LE PLUS PETIT JOUEUR PRO D’EUROPE

C’est l’histoire d’une revanche sur la vie, l’histoire d’un petit garçon devenu un adulte d’un mètre cinquante-sept, un gars qui rêvait de devenir footeux malgré le scepticisme de ses proches. Aujourd’hui, le rêve prend forme parce que dans la vie, comme en football, tout est possible. Rencontre.

Samedi 2 août 2014, l’Antwerp reçoit Seraing United dans le cadre de la première journée de D2. La rencontre se solde par un partage, un but partout. Une entrée en matière plutôt réussie pour les Sérésiens mais ce qui marque les esprits, ce soir-là, c’est la prestation d’un Nigérian de 19 ans.

SaliuSodiqPopoola force un penalty que transforme Grégory Dufer mais le milieu de terrain va surtout forcer le respect de ses adversaires grâce à sa justesse technique, sa vitesse et sa hargne malgré un très petit gabarit pour les standards de l’antichambre de l’élite : 1 mètre 57.

 » Popo « , comme on le surnomme, est le joueur professionnel le plus petit d’Europe. Dans le monde, seul l’Argentin Daniel Villalva (1m52) et le Saoudien Abdulaziz Hamsal (1m55) sont plus petits.

 » C’est une grande fierté pour moi parce qu’avec ma taille, il était tout sauf évident de faire carrière dans le football  » dit-il.  » C’est pourquoi je remercie les personnes qui m’ont donné la chance de venir en Europe. Je me suis dit que si des gens croyaient en moi, alors je pouvais le faire, je pouvais vivre du football.  »

Rui Barros, l’exemple

Dans le football moderne, la taille et le physique ont souvent dicté les choix des recruteurs et des entraîneurs. On se souvient de Rui Barros qui, malgré son 1m59, a réussi une très belle carrière à Porto, la Juventus ou l’Olympique de Marseille. Mais, à ce niveau, l’attaquant portugais reste une exception.

Il possédait des qualités techniques et physiques hors du commun qui compensaient son gabarit. On le surnommait d’ailleurs  » la fourmi atomique  » bien avant l’Italien Sebastian Giovinco.

La Belgique a déjà connu un joueur de très petite taille. Il y a une dizaine d’années, Boy-Boy Mosia, un attaquant sud-africain d’1m55, a connu un passage éphémère du côté de Westerlo. Prêté par Chelsea aux Campinois, le feu-follet n’a jamais réussi à percer en division 1. Il n’avait sans doute pas le talent, ni la mentalité requise pour pallier son déficit de taille.

Mais depuis une dizaine d’années les mentalités ont changé, la technique a pris le pas sur le physique et les petits formats sont à la mode.  » Il y a 15 ou 20 ans, on aurait sans doute mis ce profil de joueur de côté « , nous assure l’entraîneur de Seraing United, ArnaudMercier.  » Barcelone a mis les petits gabarits au goût du jour. Encore faut-il que ce type de joueur tombe sur un entraîneur réceptif.  »

Malgré cette évolution, Popoola est donc loin d’être un prédestiné pour le football.  » Depuis que je suis enfant, j’ai toujours été le plus petit de la bande  » précise-t-il.  » Je dois tenir ça de mon père qui n’a que quelques centimètres de plus que moi. Ma mère, par contre, est plus grande que nous deux (rires). Au Nigeria, je n’ai pas trop souffert de ma taille. On ne se moquait pas trop souvent de moi. Par contre, ma famille a essayé de me dissuader de jouer au foot parce que j’étais petit…

Mes proches me disaient d’aller à l’école et de me focaliser sur mes études. Mais, j’adorais tellement ce jeu que je brossais les cours pour pouvoir jouer. Personne n’avait confiance en moi, nul ne pensait que j’allais percer dans le football mais je n’ai écouté que ma foi, ma passion et j’ai persévéré. Aujourd’hui, grâce à Dieu, je fais ce que j’aime.  »

Phénomène au Nigeria

Sodiq, son prénom, est très répandu au Nigeria.  » Cela signifie  » être sincère  » et cela me correspond plutôt bien. Moi, je suis persévérant. Je ne triche pas parce que je connais les sacrifices qu’il faut réaliser pour être ici.  »

Au Nigeria, Popoola est considéré comme un phénomène depuis plusieurs années et pas seulement à cause de sa taille. Issu de l’académie des 36 Lions, l’un des deux plus grands clubs du pays, il commence à se faire un nom dès 2009. Il participe à plusieurs tournois internationaux et est élu à chaque fois  » MVP « . Les convocations en équipe nationale U17 et U20 arrivent presque naturellement, l’équipe première aussi. Lors de la saison 2011-2012, il sera élu joueur de l’année par les fans après avoir notamment inscrit 4 buts en championnat.

Le joueur est repéré par des scouts européens, ceux du Standard en particulier. Le club liégeois connaît bien le 36 Lions, et pour cause, puisqu’il y a déniché une pépite quelques mois plus tôt, Imoh Ezekiel.  » Imoh ? C’est bien plus qu’un ami. C’est mon sang (sic), je le considère comme mon frère. On se connaît depuis qu’on est gamins. On a commencé à jouer au football ensemble et puis on est allé à l’Académie où on a tout partagé : la nourriture, la chambre… Ça crée des liens indélébiles.  »

Le Standard invite donc Popoola pour une série de tests en 2012 mais le joueur n’y signera pas.  » J’ai fait de mon mieux pour décrocher un contrat mais je n’ai pas réussi à convaincre. Dommage car mon rêve était de jouer au Standard avec Imoh. On en parlait souvent. Alors, j’ai pleuré énormément parce que je ne voulais pas rentrer bredouille au Nigeria.  »

Il n’y rentrera pas. Dominique D’Onofrio, directeur sportif du FC Metz (alors en National) est convaincu par les qualités du joueur et le recrute. Popoola signe pour 2 ans (avec une clause de reconduction de 4 ans) et file en Lorraine. Le jeune homme au physique d’enfant va découvrir l’Hexagone et les méthodes d’entraînement d’un certain Albert Cartier.

Chouchou du Pairay

 » A Metz, aux entraînements, le coach insistait beaucoup sur l’agressivité, l’impact. J’y ai appris à me battre, à être agressif malgré mon gabarit. J’ai dû apprendre à faire de ma vitesse une arme défensive. Il m’a inculqué cette mentalité… Ne pas avoir peur d’aller au contact.  » Une hargne qui ne le quitte plus. Cette saison, il est le joueur le plus averti de Seraing United avec 9 cartons jaunes.

Après 2 saisons d’apprentissage en Lorraine, le FC Metz néo-promu en Ligue 1 décide de prêter son format de poche à Seraing United, son club satellite. Popoola a besoin de temps de jeu pour franchir un palier, il va en trouver en se mesurant à une autre réalité, celle des espaces réduits et du football rugueux de notre division 2.

 » Le niveau de la série n’est vraiment pas mauvais  » dit-il.  » Pour un jeune joueur, c’est une étape indispensable. Un tremplin pour pouvoir s’aguerrir, apprendre son métier et évoluer plus tard en Division 1.  »

Arrivé sur la pointe des pieds, Popoola est rapidement devenu un cadre de l’équipe et le chouchou du Pairay.  » La première fois que je l’ai vu, j’ai été surpris car c’est plutôt un format U12-U13 « , témoigne Petar Bojovic, joueur le plus grand du noyau avec son mètre 92.

 » Mais dès le premier entraînement, sa technique et son sens de l’anticipation ont mis tout le monde d’accord. Je pensais que la D2 allait être plus compliquée pour lui car c’est un championnat très physique « .

Le son de cloche est identique chez l’entraîneur Arnaud Mercier :  » Popo sait jouer juste, des deux pieds et en première intention. Il fait preuve d’une grande intelligence et ressort proprement le ballon grâce à sa qualité technique et tactique. Sa taille lui amène beaucoup de vélocité dans les mouvements, il casse facilement les reins à l’adversaire… En plus, dans des situations très chaudes il fait preuve d’un grand sang-froid. Il est imprenable.  »

Et à côté des qualités techniques, il y a ce mental à toute épreuve qui impressionne le géant Bojovic.  » Il est vraiment costaud sur ses appuis. Au duel, il ne lâche rien et j’avoue honnêtement que j’ai du mal avec lui. Il arrive à utiliser son petit corps pour passer devant l’adversaire et avoir le ballon en premier, c’est bluffant.  »

Taille patron

Le Nigérian s’est très vite adapté à son nouvel environnement.  » Ici, tout le monde est charmant avec moi. C’est un peu ma deuxième famille. Vous savez, il arrive que l’on me chambre dans le vestiaire mais c’est de bonne guerre. Moi, je ne m’en formalise pas, je suis focalisé sur le football « , explique-t-il.

Si Popoola continue sur cette lancée, la Proximus League pourrait bientôt devenir trop étroite. Dans son cas, la question est de savoir si ses qualités suffiront à masquer son déficit de taille afin d’atteindre le haut niveau. Et Arnaud Mercier d’évoquer des pistes de réflexion :

 » Il est à l’aise en D2 parce que la configuration de l’équipe lui permet aussi de l’être. Si on jouait le kick and rush, on ne le verrait pas. On a essayé de trouver les équilibres autour de lui. Il possède une très belle marge de progression. Donc, oui il aurait sa place en division 1 en Belgique ou en France à condition qu’il y ait la volonté de jouer au ballon. Pour ce type de joueur, cela dépend de la philosophie du club, du coach… Il ne faut pas le juger par rapport à sa taille.  »

Sa taille, c’est sa marque de fabrique, une sorte d’appellation d’origine contrôlée comme le confie le joueur.  » Grâce à ma qualité technique et à ma vivacité, ma taille est clairement un atout, surtout dans le jeu au sol. Moi, je veux que l’on me voie comme un footballeur , pas comme quelqu’un de petit ou de grand, juste un footballeur. On verra ensuite en fin de saison, si je reste à Seraing ou si je retourne à Metz.  »

En attendant, le joueur travaille d’arrache-pied aux entraînements et continue à apprendre patiemment son métier, avec toujours cette volonté de réussir et de passer les paliers.  » Il doit encore soigner ses stats. Donner plus d’assists et inscrire des buts « , rappelle Arnaud Mercier.

Petar Bojovic renchérit :  » Il n’a pas encore marqué cette saison et on le chambre avec ça. Il a une frappe très puissante mais pour l’instant, il ne cadre pas souvent. Ceci dit, il dispose étonnamment d’un jeu de tête assez bon. Il possède une excellente détente et un bon timing. Il lui arrive même de gagner des duels contre des adversaires beaucoup plus grands que lui.  »

Imoh, le frère

Alors que les joueurs décrivent  » Popo  » comme assez timide et taciturne, lui se veut perfectionniste, humble mais ambitieux.  » Je veux mettre toutes les chances de mon côté. Ma petite amie est restée au Nigeria et j’aimerais qu’elle me rejoigne en Europe. Mais pour l’instant, je préfère rester seul pour me concentrer sur le football. Ma vie est régie par le foot.

Durant mon temps libre, j’aime rester chez moi pour me reposer et écouter de la musique, du hip hop ou de la chanson nigériane… Je ne suis pas un sorteur. Par contre, j’aime jouer à la console où je choisis toujours le Standard et Imoh (rires)… Pour le reste, je mange énormément même si ça ne se voit pas et je dors beaucoup. Bien dormir me donne la force pour être performant sur le terrain.  »

Il est sans doute trop tôt pour savoir quelle tournure prendra sa carrière mais les débuts sont prometteurs. Sodiq écrit les pages de sa vie de footballeur avec passion et détermination. Il met tout en oeuvre pour réussir son rêve européen. Il sait que sa réussite revêt une signification symbolique.

 » Je suis synonyme d’espoir pour les joueurs restés au pays. Avant que je signe à Metz, certains ne croyaient pas que je pouvais devenir professionnel. Aujourd’hui, les regards sur moi ont changé. Grâce à Dieu, je suis devenu un exemple pour eux. La preuve vivante que tout est possible si tu crois en toi.  »

PAR PASCAL SCIMÈ – PHOTOS: BELGAIMAGE/ JANSENS

 » Sa taille lui amène beaucoup de vélocité dans les mouvements, il casse donc facilement les reins à l’adversaire.  » Arnaud Mercier, son coach à Seraing

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