Le plus beau métier du monde?

Paradoxe: alors qu’une table ronde planche sur la pénurie d’enseignants, les Ecoles normales accueillent de plus en plus de candidats professeurs. Pourquoi des jeunes ont-ils choisi ce métier envers et contre tout? Reportage

« Souvent, les enseignants ont choisi cette profession en rêvant à de bonnes relations avec les jeunes, en espérant donner des cours interactifs et avoir du répondant de leur part. Et il faut bien avouer qu’il sont trop souvent déçus sur ce plan-là », explique l’ancien sénateur Jacques Liesenborghs, qui fut longtemps prof et directeur d’école.

Pourtant, chose curieuse, alors que l’on se plaint d’une pénurie d’enseignants ( lire encadré), les chiffres semblent indiquer un regain d’intérêt pour le métier: dans les Ecoles normales (appelées désormais Hautes Ecoles pédagogiques), le nombre d’inscriptions en première année, tous niveaux confondus, est passé de 4 588 en 1996-1997 à 5 656 durant l’année scolaire qui s’achève. Rien que pour le primaire, on remarque une augmentation d’environ 25 % en un an.

Qu’est-ce qui pousse encore les jeunes dans cette direction? Pour certains, c’est une véritable vocation, comme pour Vincent, qui a commencé des études d’institueur primaire après sa licence en philologie romane. D’autres parlent de second choix suite à un échec dans l’enseignement universitaire. « Je ne connais pas beaucoup d’élèves sortant de rhéto qui ont envie de devenir enseignant. Ce n’est pas plus mal parce qu’on n’est pas toujours suffisamment mûr pour effectuer à 18 ans un stage dans une classe où les élèves n’ont que trois ans de moins que nous. Je me suis moi-même tourné vers l’enseignement après avoir commencé des études de kinésithérapeute », raconte Jean-Philippe, qui rêve de transmettre le plaisir des sciences aux élèves.

En effet, les débuts sont parfois difficiles. « Mon premier stage a été très dur, explique Sophie, 22 ans, institutrice depuis cette année. J’avais passé un temps fou à préparer mes cours mais les élèves n’écoutaient rien de ce que je disais. Je rentrais chez moi en pleurant tous les jours, c’était vraiment décourageant. » Et elle n’est malheureusement pas la seule à se plaindre de ces élèves dont le comportement je-m’en-foutiste est souvent assimilé à une éducation trop laxiste.

Pour soutenir les jeunes enseignants dans leurs premières expériences, la ministre de l’Enseignement supérieur, Françoise Dupuis (PS), a entrepris une réforme de leur formation. Depuis septembre 2001, les Hautes Ecoles pédagogiques sont, par exemple, tenues de mettre l’accent sur la relation entre théorie et pratique, via des ateliers de formation professionnelle. Les futurs enseignants sont ainsi mieux préparés à la gestion des conflits ainsi qu’à la multiculturalité.

Qu’en pensent les principaux intéressés? « Ce ne sont pas les cours qui sont mal adaptés, mais il faut reconnaître qu’il y a souvent un manque de dialogue entre les hautes écoles et l’endroit de stage, explique Jean-Philippe Dubois, étudiant de dernière année à la haute école Léonard de Vinci, à Louvain-la-Neuve. On nous enseigne de nouvelles méthodes, on nous donne de nouvelles structures de cours mais, lorsque nous sommes en stage, le professeur sur place préfère que l’on s’en tienne aux méthodes traditionnelles. Nous n’avons donc pas l’occasion de mettre cette formation en pratique. »

Il faut dire que les professeurs de l’enseignement supérieur sont parfois en décalage avec la vie réelle des écoles. Titulaires d’une licence ou d’un régendat, ils possèdent souvent la connaissance sans maîtriser pour autant la capacité de bien la transmettre. « Certains profs sont idéalistes : ils ont de bonnes idées mais elles sont irréalisables dans le système actuel, constate Jean-Philippe. Et puis, il y a ceux qui ont enseigné dans le secondaire depuis tellement longtemps qu’ils sont comme « déconnectés » de la réalité et ont du mal à faire passer leurs idées. »

A partir de septembre prochain, les professeurs désireux d’enseigner dans les hautes écoles devront toutefois suivre une formation au terme de laquelle ils se verront décerner un brevet, le certificat d’aptitude pédagogique approprié à l’enseignement supérieur (Capaes). Au programme : 120 heures de cours théoriques et une formation pratique de 90 heures, à suivre dans les universités et les écoles de promotion sociale. Les profs déjà nommés ne sont pas concernés par cette obligation. Les autres auront six ans, à partir de leur engagement, pour décrocher le Capaes, sous peine d’être démis de leurs fonctions d’office et sans préavis.

Mais, selon les futurs enseignants, la réforme de la formation des maîtres n’offre pas une solution suffisante. Ils pointent du doigt les conditions de travail dans les écoles primaires et secondaires. « En stage, lorsque nous préparons nos cours, nous payons nous-mêmes le matériel. Et une fois dans la vie active, c’est souvent pareil. » Des moyens supplémentaires, des classes plus restreintes pour une meilleure communication avec les élèves, voilà quelques-unes des revendications de ces jeunes.

Pas seulement les salaires…

On a beaucoup parlé d’une revalorisation salariale pour les enseignants afin de les inciter à s’engager – et à rester – dans la profession. Nombreux sont ceux qui contestent ce point de vue. Selon Jacques Liesenborghs, ce n’est pas LA solution. « Il faut davantage se tourner vers la dimension humaine du métier. » C’est l’image du prof dans son ensemble qui est mise à mal. Le professeur n’est plus reconnu ni respecté. Avant, il jouissait d’une certaine autorité et bénéficiait d’une aura. Ce temps-là est révolu.

« On parle toujours de pénurie en termes de quantité: il manque autant de professeurs dans telle matière. Je pense au contraire qu’il faut poser le problème en termes de qualité, c’est-à-dire répondre à la question: qui faut-il et à quel endroit? » poursui Jacques Liesenborghs. Et de pointer le rôle de la presse : « Depuis dix ou quinze ans, les médias ne montrent que ce qui va mal dans les écoles. Il est normal que la fierté d’être enseignant disparaisse. On donne des profs une image stéréotypée et négative alors qu’ils font des choses extraordinaires pour lesquelles, semble-t-il, il n’y a pas de place dans les médias. »

Ioana Bosmans

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