« Le pongiste chinois craque à 25 ans »

Les frères Saive sont les Belges qui connaissent le mieux le sport chinois et ses problèmes.

Ils multiplient depuis quinze ans, les séjours dans le pays le plus peuplé du monde et lancent : « Les Jeux Olympiques de Pékin en 2008 seront une grande réussite », s’exclament à l’unisson, Jean-Michel et Philippe Saive. Les deux célèbres pongistes belges, connaissent mieux que personne l’ancien pays de Mao-Tsé-Toung. « Nous nous y sommes rendus pour la première fois 1986 à l’occasion d’un stage de préparation organisé à Tian-Jin. Depuis, nous y sommes retournés à de multiples reprises. Et il est clair que l’état chinois va tout mettre en ouvre pour faire des Jeux de Pékin une fabuleuse propagande pour le pays ».

Les chiffres sont là pour confirmer leur impression. D’ores et déjà, le gouvernement local a promis de libérer plus de 900 milliards de nos francs pour mettre Pékin à l’heure du troisième millénaire.

« L’enthousiasme populaire est à la mesure du défi : énorme. Il est évident que le peuple chinois attend ces Jeux avec une grande impatience. Pour lui, il s’agira d’une fête sans équivalent », explique Philippe.

Reste à savoir si le pays le plus peuplé du monde (1,25 milliard d’habitants) mais aussi, sans doute, l’un des plus moyenâgeux au niveau industriel et technologique sera en mesure de relever le défi. « Mais les Jeux se dérouleront à Pékin, la ville la plus moderne et la plus occidentalisée du pays avec Shangaï. J’aurais été plus sceptique s’ils avaient dû se dérouler ailleurs. Mais, là, je suis persuadé que les Chinois vont mettre le paquet, notamment au niveau des infrastructures sportives », ajoute Jean-Mi.

Il reste qu’à l’heure de dresser l’état actuel des lieux, l’observateur neutre a le droit de se poser quelques questions. Le problème de la pollution est, sans doute, le plus inquiétant.

« D’autant que les Jeux doivent se dérouler du 25 juillet au 10 août, soit au coeur de la saison la plus chaude. A cette époque, le mercure du thermomètre monte régulièrement jusqu’à 38 ou 40 degrés avec un taux d’humidité très important. Et il n’est pas rare que des journées entières passent sans que le soleil n’ait réussi à percer le brouillard de pollution », remarque Jean-Mi qui revient à peine d’un séjour à Pékin.

Mais la pollution n’est pas le seul sujet d’inquiétude. Pékin est à des années lumières de répondre aux exigences habituelles d’une ville olympique au niveau des télécommunications et, surtout, des transports. « Lorsque nous avons visité pour la première fois Pékin en 1986, le vélo était le moyen de transport le plus utilisé. On croisait de véritables pelotons cyclistes aux quatre coins de la ville. Je crois qu’il y avait une dizaine de millions de vélos qui circulaient aux heures de pointe! Au fil des ans, les bicyclettes ont fait place aux voitures et aux mobylettes, rendant la circulation très difficile. Les embouteillages sont permanents, de jour comme de nuit. Et les Chinois ignorent complètement l’usage des feux de circulation. Ils brûlent constamment les feux rouges! C’est à coups de klaxons qu’ils s’ouvrent le chemin », ajoutent les frères Saive amusés par cette tradition locale!

Evidemment, à l’occasion des Jeux, les autorités chinoises sauront mettre de l’ordre dans cette pagaille. « Il n’y a aucun souci à se faire. Le gouvernement chinois va imposer de nouvelles règles, quitte à libérer certaines chaussées à l’usage exclusif des médias et de la famille olympique. Pour les Jeux, rien ne sera trop beau ou trop cher. Et les forces de sécurité seront omniprésentes », précise Philippe.

Les constructions d’un nouveau métro et d’un cinquième périphérique sont, d’ores et déjà, budgétés. Grâce aux Jeux de la XXIXe Olympiade, la Chine veut vraiment s’éveiller!

Le tabou du dopage

En Chine, Jean-Mi et Philippe sont de véritables vedettes : « Les gens ne nous reconnaissent pas vraiment dans la rue parce qu’à l’instar des Européens vis-à-vis des Chinois, ils éprouvent du mal à reconnaître un visage aux yeux non-bridés. Mais dès qu’ils apprennent qui nous sommes, la chasse aux autographes est ouverte. Surtout dans les villes de moyenne importance. A Pékin, la population est déjà plus blasée ».

Au pays de la Grande Muraille, les frères Saive sont connus sous le nom de Ta Saifu et de Chio Saifu, littéralement Grand Saive et Petit Saive. « Il nous est arrivé d’être arrêtés à la frontière par un douanier qui voulait enrichir sa collection de signatures. Dans les hôtels, nous bénéficions d’une protection particulière avec des gardes à notre étage ». Récemment, Jean-Mi a encore effectué le lointain déplacement pour participer à une exhibition en province!

Le tennis de table est, il est vrai, avec le football, le sport le plus populaire de Chine. « Tout le monde le pratique, du PDG à l’ouvrier. C’est le sport national. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le porte-drapeau de la candidature de Pékin 2008 était une ancien championne de ping, deux fois lauréate des Jeux Olympiques : Deng Yaping. Pour eux, c’est l’équivalent de Zinedine Zidane pour les Français ».

A l’occasion de leurs multiples séjours en Chine, les frères ont appris à connaître la mentalité locale. Mais ils n’ont jamais réellement percé les secrets des sportifs chinois. « Ils vivent dans leur bulle, éloignés de tout. Et, lors des compétitions, c’est à peine si nous avons l’occasion de leur parler. De toute façon, ils ne parlent que le chinois, à peine un ou deux mots d’anglais ».

Des rumeurs circulent, de longue date, sur les us et coutumes des athlètes chinois en matière de dopage. Des records du monde, en natation et en athlétisme notamment, ont suscité bien des polémiques dans les milieux autorisés. Certains champions chinois ont, d’ailleurs, été contrôlés positifs par les instances internationales.

« Mais je me garderais bien d’émettre un avis définitif sur le sujet. En tennis de table, je ne crois pas que le recours au dopage soit très important. Il s’agit, avant tout, d’une discipline de technique et de réflexes. En revanche, on est en droit de se poser quelques questions dans d’autres sports », admet Jean-Mi. « Il ne doit pas être simple d’aller repérer un athlète qui s’entraîne au fin fond de la Chine dans un centre d’entraînement ».

9 millions pour une médaille d’or

Les frères Saive n’ont jamais eu l’occasion, en tout cas, de fréquenter ces endroits cachés où se préparent, en toute discrétion, les champions locaux.

« Il nous serait impossible, par exemple, d’effectuer un stage en leur compagnie. Si nous avions pu en effectuer un en 1986 c’est parce que nous étions jeunes et totalement inconnus. Et puis, il s’agissait d’un stage de type régional! »

Une chose est sûre : lors des Jeux de 2008, les athlètes chinois seront surmotivés. Lors des derniers Jeux de Sydney 2000, ils avaient déjà emmagasiné cinquante-neuf médailles, terminant à la troisième place au classement internations derrière les Etats-Unis et la Russie.

Chez eux, portés par leur public, ils se sentiront pousser des ailes. « D’autant que l’état va tout faire pour former des champions dans toutes les disciplines olympiques et non plus, seulement, dans les grands sports nationaux comme le tennis de table, le badminton, la gymnastique, le tir, la natation ou l’athlétisme. Il lui reste sept longues années pour préparer les futurs héros de la patrie », dit Jean-Mi. « La pression sur les champions chinois a toujours été très importante. C’est flagrant en tennis de table où, à la moindre contre-performance, un joueur peut être carrément rayé des listes. En général, un pongiste chinois supporte la pression jusqu’à 25 ans. Après, il a tendance à craquer. Mais comme la masse de bons joueurs est tellement grande, personne ou presque ne se rend vraiment compte de ce phénomène. En caricaturant un peu, d’une année à l’autre, il nous arrive de ne plus connaître aucun de nos adversaires chinois! Souvent, les sparring-partners prennent la place des titulaires ».

L’époque où le sport chinois vivait loin des réalités économiques est bien éloignée.

« Lors des Jeux de Sydney, une médaille d’or rapportait à un athlète la bagatelle de 200.000 dollars, soit plus de neuf millions de nos francs », rappelle Jean-Michel. « Une véritable fortune dans un pays où le coût de la vie reste faible. Mais le sport est l’une des grandes vitrines du pays. Et le public voue aux grands champions une véritable adulation. Des véritables séries télévisées sont consacrées aux meilleurs joueurs de ping. Tous les matches sont retransmis en direct et font des audiences impressionnantes, souvent plus de 300 millions de téléspectateurs ».

Et les droits de l’homme?

Pour façonner la meilleure équipe possible pour les Jeux de 2008, les autorités chinoises ne vont, dès lors, pas lésiner sur les moyens. D’ores et déjà, les centres d’entraînement, toutes disciplines confondues, affichent complets! Et la base étant tellement énorme, il ne faut pas être un expert pour deviner que la récolte en futurs champions sera excellente!

La passion des Chinois pour le sport devrait faire des Jeux 2008 un succès populaire sans précédent dans l’histoire du sport chinois. Les festivités ayant marqué la désignation de Pékin comme ville olympique en disent déjà long sur la joie du peuple à l’égard de ce rendez-vous universel. Le soir de l’élection, des millions de personnes se sont retrouvées dans les rues pour fêter le choix du Comité International Olympique. Et le président Jiang Zemin est même sorti de sa réserve habituelle pour participer à la fête.

« L’engouement sera fantastique. Le public chinois est passionné. Très chauvin mais courtois à l’égard des étrangers. Il supporte les siens sans agressivité. Il est, par exemple, beaucoup moins raciste que le Japonais », explique Philippe.

Un des grands problèmes risque d’être la barrière de la langue. « Le Chinois ne parle que chinois! Sauf exception, la communication avec l’étranger est, dans ce contexte, très difficile. Sans un papier écrit en caractère local, un chauffeur de taxi local est incapable de vous conduire à la bonne adresse. Et tout est à l’avenant. Et je ne vois pas comment, en l’espace de sept ans, la situation pourrait fondamentalement changer », poursuit Jean-Michel qui conseille déjà la délégation belge de se doter d’excellents traducteurs!

Sur l’épineux problème des Droits de l’Homme, les frères Saive évitent de prendre position : « Ce n’est pas à nous de donner des conseils à un gouvernement devant gérer 1,2 milliard d’habitants ».

Ils ont d’autres idées, comme d’organiser une revanche par aller et retour des derniers championnats du monde de ping que la Belgique avait perdu face à la Chine. Histoire de mieux faire connaître cette Chine, si fascinante et encore si mystérieuse. Ce n’est pas un hasard si, d’après un sondage, les Chinois connaissent de la Belgique le Manneken Pis et les… frères Saive!

Miguel Tasso

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