LE PLUS MALIN DE LA CLASSE

Il n’est pas le triathlète le plus talentueux du monde mais à Hawaï, Frederik Van Lierde a devancé tous ses rivaux. Comment le Flandrien est-il devenu l’Ironman World Champion 2013 ? Les cinq clefs de son succès.

1. Un suivi parfait

Frederik Van Lierde n’a cessé de remercier son entourage : sa femme et ses deux fils mais aussi son coach, Luc Van Lierde. Sa carrière n’a pris son envol qu’à partir de novembre 2010, quand il a commencé à travailler avec le double lauréat d’Hawaï, sur base d’un plan quadriennal. Luc Van Lierde :  » Frederik n’avait que 31 ans et possédait une large marge de progression car la plupart des triathlètes n’atteignent le meilleur de leur endurance que vers 34 ou 35 ans. La première année, je l’ai aidé à mieux atteindre son pic de forme, en choisissant deux ou trois objectifs et en considérant les autres triathlons comme des entraînements. En voulant tout gagner, il n’était jamais à 100 % mais toujours à 90 ou 95 %.  »

Cela a porté immédiatement ses fruits : en 2011, Frederik a remporté les épreuves d’Abu Dhabi et de Nice. L’année suivante, Luc Van Lierde a augmenté progressivement son volume d’entraînement.  » Sans risquer de le brûler. Nous avons lentement repoussé ses limites par des séances combinées de course et de vélo de plus en plus longues.  »

Cette année, Van Lierde s’est parfois entraîné 32 heures par semaine. D’un naturel solide, il s’impose chaque hiver des séances intensives de stabilisation du tronc avec un ostéopathe de Menin, Michiel Deva.

Le programme est établi sur base de tests à l’effort, effectués quatre à cinq fois par an avec Jan Olbrecht, docteur en sciences du sport. Olbrecht suit l’équipe néerlandaise de natation depuis Sydney 2000 et ses compétences sont reconnues dans le monde entier. La mesure de l’acide lactique lui permet d’évaluer le moteur d’un sportif. Olbrecht :  » Les tests classiques d’endurance mesurent la vitesse d’un moteur à un moment donné mais ne déterminent pas vraiment sa cylindrée. Mes modèles me permettent de voir si un athlète a encore des réserves, surtout sur base de sa VO2Max, la valeur qui détermine la quantité d’oxygène que peuvent absorber les muscles, et de sa VLAMax, la quantité d’acide lactique produite. Je fournis des ingrédients à Luc, qui concocte alors un menu adapté à la condition, au corps et aux carences spécifiques de Frederik. Nous pouvons ainsi augmenter son volume ou améliorer certaines pièces du moteur sans le surcharger.

Frederik s’entraîne mieux et plus que d’autres triathlètes plus doués. (Sa VO2Max, à 65, n’est pas exceptionnelle, ndlr). Ce n’est pas le cas en athlétisme ou en natation, des disciplines où la concurrence est énorme, mais en triathlon, on peut atteindre l’élite en commettant des fautes d’entraînement. C’est pour ça que ce n’est pas le plus fort mais le plus malin qui enlève généralement l’Ironman, surtout si, comme Frederik, il soigne les moindres détails, applique une tactique parfaite et a un mental en acier.  »

2. La polyvalence

La polyvalence de Van Lierde est son principal atout : à Hawaï, il a signé le quatrième meilleur temps dans les trois disciplines, devançant ainsi les hyper spécialistes.

Ancien nageur, Frederik est sorti de la Kailua-Kona Bay à onze secondes du meilleur, en compagnie de deux autres triathlètes. Luc Van Lierde :  » La technique de Frederik n’est pas parfaite, pourtant. Il plonge bien la main dans l’eau mais il ne plie pas assez le coude. Il profite aussi du sillage des meilleurs. Il pourrait nager plus vite mais cela coûterait trop d’heures d’entraînement qu’il est préférable de consacrer aux deux autres disciplines.  »

En augmentant progressivement son kilométrage et en multipliant les stages en altitude à Font-Romeu, Van Lierde a progressé en cyclisme, surtout dans les 40 derniers kilomètres, ce qui lui permet de limiter les dégâts par rapport aux meilleurs et d’entamer le marathon avec plus de fraîcheur. Sur les 180 kilomètres de bitume brûlant d’Hawaï, il a atteint une moyenne de 40,7 km/h et une cadence de 85 coups de pédale par minute pour un wattage de 294 et même 300 dans la deuxième partie de la course. À titre de comparaison, un spécialiste du contre-la-montre comme Tony Martin dépasse les 450 watts mais sur une distance restreinte et en roulant dans le rouge.

Luc Van Lierde :  » Les triathlètes ne peuvent pas s’épuiser puisqu’ils doivent encore courir le marathon. Ils doivent rouler à une intensité relativement faible, au fameux seuil de carburation des lipides. Ce seuil détermine le niveau des prestations dans les sports d’endurance et c’est justement une des principales qualités de Frederik. Il peut atteindre un pouls de 146, soit 80 % de son maximum (183) sans le dépasser.  »

En quart de triathlon, Van Lierde s’inclinait, sur 10 kilomètres, face aux meilleurs coureurs à pied. En 2008, il s’est donc focalisé sur l’Ironman. Van Lierde a bouclé le marathon d’Hawaï en 2 h 51 (14,8 km/h) alors qu’il a parcouru les derniers kilomètres en roue libre. Bart Aernouts, leplus rapide, a mis sept minutes de moins mais il accusait vingt minutes de retard sur notre compatriote après l’épreuve de vélo. Luc Van Lierde pense que son poulain peut être meilleur encore :  » À Melbourne, en mars 2012, il a déjà réalisé 2 h 42. C’est plus difficile sur le parcours très dur d’Hawaï mais il peut quand même descendre en dessous des 2 h 50 tout en pédalant plus vite.  »

3. Une alimentation adaptée

Pour prétendre à la victoire à Hawaï, il faut avoir un bon système digestif : sous cette chaleur humide, étouffante, il faut constamment compenser la déshydratation par l’ingestion de boissons et de gels.

Durant l’édition 2011, cela a posé problème à Van Lierde : il a abandonné à dix kilomètres de la fin, alors qu’il était huitième, à cause de diarrhée et de crampes à l’estomac. Le professeur Peter Hespel l’a soumis à des tests dans la chambre thermique de la KUL. Il a constaté que, soumis à la canicule, Van Lierde perdait 2,2 litres d’eau et 4 grammes de sel par heure. Seul Sven Nys fait pire avec 2,6 litres. En 2011, Van Lierde a ingéré trop de sel et trop peu de liquides, ce qui a surchargé son système digestif.

Depuis lors, il se soumet à un schéma strict : une barre énergétique et un litre et demi d’eau enrichie de 50 grammes de sucre et de deux grammes de sel au lieu de quatre par heure. Bien qu’à Hawaï, après cent kilomètres, il ait été dans la roue des meilleurs cyclistes, il s’est arrêté dans la zone d’approvisionnement pour prendre trois bidons, contrairement à ses concurrents.  » L’hydratation est plus importante que quelques secondes de plus ou de moins.  »

Des tests ont mis en évidence sa sensibilité au blé, au soja, au maïs et au lait. Il évite donc ces produits avant une course en consommant du pain et des pâtes sans gluten. En accord avec son diététicien, il complète ses repas par des compléments alimentaires.

Le Flandrien ne doit pas surveiller son poids. Même en hiver, il grossit peu. Il conserve sa discipline et son pourcentage de graisse, qui est de 6 à 7 %, augmente à peine. Le matin d’Hawaï, le triathlète pesait 74 kilos, soit deux à trois kilos de plus que pendant la préparation mais ses muscles étaient gorgés d’hydrates de carbone. Compte tenu de son 1m84, il n’est pas vraiment maigre, surtout comparé aux marathoniens et aux cyclistes, mais ce poids est nécessaire pour nager 3,9 kilomètres et pour affronter, à vélo, le violent vent qui balaie Hawaï.

4. Le souci du matériel

Van Lierde est à l’affût du moindre détail susceptible d’améliorer ses performances. Il y a deux ans, il s’est rendu à Genève, pour effectuer des tests dans le tunnel à vent de Mavic, son sponsor et fournisseur de cycles. Les tests ont confirmé qu’il avait une bonne position sur son Cervélo P5 super aérodynamique mais qu’il pouvait épargner quelques watts en modifiant la position de ses porte-bidons, de son casque et de ses mains. Van Lierde utilise les fameux plateaux ovales d’O-symetric, qu’emploient également Chris Froome et Bradley Wiggins, il roule avec des grands pignons et huile sa chaîne avec une cire spéciale, qui la fait tourner plus souplement.

Même si ça lui coûte quelques secondes quand il passe de la natation au cyclisme, il enfile des bas de compression afin d’accélérer la circulation sanguine et de mieux atténuer les chocs en marathon. Il fait appel à deux fournisseurs peu connus mais novateurs pour ses maillots de bain (Eropium) et ses chaussures de course (ON). À ses yeux, la qualité prime le montant du contrat proposé par des marques plus connues. Ce trait résume à merveille la personnalité du Flandrien.

5. Un mental en acier trempé

 » J’ai essayé de courir intelligemment et j’y suis parvenu.  » Ce furent les premières paroles du nouvel Ironman, à peine la ligne franchie. Luc Van Lierde lui avait répété qu’il devait courir sa propre compétition et son poulain y est parvenu avec maestria. Même quand, à mi-parcours du marathon, il accusait trois minutes de retard, il n’a pas sombré dans la panique.  » Dès le début de l’épreuve de course à pied, j’ai su que j’allais gagner « , a confié Frederik Van Lierde.

Cette assurance n’est pas tombée du ciel. Elle est le résultat d’innombrables séances avec une psychologue du sport, Els Snauwaert, à la porte de laquelle le triathlète a frappé il y a trois ans, ne voulant vraiment rien laisser au hasard, même sur le plan mental. Ensemble, ils ont établi un plan mental avant chaque course, suivi d’une analyse. L’audace est devenue le mot-clef de toute une série d’idées.  » Avant, dans les moments importants, Frederik se retenait un peu, inconsciemment, n’étant pas vraiment sûr de ses aptitudes « , explique Els Snauwaert.  » Il affiche désormais plus d’audace et de conviction, il ose prendre des décisions. Même quand il connaît un contrecoup ou que des pensées négatives surgissent, ce qui est inévitable pendant un effort de huit heures, il dispose de trucs mentaux pour refouler ces aspects néfastes. Par exemple, il se dit à lui-même : -Stop ! Et il se reconcentre sur son plan de course. Le terme  » perfection  » est également devenu un de ses mots-clefs. Je lui ai confié une tâche supplémentaire : ne pas trop réfléchir à ce qui va suivre ni à ce qui se passe autour de lui, pas plus qu’à la chaleur ou à la pénibilité de son effort. Non, il doit rester confiné dans son propre univers, sans laisser son attention s’en détourner, sans perdre de plumes.  »

Els Snauwaert a été particulièrement ravie que Van Lierde ajoute lui-même la notion de perfection à ses idées centrales.  » Un psychologue peut faire prendre conscience de certaines choses mais quand le patient arrive lui-même avec des idées nouvelles, c’est que le travail est vraiment bon. Je l’ai remarqué avant Hawaï. Frederik était vraiment convaincu de pouvoir s’y imposer, même s’il a toujours évité de formuler cette ambition à la presse. Cela aurait accru inutilement un stress sur lequel il n’a pas de prise alors qu’il peut contrôler la pression qu’il se met lui-même.  »

L’assurance du triathlète a crû pendant sa préparation : il a logé deux semaines chez une fanatique du triathlon, passionnée de spiritualité, à Phoenix.  » Elle a collé des cartes de motivation dans toute sa maison. Elle y avait inscrit des mots comme believe et elle avait réalisé des montages photos me montrant avec la couronne de l’Ironman « , raconte Van Lierde.  » Elle voulait inciter mon subconscient à croire en la victoire. Elle m’a obligé à me dire en moi-même, dix fois par jour : – : I’m the IronMan World Champion 2013,I’m the IronMan World Champion 2013…  » Le 13 octobre 2013 à 14 h 44, ce n’était plus un voeu pieux mais une prophétie qui s’était accomplie.

PAR JONAS CRETEUR – PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » Frederik s’entraîne mieux et plus que d’autres triathlètes plus doués.  » (Luc Van Lierde)

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