Mahmoud Al Gohari « , précise Ahmed Hassan.  » Le Néerlandais, qui supervisait les équipes représentatives des jeunes en Egypte, au beau milieu des années 90, aura été le premier à croire en moi. Après un vaste tour d’horizon, qui l’avait poussé à s’intéresser aussi aux rares clubs sudistes, contrairement à ses devanciers, j’ai eu le bonheur, à l’âge de 19 ans, de débuter en sélections Olympique et Espoir. C’était du jamais vu car, dans cet effectif, ne figuraient pour ainsi dire que des éléments des trois ténors que sont El Ahly, le Zamalek et Ismaïlia. Les seuls intrus étaient Azem Emam, qui jouait à l’Udinese à l’époque, l’attaquant Mohamed Ali Maher, d’El Tersena, et moi-même qui défendais les couleurs du SC Assouan. Malgré les réticences, l’ancienne étoile du football hollandais fit de moi la pierre angulaire de la sélection égyptienne appelée à disputer les Jeux Africains au Zimbabwe, en 1995. Ce fut un véritable coup dans le mille car en dépit d’une foule toute acquise à la cause de ses représentants, à Harare, nous l’avons emporté 1-3, en finale, face à l’équipe locale. J’avais été l’un des artisans de ce succès en inscrivant un but et en délivrant deux passes décisives. Du coup, ma voie était tracée, non seulement chez les jeunes mais également chez les A, pour lesquels j’ai effectué mon maiden match le 29 décembre de la même année face aux Black Stars du Ghana. En principe, j’aurais dû participer, dans la foulée, à ma première phase finale de la Coupe d’Afrique des Nations, en Afrique du Sud. Malheureusement, je m’étais blessé lors d’un match de préparation et elle m’avait filé sous le nez. Il m’a fallu patienter deux ans de plus pour célébrer cet événement. Son apothéose s’est déroulée au Burkina Faso au mois de février 1998 et ce devait être là l’entame d’une formidable histoire d’amour entre les Pharaons et moi. Il va sans dire que la victoire obtenue chez nous, cette année, dans le cadre de cette compétition, me laisse un souvenir magique. D’autant plus que j’ai été sacré meilleur joueur de l’épreuve devant Samuel Eto’o et Didier Drogba et que j’ai terminé deuxième meilleur buteur, avec quatre réalisations, derrière le Camerounais. Mais, à choisir, ce tout premier sacre, à Ouagadougou, revêtait une autre dimension encore. Là, contrairement à ce qui s’était déroulé à l’occasion de nos triomphes antérieurs en 1959 et 1986, voire même cette année, nous ne possédions pas l’avantage du terrain. Et chacun sait combien c’est un facteur déterminant au plan africain. Chez les Burkinabés, en dépit d’une opposition relevée, nous n’avions dû compter que sur nous-mêmes ainsi que sur la science footballistique du coach Al Gohari « .

Consolidé par Al Gohari

Hassan :  » Si Krol m’a découvert et donné l’occasion de m’exprimer, je n’hésite pas à dire que son successeur m’a formé et transformé. Sous sa direction, je suis réellement devenu un joueur polyvalent, capable de s’exprimer avec un égal bonheur sur tout le front de l’attaque. L’impact du sélectionneur ne s’est d’ailleurs jamais limité qu’au seul football. J’ai eu la douleur de perdre mon père à l’âge de 12 ans. Ma mère s’est retrouvée seule avec sept bouches à nourrir, dès ce moment, car j’ai six s£urs. En tant qu’unique garçon de la famille, j’ai dû veiller à rapporter de l’argent. A certains moments, il m’a fallu effectuer des choix. Dans ces cas, j’ai toujours pu compter sur les conseils avisés de Mahmoud Al Gohari, ce monument du football égyptien « .

Après le sacre des Pharaons face à l’Afrique du Sud en finale de la CAN 1998 (2- 0 grâce à des buts d’Ahmed Hassan et Tarek Mostafa), les offres ne manquent pas pour les lauréats. Plusieurs d’entre eux tentent alors l’aventure à l’étranger. C’est le cas du gardien Ibrahim Nader El Sayed, qui paraphe un engagement au Club Bruges, et d’Ahmed Hassan qui prend la direction de Kocaelispor, en Turquie. Une affaire qui fait grand bruit, non seulement en raison du montant dépensé par le club acheteur pour s’attacher les services du joueur, mais aussi parce que celui-ci devait en principe aboutir à El Ahly, qui avait conclu un accord avec Ismaïlia, son deuxième employeur égyptien après le SC Assouan. Dans ce cas-ci aussi, Ahmed Hassan ne fit rien comme les autres. Car si bon nombre de ses compatriotes – parmi lesquels le gardien brugeois – rentrèrent au pays après une expérience peu probante à l’étranger, le numéro 17 égyptien, lui, tint bel et bien la distance. Au point de faire des émules.

Locomotive en Turquie

 » Avant son arrivée à Kocaelispor, je n’ai pas souvenance de la présence d’un autre joueur égyptien chez nous « , observe Mehmet Demircan du quotidien turc Fanatik.  » Il est rare, d’ailleurs, que les meilleurs s’expatrient car ils sont généralement très bien payés s’ils ont le bonheur d’évoluer dans une formation de pointe de leur pays. Ahmed Hassan percevait 70.000 euros annuellement à Ismailia et avait la perspective de se bonifier financièrement de l’ordre de 50 % en signant à El Ahly. Il a toutefois préféré un salaire plus ou moins égal chez nous. Avec le recul, Kocaelispor a indéniablement fait une affaire avec lui. Auparavant déjà, le club avait eu le nez creux en faisant signer le Sud-Africain John Moshoeu, qui passa ensuite dans les rangs de Fenerbahce. Dans ce cas-ci aussi, ses dirigeants se sont frottés les mains car ils ont à nouveau réalisé une plus-value intéressante en le transférant à Denizlispor. D’une manière générale, Ahmed Hassan a été une aubaine pour le football turc. Tout d’abord en raison de son talent. Depuis son arrivée en 1998 jusqu’à son départ à destination d’Anderlecht, je considère personnellement qu’il a toujours faite partie, durant cette période, du top-3 des meilleurs étrangers du pays. Certains, comme Nicolas Anelka, avaient ou ont peut-être un nom plus ronflant. Mais en matière de rendement, peu ont fait mieux que le maître à jouer égyptien. Et, ce qui ne gâte rien, il a sûrement fait office de réelle locomotive aussi. Il s’est révélé, en tout cas, un formidable ambassadeur pour tous ses compatriotes qui ont convergé dans son sillage vers la Turquie : Ayman Abdelaziz à Genclerbirligi, Ahmed Bilal et Ahmed El Saka à Konyaspor, Basheer El Tabei et Ahmed Hosny à Rizespor et Mohamed Gouda à Ankaragücü. Nulle part ailleurs en Europe, les joueurs égyptiens ne sont mieux représentés qu’en Turquie. C’est sûrement à Ahmed Hassan qu’on le doit. Il a toujours fait l’unanimité chez nous. Ce n’est pas pour rien que tout le monde, ici, l’appelait le Prince d’Egypte « .

 » Deux fois meilleur qu’Akin  »

L’espace de six mois, Patrick Nys, le gardien du FC Brussels, et Ahmed Hassan ont été coéquipiers, en 2001-2002 à Genclerbirligi. Une période au cours de laquelle le doyen des footballeurs de notre élite a apprécié les qualités de l’Egyptien.

 » Nous avions très mal débuté la saison cette année-là et, lors de la trêve hivernale, le président, Ilhan Cavcav avait décidé de frapper fort en enrôlant les deux meilleurs joueurs de Denizlispor, Mohammed Youssef et Ahmed Hassan. Le premier se révéla d’emblée une formidable pierre angulaire pour une défense qui, au préalable, avait réellement pris eau de toutes parts. Quant à l’autre, c’était ni plus ni moins le Monsieur 50 % de l’équipe : non seulement, il faisait tourner l’ensemble mais, de plus, il marquait comme à la parade. En 15 matches, il avait planté une dizaine de buts, tous plus beaux les uns que les autres. Ahmed Hassan possède une belle réputation sur les phases arrêtées. Et c’est vrai qu’en tant que spécialiste, moi-même, sur les penalties et les coups francs, je n’y ai jamais vu que du feu lorsqu’il s’exécutait. A aucun moment, je ne suis sorti vainqueur d’un duel face à lui, ce qui n’est pas peu dire (il rit). Mais l’Egyptien ne brille pas seulement dans ce registre-là. Il possède également un bon tir des deux pieds et ses dribbles sont déroutants. Il a également le nez creux dès qu’il s’agit de choisir sa position dans la surface de réparation. Dans ce cas, comme par magie, le cuir aboutit souvent dans ses pieds et il fait le reste. Pour moi, Anderlecht se frottera les mains avec un joueur de cet acabit. Il s’était déjà félicité de l’enrôlement de Serhat Akin la saison passée. A mon sens, il aura davantage de satisfactions encore d’Ahmed Hassan, qui est deux fois plus fort. Ce sera l’une des stars de la saison à venir, j’en mets la main au feu « .

Se venger en Ligue des Champions

 » J’avais deux possibilités après la CAN : soit rester au pays, soit tenter l’aventure à l’étranger « , observe Ahmed Hassan.  » J’ai préféré m’exiler car j’avais le sentiment d’avoir tout vécu au pays, même si je n’avais jamais joué pour l’un des clubs-phares du Caire. A Ismaïlia, de toute façon, j’estimais ne pas avoir perdu au change. Les Vert et Or sont réputés pour la qualité de leur football. D’ailleurs, vu la couleur de leur maillot, les joueurs, là-bas, sont appelés les Brésiliens d’Egypte. A l’instigation d’ Hany Ramzy, qui évoluait en Allemagne, j’avais eu l’une ou l’autre touche, à l’époque, en Bundesliga. Mais ce championnat me paraissait trop huppé pour un joueur qui devait encore faire ses preuves dans un autre pays que le sien. C’est pourquoi la Turquie me semblait un point de chute idéal. Je n’ai jamais regretté ce choix. Au fil des ans, j’y ai gravi un à un les échelons, au point d’arriver au sommet : Kocaelispor d’abord, puis Denizlispor et, enfin, Genclerbirligi et Besiktas. A défaut d’un titre, j’aurai eu la satisfaction de remporter la coupe nationale, cette année, avec le club d’Istanbul. Auparavant, j’avais déjà obtenu la même distinction avec Ismaïlia en 1997. C’était contre El Ahly, précisément.

Mon souvenir le plus marquant, au cours de mes trois années dans la capitale turque demeure, malgré tout, ma participation à la Ligue des Champions en 2003-04. Nous avions été versés dans un groupe comprenant Chelsea, la Lazio et le Sparta Prague. Chacun s’accordait à affirmer que les Londoniens étaient au-dessus de la mêlée mais que nous pouvions résolument briguer la deuxième place, à l’instar des Italiens. Hélas, c’est le troisième larron, le Sparta Prague, qui mit finalement le grappin sur la deuxième position, derrière les Blues. Echouer à un point des Tchèques après avoir pourtant battu Chelsea à Stamford Bridge, 0-2, fut l’un des échecs les plus cuisants de ma carrière. Je n’ai plus eu l’opportunité de venger cette défaite. Mais j’escompte fermement y parvenir avec Anderlecht. Je ne cache pas que la participation à la C1 a influé sur mon choix. Je pouvais certes aller à Bolton, si je l’avais voulu. Mais, à 31 ans, c’était l’une de mes dernières chances de me produire au plus haut niveau européen et je tenais absolument à la saisir.  »

Encore 50 sélections avec les Pharaons

 » La présence de Serhat Akin, qui ne m’a dit que du bien d’Anderlecht, a été un facteur non négligeable aussi. J’ai beaucoup de respect pour l’attaquant turc et j’ai hâte de faire cause commune avec lui sur le terrain. Malgré mon âge respectable, j’ai encore beaucoup d’ambitions. Avec les Mauves, je veux absolument obtenir un titre de champion, une récompense qui manque à mon palmarès. Avec les Pharaons, je vise aussi un troisième sacre personnel en Coupe d’Afrique des Nations, qui ferait de moi, comme joueur, le recordman absolu sur ce plan en Egypte. Mais je vois plus loin encore. Pour l’instant, le footballeur le plus capé de mon pays est Hossam Hassan, avec 168 sélections. J’en ai 119 à mon compteur et je ne désespère pas le détrôner en tête de ce classement. Pour ce faire, il conviendra de bien négocier les joutes qualificatives pour la CAN 2008, dont la phase finale aura lieu au Ghana en 2008. Le tirage au sort nous a été favorable, dans la mesure où nous nous mesurerons à des adversaires à notre portée : le Botswana, le Burundi, ainsi que la Mauritanie. Il serait regrettable, dans ces conditions, d’échouer. Au-delà de la Coupe d’Afrique des Nations, je me projette déjà, aussi, en 2010. Cette année-là, l’Afrique organisera pour la toute première fois l’épreuve, en Afrique du Sud. Mon souhait le plus cher est d’emmener toujours l’équipe sur le terrain, à ce moment-là. Pour moi, ce sera cette fois-là ou jamais. J’aurai 35 ans et, pour quelqu’un qui n’a jamais disputé de phase finale de Coupe du Monde, il n’y aura plus 36 occasions par après. A moins, bien sûr, d’imiter Hossam Hassan qui avait toujours bon pied bon oeil lors de la CAN 2006 à l’âge de 39 ans. Il faudrait peut-être que je m’inspire de son exemple (ilrit).  »

BRUNO GOVERS

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