Le pire : le racisme

Le point sur le fléau des stades.

Il y a quelques semaines, l’Union Belge lançait une campagne contre la violence verbale ou raciste dans les stades. Ce faisant, la fédération réactivait une mesure prise en 1996 à l’initiative de Michel D’Hooghe. L’arbitre devait arrêter le match en cas d’abus verbaux de la part des supporters. Tout le monde s’est réjoui qu’elle n’ait jamais dû être appliquée car les choses se calmèrent. En fin d’année dernière cependant, on dépassa à nouveau les bornes dans quelques stades du pays, à Bruges et à Anvers surtout. Patrick Kluivert et Marc Degryse en furent les principales victimes et c’est le joueur du GBA qui avertit les autorités de l’UB. Il fallait réagir avant que les choses ne dégénèrent.

Dès la reprise du championnat à la mi-janvier, une campagne d’anti-violence verbale fut lancée dans les médias ( Robert Waseige lui brandissant la carte rouge), des annonces furent faites au micro dans les stades par les capitaines d’équipe et instruction fut donnée aux arbitres d’arrêter la rencontre (provisoirement ou définitivement en cas de récidive) si de tels abus étaient à nouveau enregistrés dans nos stades.

Le problème chez nous est confiné à une infime partie des gradins de certains clubs. Seuls quelques énergumènes se sont permis des écarts de langage depuis le début du championnat. Il n’empêche que le phénomène ne doit pas être pris à la légère. « Je pense que seule la fédération ne peut pas faire grand-chose », commentait Jan Peeters lors de la présentation à la presse de la campagne.

« Il nous faut la collaboration des autorités policières et judiciaires. Cette lutte forme un tout et concerne tout le monde si elle veut être efficace. L’action doit être permanente. Les clubs de supporters ont un rôle primoridal à jouer. Préventif tout d’abord. Ensuite, si nécessaire, ils doivent faire le ménage dans leurs rangs », explique Ludo Nauwelaerts de la fédération des clubs de supporters du FC Malines. D’autres insistent sur le fan-coaching et le rôle primoridal des stewards. A Liège, Manuel Comeron, a tenté diverses expériences comme d’obliger des hooligans à se responsabiliser en pratiquant des sports extrêmes. En faisant de l’alpinisme par exemple, il faut à un moment donné rentrer dans la norme pour sauver sa peau.

Le phénomène de la violence verbale ou raciste n’est pas circonscrit à notre seul pays. Certains sont très peu touchés comme les pays scandinaves ou l’Ecosse. Mais en Italie, il ne se passe plus une semaine sans que des incidents plus ou moins graves soient signalés.

Et pourtant, la Péninsule a longtemps été considérée comme un havre de tolérance dans lequel le racisme n’avait nullement droit de cité. En 1997 encore, la Miss Italia avait la peau couleur café au lait, sa mère étant d’origine dominicaine. En septembre 2000, à Sydney, le port du drapeau azzurro à la cérémonie olympique d’ouverture fut confié à Carlton Myers, un basketteur d’origine jamaïcaine. Pour ces deux non-évènements, un sondage fut opéré en Italie : une écrasante majorité de la population était d’accord avec ces choix, et ne trouvait strictement rien à redire au fait que l’Italie soit représentée dans les sphères internationales par des compatriotes de couleur.

Ces temps derniers, dans le Calcio, il en va autrement. Les autorités insistent, à juste titre, sur le fait qu’il s’agit d’actes perpétrés par une infime minorité. Dès 1996 pourtant, un plan progetto ultra fut mis sur pied pour enrayer la montée de violence et le racisme dans les stades. Le sociologue Carlo Balestri, responsable du plan, pense que cette poussée xénophobe pourrait ne pas s’éterniser.

« La prospérité économique des années nonante a changé la mentalité chez nous. Pendant longtemps, l’Italie passa pour un pays d’émigrés. Et tout d’un coup, elle devient terre d’immigration. Pour beaucoup d’Italiens, c’est une situation nouvelle à laquelle les Britanniques ou les Français sont habitués depuis bien longtemps ».

Certains ont peur des étrangers, en ce sens qu’ils pourraient prendre la place des Italiens dans les meilleures équipes par exemple. « Les outils pour lutter contre le racisme ne manquent pourtant pas dans la Péninsule. La loi Mancino (1993) punit toutes sortes de discriminations et la sanction peut aller jusqu’à trois ans de prison ferme. Au niveau policier, des équipes ont été mises sur pied dans chaque préfecture de police concernée, les carabinieri infiltrent les endroits du stade où se réunissent les ultras. Un site Internet italien diffuse depuis quelques temps des photos sur lesquelles figurent des supporters violents que chacun est invité à identifier. En octobre dernier, 46 tifosi de la Lazio ont été interdits de stade. Pour Sergio Campana, président de l’association italienne des joueurs, le mal est plus profond qu’il n’y paraît : « L’argent rend le football malade et le prive de toute sportivité et de culture. Avec les conséquences que l’on voit ».

Les autorités sportives ne sont pas en reste. Les amendes pleuvent. La Lazio en fut la première victime. Les appels au micro de l’ex-entraîneur Eriksson et de Veron sont restés lettre morte. Et Mihajlovic fut suspendu pour deux matches par l’UEFA pour propos racistes envers Patrick Vieira. Tous les amoureux du Calcio espèrent que ces mesures porteront rapidement leurs fruits. La direction de la Lazio a demandé à ses avocats de prendre toutes les mesures nécessaires pour briser le comportement écoeurant d’une infime minorité de soi-disant supporters. Il est vrai que ces dérapages ont une incidence très néfaste sur l’image de marque du club et se sont répercutés à la bourse de Milan où le titre du club perdit pas mal de plumes.

En France, la situation est calme dans son ensemble. Mais deux foyers racistes inquiètent ou ont inquiété : Strasbourg et le PSG. Dans la capitale de l’Alsace, des inscriptions antisémites ont été faites au stade de La Meinau. Elles visaient l’entraîneur Claude Leroy. La société civile, maire en tête, a immédiatement réagi et une information judiciaire a été ouverte, ce qui a calmé l’ardeur de beaucoup.

Plus graves sont les incidents qui furent créés par le noyau dur des supporters du PSG. Même les dirigeants du club parisien ne furent pas épargnés. Un huissier a pu constater que les gens de couleur étaient systématiquement aiguillés vers un endroit spécifique du stade. « Uniquement pour leur sécurité », se défendirent les responsables parisiens. SOS Racisme intenta un procès au PSG. Celui-ci n’eut jamais lieu, le club ayant demandé à collaborer avec l’organisation. Ils produirent ensemble un clip visible sur l’écran géant du stade, organisèrent une campagne de prévention et le PSG parraina et équipa un club de foot composé d’émigrés en Seine-St-Denis.

La situation s’est améliorée mais reste préoccupante. Lilian Thuram, qui collabore étroitement avec SOS racisme, explique que : « Ce qui est malheureux, c’est que dans ce genre d’actions, sur la totalité des personnes concernées, une grande partie n’est pas raciste mais se contente de suivre stupidement le mouvement ».

Sur le terrain, la France pourrait être citée en exemple. En 1998, après la victoire des Bleus, Jacques Chirac s’était même permis un bleu-black-beur. Et la France multiculturelle avait fermé provisoirement le clapet du Front National, l’équipe tricolore ayant fait la démonstration qu’une société pluriethnique était un sacré atout. Mais il reste encore quelques foyers xénophobes. « Le foot et l’école essentiellement », explique Patrick Mignon, sociologue à l’Institut national des sport à Paris (Insep). « Et pourtant ni le sport ni l’enseignement ne génèrent le racisme, bien au contraire, mais ce sont des terreaux sur lesquels peuvent pousser des dérives. Il semble que dans le football quelques supporters peuvent pousser des groupes très fragiles. En rugby, un sport pourtant plus violent, il n’y a pratiquement jamais de troubles dans les pourtours ou les gradins. On remarque aussi que la violence verbale ou raciste est presque exclusivement le fait de garçons et non de filles. C’est une manière de s’affirmer pour des gens qui sont éventuellement exposés à une perte de virilité ».

En Angleterre, on déplore très peu d’incidents, bien qu’ Andy Cole ou Sol Campbell aient déjà été insultés par leurs propres supporters. Mais la réaction des autres spectateurs, qui forment la grande majorité, est si forte que de telles réactions sont vraiment devenues l’exception. Beaucoup de mesures ont été prises sur les Iles pour éviter les actes ou paroles racistes mais aussi pour favoriser l’intégration de tous. Tout a été mis en oeuvre pour que les minorités noires ou asiatiques assistent aux matches (moins d’1% des spectateurs sont d’origine étrangère).

Dès 1993, une campagne en ce sens a été mise sur pied en Angleterre: Let racism out of football et la Football Association a décrété des interdiction de stades pour les contrevenants afin de joindre les actes aux paroles. L’Angleterre, berceau du hooliganisme, fut la première à prendre des mesures draconniennes en modernisant ses stades et en y installant des caméras de sécurité. Toutes ces mesures portent leurs fruits at home et commencent à le faire sur le continent aussi. En Angleterre, il est vrai, un même acte délictueux est jugé plus sévèrement s’il a été perpétré à l’intérieur d’un stade qu’à l’extérieur.

Dans d’autres pays, la situation est alarmante comme en Hongrie ou différents ministres ont dû intervenir pour prévenir des dérives racistes et antisémites dans les stades. En Argentine, la violence, tant physique que verbale est monnaie courante. C’est, aux dires de la FIFA, le pays le plus touché, même si on en parle peu en Europe. Le président de la fédération argentine et vice-président de la FIFA, Julio Grondona, a pris des mesures et plusieurs matches ont déjà été définitivement arrêtés.

D’autres pays ne sont pratiquement pas atteints. C’est le cas chez nos voisins hollandais, qui, à peu de choses près, ont pris les mêmes mesures que l’Union Belge.

« Un match auquel je participais a été arrêté pendant quelques minutes après que des propos racistes aient été entendus dans les pourtours », dit Geert Devlieger. « Un appel au micro a été fait spécifiant que le match serait définitivement arrêté en cas de récidive. Cela a calmé tout le monde et la rencontre s’est terminée sans le moindre trouble ». Jusqu’à présent quelques rencontres ont été arrêtées quelques minutes en Hollande mais ont toujours pu reprendre. Il est vrai que le club visité encourt une forte amende s’il ne met pas tout en oeuvre pour que le calme revienne parmi les spectateurs. Quitte à expulser les fauteurs de trouble.

En Allemagne, des incidents ont émaillé des rencontres de Rostock ou de Dortmund. Des supporters ont été mis en garde à vue pendant la totalité de la rencontre pour signes interdits par la constitution (salut hitlérien) avant le coup d’envoi. Il y eut aussi des problèmes au Makkabi Francfort (club amateur) et les autorités se sont mobilisées pour les éviter. Chez nos voisins de l’est, l’arsenal législatif répressif est solide. Comme en Espagne où pratiquement aucun incident du genre n’est signalé. Il est vrai que l’article 66 de la loi espagnole sur le sport interdit globalement tout acte qui incite à la violence et punit très sévèrement les organisateurs d’évènements sportifs qui ne font pas disparaître immédiatement les inscriptions ou autres symboles racistes ou injurieux. En Autriche, RAS non plus. Dès 1997, une campagne avait été mise sur pied fair-play, couleurs différentes et même jeu.

Les fédérations internationales s’inquiètent des dérives racistes qui peuvent surgir dans les stades. La FIFA et l’UEFA ont déjà alerté les fédérations nationales et les grands clubs du sérieux du problème. « Pour éradiquer ce genre de chose, il faut la collaboration de tous: dirigeants, joueurs, spectateurs », écrit Gerhard Aigner. En juillet prochain, la FIFA tiendra un important colloque sur le sujet. A Buenos Aires où se tiendront les championnats du monde des -20 ans.

Guy Lassoie

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