Le plus grand Superman

Rencontre au sommet avec le pivot roumain qui fut le plus grand basketteur de la ligue avec ses 231 centimètres !

Le garçon impressionne d’abord par la stature. Croiser son regard provoque des douleurs aux cervicales… Et puis la voix, grave et caverneuse. Et les mains. Immenses. Mais ensuite, il y a un gentil sourire et un regard doux. Gheorghe Muresan, 39 ans, est né un jour de Saint-Valentin !

 » On a souvent raconté que je provenais d’une famille pauvre : ce n’est pas vrai. Mon père était ouvrier d’usine « , nous dit Gheorghe.  » Evidemment, avec six enfants à la maison, on ne roulait pas sur l’or mais on mangeait à notre faim. On n’avait pas l’eau courante ni l’électricité, mais on se débrouillait. C’était le lot de la grande majorité de mes compatriotes sous la dictature de Nicolae Ceaucescu. C’était dur et strict, mais on ne s’en souciait pas trop. J’étais jeune, je ne réalisais pas bien… J’ai souvenir d’avoir vécu une enfance cool, sans soucis.  »

Gidza

On imagine quand même l’embarras que doit représenter une carcasse pareille ! Dès l’âge de 6 ans, en raison d’un dérèglement de l’hypophyse, Gheorghe commence à pousser. À 10 ans, il est déjà plus grand que ses parents (respectivement 1,70 et 1,76 m). Quatre ans plus tard, il culmine à 2,05 m. À la maison, comme pour conjurer le sort, on le surnomme Gidza (petit Gheorghe) :  » C’est à ce moment que j’ai commencé à jouer au basket. Avant, comme la grande majorité des jeunes Roumains, je m’intéressais uniquement au football. Tout s’est déclenché quand ma mère m’a emmené à Cluj, chez un dentiste… arbitre de basket. Il ne croyait pas que je n’avais que 14 ans. Il a appelé le coach national à Bucarest qui m’a demandé d’intégrer l’équipe locale. J’ai passé la nuit en ville et je ne suis plus retourné chez moi…  »

Gidza doit tout apprendre, et surtout composer avec ce grand corps pas spécialement athlétique. A force de travail et d’application, il intègre l’équipe nationale des moins de 16 ans. Il évoluera quatre ans au sein des équipes de jeunes sous le drapeau rouge, jaune et bleu. En 1991, il explose lors du Championnat du Monde Juniors d’Edmonton (Canada). Avec une moyenne de 23,4 pts et 11,4 rebonds, il aide son pays à se hisser à la 5e place. Les scouts sont en effervescence. Notamment ceux des universités américaines. Mais le jeune Gheorghe choisit la gratification immédiate et signe chez les champions de France de Pau-Orthez. Les émoluments collectés en France (300.000 euros) serviront à acheter une nouvelle maison à ses parents. Plus tard, il offrira une boulangerie à ses deux frères.

Douce France et Go West, young man !

Ses débuts au pied des Pyrénées sont difficiles. Il y a le choc des cultures, la barrière de la langue et l’obstacle de l’approche sportive. Le Roumain a été formé à l’Est, sans trop de chichis, d’égards ni surtout d’attention personnalisée. Michel Gomez, le coach de Pau, en revanche le prend sous son… aile. Patiemment, il lui apprend à exploiter son corps. Il ira même jusqu’à participer avec lui à des sessions de trampoline pour lui inculquer l’équilibre, le timing, la coordination, le contrôle du corps :  » J’ai beaucoup travaillé en France. J’ai ouvert les yeux, j’ai écouté… Les gens intelligents écoutent beaucoup, non ? ( il sourit) J’ai beaucoup apprécié Michel Gomez. Il m’a énormément appris. C’est un chic type. Et j’ai adoré la France. Pour moi, tout y était beau.  »

Les émissaires de la NBA commencent à défiler au club de l’Élan béarnais pour observer le phénomène aux prises avec les meilleurs joueurs lors des matches de Coupe d’Europe. Au terme de la saison 93, son agent, Kenny Grant, l’inscrit au draft de la NBA. Il y est retenu par les Washington Bullets en qualité de 30e choix :  » Ça m’a rendu heureux, mais c’était une étape, comme les autres. À 20 ans, je voulais jouer aux États-Unis.  »

Le gouffre était énorme, non ?  » Oui et non. Bien sûr, c’est dur : la langue, les horaires, le nombre des matches et leur intensité, les nombreux schémas tactiques… Mais au bout du compte, tout dépend de vous. Si vous aimez ce que vous faites, tout est facile. « 

Sa première saison avec les Bullets est plus qu’honorable. Dans une équipe qui termine à la dernière place de l’Atlantic Division (24v/58d), Muresan joue une douzaine de minutes par rencontre et tourne à la moyenne de 5,6 points. Il travaille beaucoup individuellement, notamment pour arriver à un poids de forme entre 136 et 138 kg.

Du beau monde

Dès la deuxième saison, le géant des Carpates poursuit un objectif : se faire une place en NBA, grâce à sa taille et surtout, grâce à ses qualités strictement sportives. Et il y parvient. On commence à le prendre au sérieux avec une moyenne de 10 points, 6,7 rebonds et 1,7 bloc. Il ne cessera jamais de s’améliorer. En 96, au terme de sa troisième saison dans la capitale américaine, il reçoit même le prix de joueur – tous clubs confondus – ayant le plus progressé (14,5 pts – 9,6 rebonds et 2,3 blocs).

 » Chaque match était différent. Sans exagérer, chaque joueur de la NBA est bon et vous oblige à donner le meilleur de vous-même. Il n’y a aucun répit : ni au cours d’un match, ni d’un match à l’autre. La moindre inattention et on se fait immédiatement berner. J’ai connu pas mal de très grandes vedettes des années 90. Le premier qui vient évidemment à l’esprit est Michael Jordan (Chicago Bulls). Lui était vraiment au-dessus du lot. Il avait tout : vitesse, explosivité, souplesse, précision… Je pense aussi à Alonzo Mourning (Charlotte et Miami), une force de la nature, tout comme Shaquille O’Neal, mais lui était moins mobile. Le pivot de Houston, Hakeem Olajuwon, m’a aussi marqué par sa force et ses qualités techniques. Je n’oublie pas non plus les deux fidèles parmi les fidèles : David Robinson, qui a passé ses 14 saisons à San Antonio, et Reggie Miller, qui a fait de même pendant 18 exercices à Indiana.  »

Star sous tous rapports

Gheorghe est monté en puissance au fil des saisons. Tout comme sa cote de popularité. Il est sérieux, travailleur, sympathique et se prête volontiers aux obligations de relations publiques exigées par l’employeur et la ligue. Et notamment les séances de photos avec les supporters, heureux d’être immortalisés aux côtés du tallest player ever. On lui accorde en effet quelques petits millimètres de plus que le Soudanais Manute Bol, qu’il croisera brièvement chez les Bullets.

Cette popularité n’échappe pas à l’industrie cinématographique. L’acteur Billy Crystal lui propose de tenir, à ses côtés, le rôle de Max Zamphirescu, qu’il entend transformer en vedette hollywoodienne. Une histoire qui deviendra My Giant sur le grand écran, inspirée de la rencontre de Crystal avec le catcheur français André Roussimoff (2,24 m et…227 kg), alias André le géant. Muresan acceptera mais pas d’emblée.  » J’ai d’abord un travail que j’aime « , avait-il prévenu.

En juin 1998, il doit subir une opération au dos. Rien ne sera jamais plus pareil et il est libéré par Washington en janvier 1999 au cours de la grève des joueurs. Il se retrouve au New Jersey sous le maillot des Nets pour lesquels il joue en tout et pour tout une petite minute lors du tout dernier match de la saison. Il rate le début de 1999-2000 en raison d’un problème au ménisque du genou gauche et termine la saison sur un mode mineur (3,5 pts, 2,3 rebonds et moins d’un bloc par match). La fin est proche. Il jouera encore une quinzaine de rencontres sous le maillot de l’Élan béarnais, le temps de conquérir un nouveau titre de champion de France avant de revenir s’installer aux Etats-Unis. Il vit aujourd’hui à Potomac, à quelques encablures de Washington DC, avec Lilliana et leurs deux préados, Victor et Gheorghe Jr.

Retraite

Le Roumain qui a gagné plus de 6 millions de dollars est placé à la tête de l’équipe nationale roumaine en 2001 :  » Mais je n’y suis pas resté longtemps. Même si nous nous sommes affranchis de la dictature de Ceaucescu, l’héritage du passé reste lourd à porter. Les choses n’ont pas beaucoup changé ces 20 dernières années. La fédération reste bureaucratique et rigide. Et ce n’est pas propre au basket. En football aussi, nous sommes à la traîne. On vit avec le passé. On doit réaliser une fois pour toutes que l’ère de Gheorghe Hagi, c’est terminé. On pense toujours que nous sommes les meilleurs ! C’est pathétique. Tous les pays européens font de grands progrès tant en basket qu’en foot, sauf la Roumanie. Il faut faire une grande lessive. On m’appelle encore régulièrement pour que je vienne en aide. Comme je n’ai pas le pouvoir de changer la structure en profondeur, c’est peine perdue. J’aide ma famille et je contribue à quelques organisations caritatives. Rien d’autre.  »

Gidza travaille aujourd’hui pour les Washington Wizards dans un rôle de relations publiques et de promotion. Il organise notamment des clinics pour les jeunes, principalement dans le nord dela Virginie. Des activités qui le passionnent.

PAR BERNARD GEENEN – photos: reuters

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