Le philosophe

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

L’homme de Dakar veut réussir son pari.

Cheikh Gadiaga n’a rejoint ses nouveaux coéquipiers dans la belle campagne néerlandaise qu’en milieu de semaine dernière. Les Montois y ont passé une semaine de stage, en pleine nature, pas bien loin de la frontière allemande. Ils ont accueilli chaleureusement leur nouveau partenaire sénégalais, un type au look sortant tout à fait de l’ordinaire, avec sa coiffure rasta et son sourire qui pourrait inspirer des fabricants de dentifrice à la recherche d’un modèle pour un spot télé pétant…

Gadiaga (23 ans) a ouvert des yeux comme des toupies en découvrant les charmes de la Hollande profonde. Pour la première fois de sa vie, il a vu un moulin à vent.  » Et à quoi ça sert, ce truc ? », demande-t-il, amusé.

Le transfert de ce joueur à l’Albert, on en parlait depuis plusieurs semaines. Mais les négociations ont traîné. Pour des problèmes de manager, mais surtout parce que Gadiaga n’a pas tout de suite trouvé un accord financier avec Mons, et aussi parce qu’il a fallu que les Hennuyers trouvent un terrain d’entente avec les patrons du Lierse, où le joueur avait encore un contrat de deux ans.

Cheikh Gadiaga : C’est vrai qu’on a eu besoin de temps pour régler les derniers petits détails. Mais j’ai toujours été convaincu que tout le monde allait finir par s’entendre. Pour moi, en tout cas, Mons était une priorité. Dès les premiers contacts, je m’étais renseigné auprès de pas mal de gens du foot et ils m’avaient tous dit que ce club était fait pour moi.

Pourquoi vouliez-vous quitter le Lierse alors que vous aviez fait quelques très bons matches là-bas ?

Entre Emilio Ferrera et moi, le courant ne passait pas. Je n’en dirai pas plus. Je ne faisais plus partie de ses plans, c’est tout. Je n’ai pas énormément joué la saison dernière et je ne voulais plus connaître le même championnat. Ma priorité, c’était d’être chaque semaine sur la pelouse.

Pourquoi étiez-vous à ce point attiré par Mons ?

Pour plusieurs raisons. Ici, tout le monde parle français : après avoir joué en Chine, où je ne comprenais rien à ce que les gens racontaient, et au Lierse, où le français n’était pas la première langue, je me suis rendu compte de l’importance de travailler chaque jour dans un environnement où on comprend tout. J’étais conscient, aussi, que Marc Grosjean avait fait de ma venue une priorité. Et j’avais vu, la saison dernière, qu’il y avait un manque sur le flanc gauche de Mons. Je suis sûr que je peux aider ce club à résoudre son problème. J’ai toujours joué à cette place et je m’y sens vraiment bien.

 » Quand on a connu la Chine, on peut aller n’importe où… sauf sur la lune  »

Vous avez connu un parcours inhabituel avant d’aboutir chez nous, au RWDM. Comment vous étiez-vous retrouvé en Chine ?

J’étais sur le point d’aller en France, le pays qui fait rêver tous les footballeurs sénégalais. Mais mon transfert a capoté in extremis, et mon manager m’a alors proposé d’aller en Chine. Au début, j’étais tout à fait contre. Je ne voyais pas ce que je pourrais aller faire là-bas. Mes parents, eux, m’ont encouragé à tenter ma chance. Leur réaction m’a étonné, parce que je n’avais que 18 ans et je vivais toujours à la maison. Ils m’envoyaient là-bas seul, où je devais tout apprendre de l’indépendance. J’ai suivi leurs conseils. Je ne l’ai jamais regretté.

Vous n’y êtes quand même resté que six petits mois…

C’était suffisant ! Pendant cette demi-année, j’ai accumulé énormément d’expérience. J’ai dû apprendre à m’adapter à une mentalité tout à fait différente. Mais surtout à me débrouiller. J’étais dans une ville de 8 millions d’habitants où il y avait, en tout et pour tout, trois Noirs… Tous les trois dans mon club : un Camerounais, un Zaïrois et moi. Ce fut une merveilleuse école de vie. Aujourd’hui, je peux aller n’importe où… sauf sur la lune.

Vous vous êtes ensuite retrouvé à Barcelone !

Mon manager a reçu une invitation et je n’ai pas voulu rater l’occasion. J’y ai passé un test de trois semaines, au milieu des stars. Je me suis entraîné avec le noyau A de Louis van Gaal. Il y avait Figo, Nadal, Luis Enrique et surtout Sonny Anderson qui s’est occupé de moi comme d’un frère.

Van Gaal ne ressemble-t-il pas à Emilio Ferrera ? Ils ne sont pas bavards, ces deux-là !

Détrompez-vous. J’ai trouvé Van Gaal très chaleureux. Il parlait beaucoup plus que Ferrera (il rit). Il faisait régulièrement des commentaires sur ce que je montrais à l’entraînement et il pouvait même faire le pitre quand nous allions tous ensemble à la piscine. Ce n’est pas le type froid que l’on décrit dans la presse.

Que vous a-t-il dit à la fin de votre test ?

Il était content de moi et il m’a dit que nous nous reverrions peut-être un jour. Pour lui, j’avais des qualités, et il m’a expliqué qu’il me plaçait sur une espèce de liste d’attente. Il a ajouté : -Si je vois à la télévision que tu fais de très bons matches ailleurs, il n’est pas impossible que je te rappelle. Bref, j’ai gardé un excellent souvenir de mes trois semaines là-bas.

 » Au RWDM, on m’a privé de la cerise sur le gâteau  »

Et qu’avez-vous retenu de vos trois saisons au RWDM ?

Ce fut aussi une expérience enrichissante. J’ai aidé ce club à monter en D1. Nous avons gagné le match décisif du tour final… à Mons. Une grande fête, mais je n’y ai pas vraiment participé parce que Patrick Thairet m’avait mis sur le banc pour cette apothéose. Je trouvais ça injuste. Après avoir bien joué dans tous les matches difficiles, on me privait de la cerise du gâteau, sous prétexte que j’avais déjà signé au Lierse pour la saison suivante. Mais bon, je me suis vite repris en mains : quelques heures après cette rencontre historique, j’ai fait la fête avec mes coéquipiers. Etre rancunier, ce n’est vraiment pas mon truc. J’étais finalement content de partir en beauté, avec la satisfaction du devoir accompli.

Pourquoi n’êtes-vous plus international ?

Parce que je dois prouver au coach que j’ai encore le niveau pour faire partie de l’équipe. Je compte six sélections ; la dernière en janvier 2002, juste avant la Coupe d’Afrique où le Sénégal a été battu par le Cameroun en finale. J’ai fait toute la préparation avec le noyau, j’ai joué les derniers matches amicaux. A l’époque, Bruno Metsu tenait encore une trentaine de joueurs à sa disposition. Il a ensuite fait un premier tri pour ramener le groupe à 25 hommes : j’y étais toujours. Metsu m’a dit, à ce moment-là, qu’il allait tout faire pour pouvoir emmener ces 25 à la CAN. Dans mon esprit, c’était donc clair : je serais du voyage. Mais il a finalement dû se limiter à 23 et j’ai sauté.

Vous avez un fameux concurrent en sélection : Khalilou Fadiga !

Evidemment. Nous sommes en concurrence pour la même place. Mais, s’il y a bien un joueur incontournable dans notre équipe nationale, c’est lui.

La finale de la CAN et la Coupe du Monde 2002 ont donc eu un goût amer pour vous ?

Mais non. Pas du tout. Vous allez apprendre à me connaître. Je ne suis pas repris ? C’est le foot. C’est la vie. Il faut savoir rester optimiste et souriant, quoi qu’il arrive. J’ai fait la fête avec tous les Sénégalais après chaque victoire. Sans aucune arrière-pensée. Je me dis qu’un jour viendra où je retrouverai l’équipe nationale.

 » Un petit Africain tué au Dakar ? C’est le rallye, c’est la vie  »

D’accord, mais n’était-ce pas difficile de se remotiver pour jouer en championnat de Belgique avec le Lierse après être passé aussi près d’un grand tournoi ?

Non. Je n’ai connu qu’un moment difficile, mais il n’était pas directement lié à mon éviction du noyau pour la CAN. Quand Metsu a réduit son groupe, j’avais rejoint le Lierse en stage à Malte. J’étais persuadé que ce n’était que pour quelques jours, à partir du moment où Metsu souhaitait vraiment emmener 25 hommes. Quand on m’a appelé à Malte pour m’annoncer que je ne serais finalement pas du voyage, j’ai pris l’info avec beaucoup de philosophie. Nous sommes ensuite allés manger tous ensemble et, après le repas, j’ai dit à Herman Van Holsbeek que j’allais appeler mes parents pour les rassurer. Je voulais leur dire qu’ils ne devaient surtout pas s’en faire pour moi, que ce n’était pas la fin du monde. Van Holsbeek m’a alors dit : -Attends, je dois te parler. Il m’a annoncé à ce moment-là que mon père venait de décéder. Le même jour, je perdais mon papa et mes illusions de participer à la Coupe d’Afrique. Ce fut évidemment le jour le plus affreux de mon existence. Mais bon, la vie continue et, là aussi, j’ai vite repris le dessus.

C’est cela, le tempérament africain ?

Je suis philosophe.

Que représente Dakar, pour vous ?

C’est la plus belle ville du monde. Le Lac Rose, la plage, c’est fantastique. J’y suis né et j’y ai grandi. Pour vous, j’imagine que l’image est différente : c’est le Paris-Dakar ?

Cette course amuse les Européens mais énerve une bonne partie des Africains, non ?

Pas les gens de Dakar, en tout cas. Il y a peut-être de la jalousie dans certaines régions d’Afrique traversées par la course. Des gens qui ne supportent pas cet étalement de richesses dans des pays extrêmement pauvres. Mais, à Dakar, on ne raisonne pas comme ça. Quand le rallye arrive, c’est la grande fête.

On parvient encore à être enthousiaste face à une fête qui fait autant de victimes, face à la pollution des régions traversées et aux accidents qui tuent des gosses dans les villages ?

C’est le rallye, c’est la vie… Le Sénégal, c’est l’Islam. Il faut essayer de comprendre les Musulmans. Un gosse décède ? C’est triste, mais nous nous consolons en nous disant que son heure était venue. C’est la fatalité. On fait une prière, on n’oublie pas, mais la vie continue.

Pierre Danvoye

 » On m’a annoncé au même moment que je sautais du noyau pour la CAN et que mon père venait de décéder  »

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