Le précurseur a 50 ans

Musclé, endurant, lifteur: l’Argentin a été le précurseur de la vague de joueurs performants venus de son pays.

A 50 ans, Guillermo Vilas garde bon pied bon oeil. Cet ancien amoureux de la terre battue sur laquelle il aimait tant se produire à gros coups de lifts du fond du court est resté un spectateur attentif du tennis d’aujourd’hui. L’ascension des joueurs argentins ne le laisse bien sûr pas indifférent et il estime d’ailleurs avoir agi comme détonateur à leur égard.

Guillermo, il y a 25 ans, vous remportiez l’US Open à Forest Hills. Cette année, huit joueurs sud-américains se sont qualifiés pour le troisième tour de ce tournoi. Les Argentins, particulièrement, ont été l’une des histoires à succès de l’année 2002. Quel regard portez-vous sur leur ascension?

Guillermo Vilas: Je trouve cela magnifique. Et je me dis que je leur ai en quelque sorte ouvert la porte.Lorsque j’ai démarré, j’ai été le premier Sud-Américain à faire tomber les barrières. Il y avait de bons joueurs avant moi mais j’ai été le premier à susciter un intérêt réel auprès du public américain. Lors de ma finale face à Jimmy (Connors), le public était acquis à ma cause. C’était incroyable! Je jouais pratiquement à la maison! Je pense que cela a ouvert la porte à d’autres joueurs. Gaby (Sabatini), José-Luis (Clerc) et d’autres encore. Les Sud-Américains ont commencé à croire davantage en leurs capacités.

Comment les choses ont-elles évolué depuis?

L’Argentine est une des nations qui fournissent le plus de bons nouveaux joueurs. Mais cela a pris du temps. Les Suédois ont beaucoup utilisé l’impulsion de Borg. Mais ils ont réussi à produire des champions à la pelle dès son départ à la retraite. En Argentine, le processus a été différent et beaucoup plus lent. L’ascension de tous ces gars est avant tout le fruit de leur propre travail, de leur propre volonté. Ils sont grands copains et s’entraînent ensemble. Moi, je ne me suis jamais entraîné avec José-Luis.

N’existe-t-il aucun plan de développement dans votre pays?

Non. Les Argentins sont obligés de jouer et de progresser à l’instinct. Malheureusement. Et pour développer quelque chose, il faut savoir être humble. Il faut pouvoir se mettre en retrait pour le bien du tennis. Mieux vaut placer la bonne personne au bon poste plutôt qu’un de ses grands amis. C’est pourquoi vous trouverez beaucoup de très bons sportifs argentins mais sans rien derrière eux pour les soutenir. C’est arrivé avec le pilote de F1 Fangio et avec beaucoup d’autres. Un joueur est bon, on fonce puis on passe au suivant mais on se rend compte après coup que celui-ci n’existe pas. On cuit le steak et on le mange. Puis c’est fini.

Mais on peut tout de même parler d’invasion argentine comme il y eut naguère une invasion suédoise, non?

Oui. Les joueurs argentins sont en pleine ascension. Ils ont commencé avec Squillari il y a quatre ou cinq ans, puis sont venus Gaudio, Coria et Canas. Chacun a ses propres particularités mais il n’y en a pas un qui sorte vraiment du lot, même si Nalbandian est celui qui a été le plus proche d’une victoire en Grand Chelem – NDLA: il a disputé la finale à Wimbledon. Vainqueur de l’US Open contre Jimmy Connors!

Lors de votre succès à New York il y a 25 ans, Connors n’est pas venu vous serrer la main à la fin du match. Cela a-t-il quelque peu gâché votre plaisir?

Franchement, on a fait tout un plat de cet épisode mais les choses ne se sont pas tout à fait passées comme ça. Sur la balle de match, il y a eu une invasion du terrain. Les gens m’ont porté en triomphe et Jimmy n’a jamais pu arriver jusqu’à moi. Alors, il est parti sans demander son reste. Je le comprends.

L’ambiance était, il est vrai, électrique…

Une ambiance incroyable, effectivement. Moi je pensais que tous ces gens étaient argentins mais ils venaient plutôt de Porto-Rico et du Mexique. Il étaient partout dans le stade! J’étais réellement impressionné parce qu’avant la finale, je m’attendais à être mangé tout cru par les Américains. Je me souviens avoir affronté Yannick Noah à Roland Garros. A chaque fois que je faisais un point, il régnait un silence de mort dans le stade. New York est vraiment un endroit qui n’a pas de règles.

Quel conseil donneriez-vous à Connors qui vient de fêter ses 50 ans?

Je n’ai aucun conseil à lui donner. C’est un ami avec qui j’ai encore beaucoup de contacts et que j’apprécie énormément. Mais c’est quelqu’un qui a ses propres règles. Quand il aime quelqu’un, il l’aime pour la vie. Mais quand il le déteste, c’est aussi pour la vie. C’est un survivant! Il prend du bon temps, croyez-moi, et le tennis lui manque énormément. Comme à chacun de nous. Simplement, quand vient le temps de l’US Open, il prie pour qu’il pleuve; comme ça, la télévision américaine montre des images du passéet il s’installe devant son poste (il rit)!

Quand même, depuis qu’il a mis un terme à sa carrière, on le l’aperçoit plus jamais sur les tournois. Pas même à New York où il a écrit quelques-unes des plus belles pages du tennis. Cela vous surprend?

Ecoutez, je ne voudrais pas aborder un sujet qui ne me regarde pas. Il fait ce qu’il veut, après tout. Mais je pense qu’il estime ne pas avoir été suffisamment reconnu par la fédération américaine de tennis. Je ne sais pas ce qui s’est exactement passé mais il n’a jamais été capitaine de Coupe Davis, par exemple, et cela l’a marqué.

Il pourrait tout de même se montrer de temps en temps. Il a gardé beaucoup de sympathisants parmi le public, même actuellement…

Mais il vient! Chaque année, je l’ai au téléphone et il me dit qu’il est venu au stade. Mais il vient sans faire de bruit. Il s’installe, regarde les matches qui l’intéressent, puis repart. Peut-être est-ce un problème particulier à tous les anciens grands champions. On s’attend toujours à recevoir plus que ce qu’on obtient réellement. Jimmy a toujours placé la barre très haut.

Quels sont les autres joueurs du passé avec qui vous entretenez encore des relations?

Wojtek Fibak. Juste avant l’US Open, il m’a invité à disputer une exhibition avec Nastase et Emilio Sanchez. Wojtek avait un talent incroyable. Son toucher de balle en faisait un joueur particulièrement agréable à regarder.

Comment trouvez-vous Flushing Meadows?

Forest Hills possédait le sens des traditions que Flushing n’aura jamais. En venant au stade, le public savait que Rod Laver ou John Newcombe y avaient joué. Cela étant, Flushing s’est nettement amélioré. L’enceinte est spectaculaire. J’estime que les responsables de la fédé américaine devraient améliorer le côté prestige de l’événement en recréant des traces du passé. Cela commence à être le cas et le temps fera le reste.Forest Hills n’était d’ailleurs pas parfait. Il lui manquait la grande foule et n’était pas accessible à tous. « Il n’y a pas de joueur parfait »

Si vous pouviez créer le joueur parfait, en prenant les meilleurs coups de chacun des joueurs actuels, quel serait-il?

Il y a tant de joueurs et tant de modes de pensée que c’est impossible! Et puis, je n’aime guère les comparaisons. Regardez ce que l’on fait avec le service. Les médias s’extasient devant le joueur au service le plus rapide. Or, moi, je préfère un serveur qui vise les angles plutôt qu’un gars qui frappe comme une brute en plein milieu du carré de service.

Quel était votre meilleur coup ?

A la fin de ma carrière, mon coup droit. C’est grâce à lui que je faisais le plus de dégâts. Au début de ma carrière, toutefois, c’était le revers. Mais il est difficile de gagner des tournois avec ce coup-là..

C’était un coup que vous aimiez particulièrement alors qu’il n’est pas facile à exécuter. Pourquoi?

Parce que j’adorais Rod Laver! Et chacun connaît la qualité du revers de l’Australien. Même chose pour mon gros bras. Les gens n’arrêtent pas de me questionner sur la grosseur de mon bras. Rod, aussi, avait un bras énorme!

Quels étaient vos plus grands rivaux?

Borg et Connors. Cela dépendait de la surface sur laquelle nous nous affrontions.

Y en avait-il un que vous préfériez jouer?

Borg sur surfaces dures et Connors sur surfaces lentes (il rit). Ce fut malheureusement rarement le cas! C’était une époque merveilleuse.

Vous n’avez jamais gagné Wimbledon. Le plus grand regret de votre carrière?

Vous savez, Borg n’a jamais remporté l’US Open et Connors n’a jamais gagné Roland Garros. Chaque surface avait son propre spécialiste, ce qui rendait notre tâche très difficile. Sans Jimmy et Bjorn, je crois que j’aurais gagné plusieurs fois à l’All England Club. Mais c’est comme ça. Il fallait toujours battre LE spécialiste de l’endroit.

Cela étant, outre l’US Open, vous avez tout de même triomphéà Roland Garros et à l’Open d’Australie. Qu’avez-vous fait de vos trophées?

Mes trophées? Quels trophées? Je n’en ai pas puisqu’on ne vous donne qu’une réplique. Les originaux restent sur le tournoi. J’ai des tonnes de répliques (il rit)! Lorsque j’ai gagné à Forest Hills, j’ai reçu une balle en or… que j’ai perdue dans les vestiaires…

Qu’est-ce qui vous manque le plus aujourd’hui?

Tout! Quand je reviens sur un Grand Chelem, j’aimerais avoir dix ou quinze ans de moins pour pouvoir me mêler à la grande bagarre. C’est un peu comme quand vous regardez d’anciennes photos. Vous les aimez parce qu’elles vous rappellent des tas de souvenirs. Comme je l’ai déjà dit à un journaliste: -Le tennis vous emmène sur la lune et lorsque tout est fini, vous devez redescendre sur terre sans vous écraser. Au fond, les quatre tournois du Grand Chelem sont une très bonne chose: ils permettent aux anciens d’étaler leurs regrets et de se sentir bien!

On parle beaucoup de nos jours du manque de personnalités sur le circuit masculin…

De mon temps, beaucoup de gens faisaient des choses idiotes. Moi je suis arrivé avec mes cheveux longs, un look que je tenais de Thomaz Koch, le numéro 1 sud-américain de l’époque. Tout le monde me questionnait sur mon apparence parce que l’époque n’était pas prête aux changements mais cela générait de l’intérêt pour le tennis. Nous aimions briser les règles, surtout celles qui nous semblaient stupides comme l’interdiction de s’asseoir aux changements de côtés. Un jour, un gars a crié qu’il voulait s’asseoir! C’est comme ça que les chaises sont apparues sur le courts! Aujourd’hui, tout semble normal. Les journalistes sont même admis dans les vestiaires et le mythe du joueur de tennis est tué. Conséquence: les gens n’ont plus de quoi s’émerveiller.

Comment se porte votre côté artiste? La guitare, les poèmes…

Je viens d’achever mon troisième livre mais je dois encore trouver un éditeur, ce qui n’est pas aussi facile qu’on pourrait l’imaginer. L’année prochaine, j’aimerais trouver un traducteur, comme ça vous pourrez lire mes oeuvres (il rit).

Combien de livres avez-vous déjà vendus?

Je ne parlerai que du premier. Dès qu’il est sorti, il a été sold-out. Dix mille exemplaires partis en un rien de temps. Du coup, on a fait une deuxième éditionavec pour résultat 10.000 nouveaux acquéreurs. On a alors fait une troisième édition, elle aussi à 10.000 exemplaires. Et là on n’en a vendu aucun! Ils sont tous stockés chez moi.

Alexis Romain

« En Argentine, on cuit le steak, on le mange et c’est fini »

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