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LE PIED MALIN

En Pro League, les défenseurs parlent plus souvent avec les centimètres qu’avec les pieds. Steeven Willems, lui, ne fait qu’un mètre 80. Par contre, son pied gauche et son sens du jeu sont des atouts démesurés. Trajectoire d’un arrière central pas comme les autres.

Les histoires de défenseurs commencent souvent près du but adverse. Parce que le football est un sport où le plus difficile est de marquer des buts, et dans lequel la plupart des défenseurs qui atteignent le sommet ont commencé par empiler les buts avant d’apprendre à les éviter. Dans cette législation tacite du ballon rond, Steeven Willems fait figure de hors-la-loi :  » Évidemment, j’ai été testé à d’autres postes : milieu gauche, numéro 10, et j’ai même dépanné à l’arrière droit. Mais j’ai toujours été un défenseur. J’ai passé la plupart de ma formation entre le latéral gauche et la défense centrale.  »

Une fois sorti d’un club de village où ses qualités balle au pied sont rapidement à l’étroit, Willems pousse les portes de Lille, référence en matière de formation dans le Nord. Installé à gauche  » parce que j’étais gaucher « , et maintenu au fil des ans  » parce que ça se passait bien pour moi, donc j’y suis resté.  » L’histoire commence comme les classiques français estampillés centre de formation.

Elle esquisse les premiers contours du portrait de l’un des défenseurs les plus élégants du championnat belge :  » J’ai surtout appris des bases de relance à Lille, où on avait un jeu posé, au sol, avec des redoublements de passes. J’avais un coach qui m’apprenait à ne jamais garder le ballon dans les pieds, il devait toujours rouler.  » Et puis, alors qu’il semble suivre la ligne du classicisme bleu-blanc-rouge, le récit prend un premier virage inattendu un peu plus tard, quand Steeven reçoit l’opportunité de franchir la frontière.

UN AUTRE CHAMPIONNAT

Willems découvre la Belgique à Mouscron, qu’il rejoint en même temps qu’un de ses équipiers lillois. Quelques kilomètres de distance seulement, mais dépaysement garanti :  » C’est carrément un autre championnat. Avant d’arriver, la Belgique, je ne connaissais pas du tout. Je découvrais vraiment la totalité des clubs : le Standard, Anderlecht, tout ça, je n’avais jamais joué contre eux auparavant. Je n’avais pas spécialement conscience que c’étaient des plus gros clubs, donc je jouais vraiment libéré, sans prêter attention à la valeur de l’adversaire.  »

Produit d’une formation lilloise bien plus concurrentielle, le Nordiste est au-dessus du lot chez les Hurlus. Tellement, qu’il attire le regard d’autres clubs français, et qu’il accepte des tests qui inciteront Mouscron à lui montrer la porte de sortie. C’est finalement à Guingamp, loin de ses proches, que la suite de l’aventure footballistique de Steeven Willems s’écrit.

Les années passent, et la success-story prend des airs de roman inachevé. Le gaucher ne sort pas de l’équipe B, et l’échappatoire semble être en National, plus précisément à Dunkerque. Le chapitre commence par un match amical, mais son écriture est rapidement interrompue par l’irruption d’un nouveau personnage.

RETOUR À LILLE

Sur le bord du terrain, Rachid Chihab attend d’être impressionné. Le coach de la CFA de Lille est confronté à un renouvellement générationnel dans son noyau d’espoirs, et cherche de bonnes pioches. L’ancien entraîneur de Mouscron se souvient :  » Je devais reconstruire, et c’est là que j’ai découvert Steeven, lors de ce match amical. Je ne le connaissais pas du tout, mais il m’a plu par son attitude, son comportement sur le terrain.  »

Chihab pointe directement l’un des atouts de Willems :  » C’était aussi un joueur sur lequel on pouvait compter. Dans un groupe, c’était un élément très important.  » L’intéressé, qui s’imagine bien embrasser une carrière de coach quand les années auront mis un terme à celle de joueur, ne peut que confirmer son approche collective du jeu. Alors que beaucoup de défenseurs rivent leurs yeux sur leur modèle quand vingt-deux joueurs s’activent sur le petit écran, Steeven  » regarde vraiment l’ensemble. Parce que quand on a la balle derrière, voir les mouvements d’un attaquant pour savoir comment l’alerter, c’est tout aussi intéressant. L’aspect tactique, ça a toujours été quelque chose d’important pour moi. Le jour où je tombe sur un coach qui n’aura pas de valeurs tactiques, ça va peut-être me poser des problèmes dans ma communication avec lui, parce que je pense que c’est la base du football d’avoir un esprit tactique, et un esprit défensif avant d’être offensif. Parce que pour pouvoir attaquer, il faut commencer par avoir le ballon.  »

BON RELANCEUR

Dans un vestiaire de CFA où les objectifs sont parfois plus individuels que collectifs, le discret Willems peine à sortir de l’anonymat.  » Dans le couloir gauche, il manquait un peu de vitesse « , se souvient Rachid Chihab.  » Par contre, dans l’axe, s’il jouait à côté d’un défenseur rapide, complémentaire avec ses qualités, il se mettait en évidence, surtout parce que c’est un très bon relanceur.  »

Les suiveurs du vivier lillois le cataloguent  » correct « , mais ont peu d’espoir de le voir percer jusqu’en Ligue 1. Willems, lui, y croit :  » J’ai eu un brin d’espoir, quand j’ai goûté au côté professionnel du club. La qualité des installations, la rigueur des entraînements… C’était alléchant. J’ai fait beaucoup d’entraînements, je suis parti en stage avec eux… Ça a été une petite déception de ne pas pouvoir passer pro avec ce groupe. Mais je pense que je manquais de qualités à ce moment-là pour percer.  »

 » Il ne faut pas oublier qu’on parle d’une période où Lille est au sommet de son ascension « , tient à souligner Thomas Buanec, qui devient l’agent de Willems lors de cette période chez les Dogues. Buanec, dont les activités sont réparties entre la France et la Belgique, voit l’avenir de son poulain de l’autre côté de la frontière. Mouscron, partenaire avec Lille, vient aux nouvelles, mais n’est alors qu’en D2, et Steeven préfère prendre le risque de tenter le coup un étage plus haut :

 » Venir à Charleroi, c’était une grosse opportunité. Financièrement, disons que ce n’était pas ouf, mais le fait de pouvoir passer professionnel m’a vraiment attiré. Après, je connaissais le club de nom, mais je ne connaissais pas sa situation. Je me suis un peu embarqué dans l’inconnu, en faisant confiance à mon agent.  »

PRO À 21 ANS

Car Thomas Buanec, lui, connaît la maison, puisque Grégory Lazitch est également l’un de ses clients.  » Je lui ai conseillé d’y aller, parce que je savais que c’était un club qui démarrait sur une nouvelle dynamique, avec un projet tout neuf. Charleroi était un pari pour Steeven, mais Steeven était aussi un pari pour Charleroi.  »

Willems débarque donc dans le Pays Noir le même été que Felice Mazzù. L’explosion du Français prend plus de temps que celle de son coach, parce que  » j’étais déjà mature dans la vie de tous les jours, mais je devais trouver cette maturité dans mon football « , concède le défenseur.  » C’était ma première année chez les pros. Tu découvres les grands stades, la pression du football professionnel, qui est différente de celle chez les jeunes…  »

C’est un peu comme si le réveil de sa carrière avait sonné avec quelques années de retard. Parce que c’est seulement à 21 ans que Willems est devenu pro :  » Je pense que j’ai eu une progression un peu tardive, à cause de mes manques aussi. Je n’ai jamais été très athlétique, très costaud, ça a mis du temps à venir chez moi. Aujourd’hui, j’arrive à être un joueur plus complet.

La dimension physique, c’est important. Mais pour la travailler, il faut d’abord prendre conscience de cette importance, puis avoir un petit coup de main à côté de soi pour le faire. Les préparateurs que j’ai eus ici m’ont beaucoup aidé pour me développer, et aujourd’hui je récolte les fruits de ce travail.  »

NOUVELLE DIMENSION

 » Il manquait un peu de personnalité, et d’agressivité dans son jeu pour faire une carrière un palier plus haut en tant que défenseur central « , diagnostique Rachid Chihab.  » Mais aujourd’hui, il a la carrière qu’il mérite.  » Sans doute parce qu’il a évolué. Willems, décrit par son agent comme  » quelqu’un qui a les pieds sur terre, puissance dix « , poursuit lui-même le constat de sa croissance footballistique sur le tard :

 » Je pense que mon évolution se fait surtout dans ma mentalité. Mes qualités, je les ai toujours eues, mais j’avais du mal à les dévoiler et à les exploiter. Plus les années passent, et moins je me sens inférieur ou complexé par rapport à un adversaire.  »

Son mètre 80, profil atypique à son poste dans une Pro League où les centraux semblent parfois sélectionnés sous la toise plutôt que sur le terrain, ne passe plus inaperçu.  » C’est vrai que je ne suis pas un monstre athlétique, comme certains aiment les avoir dans leur défense centrale, mais je pense que j’arrive à pallier ça avec ma lecture de jeu ou mon sens de l’anticipation. Le plus important, c’est d’être conscient de ses faiblesses et de ses forces.  »

Des forces qui marquent les esprits, à chaque nouvelle prestation aboutie des Zèbres.  » C’est vrai qu’il a changé de dimension et de statut cette saison « , confirme Thomas Buanec quand on conjugue Willems au futur.  » Mais Steeven est bien à Charleroi. Il a rencontré sa compagne ici, et il continue à grandir avec le club. Croyez-moi, il n’a pas fini d’en surprendre certains.  »

Une conclusion qui épouse à merveille deux trajectoires : celle de Willems, et celle du Sporting.

PAR GUILLAUME GAUTIER – PHOTOS BELGAIMAGE

 » L’aspect tactique a toujours été quelque chose d’important pour moi.  » STEEVEN WILLEMS

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