Le plus vieux procédé du monde

Le manager d’abord impliqué puis blanchi dans l’affaire des « enveloppes brugeoises » a enfin accepté de nous parler…mais ne dit pas grand-chose!

René Verstringhe, procureur fédéral, a mené l’enquête dans l’affaire des enveloppes qui auraient été remises par le manager Ranko Stojic à des décideurs sportifs du FC Brugeois. Stojic a toujours démenti avoir remis la moindre enveloppe, la moindre commission. C’était la parole de Stojic contre celle des Brugeois.

Et Verstringhe a présenté son compte rendu. Nulle charge n’est retenue à l’encontre de Stojic. Ni à l’encontre du Club Brugeois… Le football belge ne connaîtra pas son affaire « Agusta ». Pas cette fois du moins. Dégonflée, la baudruche. Faute d’oxygène. Le rayon « preuves » demeure vide. Débusquer un seul élément concret relève de la gageure dans ce type d’affaires. Le « suspect » s’est-il montré particulièrement intelligent? Cette personnalité tellement subtile a-t-elle finement occulté la vérité? Les témoins, appelés à la barre, ont-ils formé l’union sacrée, pour accorder leurs violons et nous interpréter la partition de la « veuve et de l’orphelin »? Si c’était le cas, la justice sportive se retirerait grande perdante.

Indépendamment du chapitre qui nous occupe, il faut savoir que les commissions occultes existent. Probablement depuis que le monde est monde. Des dessous de table se versent lorsqu’un pays fait l’acquisition d’hélicoptères. Pourquoi n’en irait-il pas de même lors de l’achat impliquant un sportif? Les sommes versées deviennent tellement délirantes qu’il n’y a rien d’extraordinaire à cela. Ne nous voilons plus la face en écartant les phalanges pour nous permettre quand même de jeter un coup d’oil furtif: le fait est acquis. Il existe même des spécialistes, reconnus pour leurs qualités de porteur de valises. Cette constatation ne suffit pourtant pas à proclamer vraie la formule tellement dangereuse pour la démocratie qui décrète : -Tous pourris.

Avant l’instruction, la rumeur a cloué Ranko Stojic au pilori. Son nom a été traîné dans la boue. A peine s’il n’a pas été désigné comme la brebis galeuse d’une confrérie bien trop heureuse de se constituer une virginité en faisant endosser à un homme seul tous les péchés d’Israël.

Stojic reste stoïque. Mieux! Après des mois de mutisme, il rompt le silence. Sort-il marqué de cette épreuve? Il affirme avoir accordé totale confiance en la justice. Certain que son bon droit finirait par triompher. Les faits lui donnent raison.

Gardien de but, il en imposait par sa sérénité. Tant à ses équipiers qu’à ses adversaires. Sa force mentale rayonnait sur le groupe. Il n’a pas changé.

Une visite dans ses bureaux de Pro Agency, situés boulevard de la Sauvenière, au coeur de Liège. Locaux simples. Fonctionnels. Pas la moindre photo de foot suspendue aux murs. Seulement des vues de New-York. Par contre de grandes étagères débordent de cassettes vidéos. Tout est archivé. Le Week-end Sportif, Match 1, les rencontres diffusées par Canal+. Enregistrements personnels effectués par ou pour des joueurs. Au total, un millier de bandes répertoriées.

Sur une immense table en L, trône une télévision reliée à deux magnétoscopes professionnels. Ce soir-là, Ranko Stojic demande à son bras droit, Zoran Jevtic, ex-joueur de l’Etoile Rouge, du FC Malines et de l’Olympic Charleroi, une copie reprenant les exploits de Dalibor Mitrovic. Le patron visionne. On y voit le centre-avant de Westerlo étaler sa puissance dévastatrice. Stojic ne peut réprimer une remarque : « Ne le voilà-t-il pas, l’attaquant que Bruges recherche? Trop tard. Il ne retournera jamais dans la Venise du Nord. Oui, trop tard ». Sous-entendu : « Le mal est fait ».

Forcément, entre lui et le Club, les ponts sont rompus. Fin 2000, le scandale éclate. Stojic aurait arrosé René Verheyen, Hans Galjé et Alex Querter. Le trio est sensé établir des constats favorables concernant un joueur proposé par le manager serbo-liégeois. Des versements astronomiques sont cités. La délation projette également Eric Gerets dans l’oeil du cyclone. Antoine Van Hove, le manager brugeois se fâche. Il pointe un index accusateur en direction du « corrupteur ». Plainte est déposée. Depuis quelques jours, on le sait, la montagne a accouché d’une souris.

Comment tout cela est-il arrivé? Les sceptiques sortiront la sempiternelle rengaine qu’il n’y a pas de fumée sans feu. Ranko Stojic livre enfin sa version. A ses yeux, la thèse d’un complot bas de gamme est évidente : « Evidemment certains, par jalousie ou par intérêt, raconteront ce qu’ils voudront. Je ne retiens que ceci : je n’ai pas commis d’acte illégal. Ou contraire à la loi. Tout est venu de l’un de mes anciens collaborateurs qui a rejoint un staff hollandais. Qu’espérait-il? Me rayer de la carte? Faire en sorte que plus personne ne souhaite négocier avec moi? Prendre ma place? Sûrement. Il doit y avoir un motif profond. Vous savez, moi aussi, je peux colporter mille choses sur n’importe qui. Et après? Dans de semblables moments, les requins se découvrent. Les petits profiteurs, toujours à l’affût du malheur d’autrui sortent du bois. Entendre que quelqu’un comme Yves Baré se permet des commentaires à mon égard est consternant. Je ne peux m’empêcher de penser qu’il est ridicule. J’en parle et pourtant je ne devrais pas. Mieux vaut envisager la vie avec optimisme, sans accorder d’importance à la médiocrité. La Pensée positive de Pascal! Voilà mon livre de chevet. Ceci me pousse à souligner qu’il y a aussi des agents qui travaillent dans le respect des autres, qui ont fait montre d’une grande réserve lorsque des journalistes le questionnaient à mon sujet. Je n’oublierai pas. Pour le reste, si je le voulais, je pourrais créer de sérieux problèmes à pas mal de gens. Via des actions en justice notamment. Je ne le ferai pas. C’est fini ».

Eric Gerets constituait-il la cible principale? Une théorie veut que n’ayant pas souhaité enrôler un joueur proposé par le groupe hollandais, l’entraîneur du PSV devait sauter. A sa place, arrivait ensuite quelqu’un de plus complaisant. Bien en phase avec le fameux lobby néerlandais. Et le tour était joué?

« Dans notre monde, certaines personnes que je qualifie de deuxième classe tentent parfois de se venger bassement lorsqu’elles n’obtiennent pas gain de cause », dit Stojic. « Etant donné les liens d’amitié qui m’unissent à Gerets, on peut tout imaginer. Y compris l’incroyable. En mouillant le Club Brugeois, ces malfaisants personnages savaient ce qu’ils faisaient. Ils attendaient une réaction émotionnelle de la part de Van Hove. Cela n’a pas manqué. Elle est venue à la vitesse de l’éclair. Aujourd’hui, je sais qu’il regrette. Il a compris. N’empêche! A l’époque, Bruges râlait sur Gerets suite à son départ. Et sur moi à cause du passage, gratuit, d’ Ilic à Anderlecht. Nous étions parfaits pour tenir les rôles de mauvais. Je veux rappeler ceci : c’est sous la direction d’Eric que le titre est revenu à l’Olympiapark… Pour ma part, en négociant au mieux les départs de Jankauskas et d’ Addo, j’ai fait entrer 340 millions dans les caisses du Club. Pas mal, pour deux mécréants! Et je n’évoque même pas le cadeau que j’ai offert à Bruges en arrachant le frère d’Addo aux Girondins de Bordeaux. Montant du transfert : 0 franc! Retenez ce que je vous dis, il est plus fort que son aîné. Et il est à Bruges! Quelle courte mémoire. Quelle absence de reconnaissance ».

L’ancien portier du FC Liégeois a fait le point. « Dans ma vie, je n’ai jamais triché. Joueur, je me faisais un point d’honneur à être le meilleur à l’entraînement. Le meilleur en match. J’étais un fanatique. Celui qui tente de fonctionner en vrai professionnel ne s’attire pas que des amis. Pendant 20 ans, je suis resté en activité au sommet. Qui peut mettre en doute mon sens du devoir? Personne! Le succès agace davantage qu’il inspire le respect. Quand je pense que mon ancien collaborateur – NDLA : Paul Stefani– n’a jamais touché un ballon! Il s’oblige à assister à une rencontre parce qu’à l’issue de celle-ci, il peut enfin accéder à son but ultime : rejoindre la salle de réception! Et c’est cet individu qui a voulu me dicter la marche à suivre. Impossible à accepter. Cependant, j’admets qu’il faut savoir encaisser les coups durs. Ainsi que les défaites. Une vie uniquement rose, n’existe pas. Disons que je viens de traverser un gros orage ».

Ranko Stojic aborde ses transferts comme un entraîneur. Fort de la formidable documentation dont il dispose, il connaît le style de chaque club avec lesquelles il est habitué à traiter. En clair, il ne propose jamais un joueur sans s’être totalement imprégné de la tactique employée par le candidat à l’acquisition. Cette approche très technique lui vaut de parfois de bloquer la réalisation d’une transaction. Cela s’est produit au PSV Eindhoven… avec les conséquences désormais connues.

Parce qu’il a bien gagné sa vie comme joueur, Stojic peut se permettre d’être patient. Le stress ne s’empare pas de lui lorsqu’il consulte ses relevés de banque en fin de mois.

« Voilà pourquoi me discréditer pour si peu, jamais de la vie! Evidemment, tout le monde ne pense pas comme moi. Il y a dans le métier des gens qui courent le cachet. Qui vendraient père et mère. Moi pas! Personne ne peut m’acheter. Vous m’entendez? Rien ni personne! Les choses fondamentales de la vie sont d’ailleurs impossibles à négocier financièrement. La santé, l’amitié, l’amour, une famille, tout cela ne s’acquiert pas en déposant des fortunes sur une table. L’argent est nécessaire. S’il est dingue de nier son apport, il n’en constitue pas pour autant une raison d’exister. Une fin en soi. On peut faire beaucoup de choses si on en a les moyens : choyer les siens, se donner du bon temps, créer de l’emploi. Les importantes rentrées que je génère m’ont aussi permis de mettre sur pied une oeuvre humanitaire à Belgrade afin de venir aux aides aux malheureux que compte la capitale. Lorsque je réalise un transfert, je lui verse systématiquement un pourcentage de ma commission. Personne ne le sait. Aujourd’hui j’ai envie de le dire ».

Comme c’est quasiment toujours le cas, la vérité se situe probablement entre Mad Max et l’Abbé Pierre… Le monde du foot, peut-être plus impitoyable encore que celui des affaires, implique parfois de faire passer les sentiments au second plan. Même celui que l’on surnommait jadis l’Avocat en référence aux études juridiques qu’il a suivies ne peut le nier. Ici, la marchandise reste le joueur. Un être humain que l’on négocie au plus offrant moyennant rétribution. A cet énoncé, Stojic se cabre néanmoins. Il conteste.

« Importante, la carrière d’un jeune garçon! Prenez Cissé, d’Auxerre. Tout le monde le veut. Manchester est prêt à consentir des folies pour lui. Forcément, le gamin s’est mis à rêver. Il aurait été facile pour moi de laisser grimper les enchères. Au lieu de cela, je me suis rendu à Auxerre. J’ai discuté avec Cissé. Je lui ai fait comprendre qu’il valait mieux demeurer un moment encore en Bourgogne ».

Au fond, pourquoi Ranko Stojic a-t-il opté pour la carrière de manager alors que manifestement tout le dirigeait vers le métier de stratège à la direction sportive d’un club?

« La première fois, nous étions tombés d’accord avec le FC Seraing. Puis les décideurs ont changé d’avis en engageant Jean Thissen. La deuxième à l’Antwerp. Eddy Wauters m’a même envoyé à Feyenoord, à Auxerre. J’ai rédigé un rapport complet. J’ignore ce qu’il est devenu. Par contre, ce dont je suis sûr, c’est qu’il n’a connu aucune suite. Avant cela, il y a huit ans, j’ai eu une discussion sérieuse avec Gaston Colson. J’étais capitaine du Sporting de Charleroi et je lui avais conseillé d’investir le plus rapidement possible dans la guidance des enfants. Je m’étais renseigné et j’avais établi un plan d’action. Il convenait de débloquer 30 millions permettant de construire un outil sérieux et fiable. Cette somme a été jugée trop élevée. Combien faut-il aujourd’hui pour mettre en chantier une telle infrastructure? En Belgique, on se fie trop au hasard des cycles. Une bonne génération arrive et l’on crie au miracle. Ce n’est pas cela. Même s’il existe des levées plus fortes que d’autres, la formation, c’est la faculté d’inculquer un style et de le perpétrer. Pourquoi Ajax et l’Etoile Rouge ont-ils de tout temps sortis de grands attaquants? Parce que, à chaque échelon, les phalanges représentatives y évoluent avec deux ailiers et un avant-centre. Les différentes composantes de l’équipe connaissent leur rôle à merveille. Maintenant, si l’on sort un ailier de son contexte pour en faire une pointe dans un système basé sur un duo, on risque des contre-temps. Impératif de veiller à ces détails. Tant au niveau d’un club qu’en ce qui concerne le recrutement. Ma chance, par rapport à pas mal d’entraîneurs, c’est de voyager. Je me déplace en Allemagne, en Angleterre, en Hollande, en Espagne. Je m’imprègne de cultures différentes. De schémas différents. D’attitudes différentes. Très enrichissant au plan culturel. Cela permet surtout de mieux appréhender les désirs d’un club. Savez-vous que les plus grands talents que j’ai repérés ces derniers temps, évoluent en Belarus. Des gamins de 17 ans, très doués. Pour bien faire, c’est maintenant qu’il conviendrait de les intégrer et de les former afin de leur donner une assise solide qui leur permettra de se faire un nom au top niveau. Mais en Belgique aussi se trouve de la bonne graine. Le tout consiste à la cultiver harmonieusement ».

Ce qu’on ne fait guère. D’où l’existence d’agents de joueurs… Fin de la boucle.

Daniel Renard

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