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 » Le phénix est l’histoire de ma vie « 

 » Je me voyais mort « , lâche le Gaumais en pleine conversation sur son année folle. Il est question d’un grand oiseau, d’un rêve de gosse, d’un début de saison enfin calme, et aussi de  » mini  » bagnoles. Tout ça se raconte à la Renaud Emond : ça claque.

Il y a l’année du dragon. Du tigre. Du coq. Du singe. Et il y a l’année de Renaud Emond. 21 buts depuis que 2018 a sonné. Et on n’est qu’à la mi-octobre. On appellera ça l’année du phénix. La discussion avec ce gars en pleine bourre commence sur le thème du fameux oiseau.

Tu peux expliquer le geste que tu fais pour fêter tes buts ? Tu imites un oiseau, mais qu’est-ce que ça représente exactement ?

RENAUD EMOND : J’imite le phénix. Et j’en ai un qui est tatoué sur le bras. Le phénix, c’est un peu l’histoire de ma vie, surtout avec ce que j’ai vécu au Standard. Le phénix ressuscite, c’est tout moi. Beaucoup de gens m’ont cru mort, je me voyais mort. Je suis revenu de nulle part. Et j’ai complètement relancé ma carrière.

Toi-même, tu n’y as plus cru à un certain moment ?

EMOND : Je dois dire… (Il marque une pause et réfléchit). Il y a eu des moments de doutes, quand même. D’un côté, j’avais un feeling, je me disais que ça allait finir par marcher, alors je m’accrochais. De l’autre, je me disais à certains moments que je m’accrochais peut-être pour rien, que ça ne viendrait pas.

Quand te vient l’idée de faire le phénix ?

EMOND : La première fois, c’était fin janvier, le soir où j’ai mis mon triplé contre Bruges en demi-finale de la Coupe. J’avoue que j’avais déjà pensé le faire avant ça, mais je voulais attendre le bon moment. Le moment où j’allais être plus ou moins sûr que j’étais enfin lancé avec le Standard. J’aurais pu le faire en quart de finale à Ostende, un mois avant, j’avais déjà marqué. Mais, inconsciemment sans doute, j’ai estimé ce soir-là que je n’étais pas prêt, que c’était trop tôt pour célébrer comme ça. Contre Bruges, j’ai eu l’impression qu’il y avait un déclic, que c’était un instant particulier dans mon parcours. Trois buts à Sclessin contre une grosse équipe en demi-finale de la Coupe de Belgique, ça justifiait une expression de mon bonheur ! Et puis j’étais devenu papa quelques semaines plus tôt, vraiment j’avais le sentiment que je prenais un nouveau départ. Entre-temps, ce geste du phénix fait partie de moi, c’est ma marque de fabrique. Et je trouve bien d’avoir une marque de fabrique quand on est joueur de foot. Luca Toni et François Sterchele avaient leur geste en commun, la main qui s’agitait près de l’oreille, Axel Witsel mime le papillon, Cristiano fait quelque chose de tout à fait différent, Antoine Griezmann a aussi ses gestes. Je trouve ça sympa. Maintenant, je croise parfois des parents qui me disent que leur fils fait comme moi, ça veut dire que le phénix est associé à Renaud Emond !

Je fais un métier exceptionnel dans le club où j’ai toujours voulu jouer, et il y a pas mal de ballons qui vont au fond. Vraiment, je savoure.  » Renaud Emond

 » Au stage de janvier avec Sa Pinto, je n’avais pas ma place… dans l’équipe B  »

C’est sur le terrain du Standard que tu as marqué ton tout premier but en D1, avec Waasland Beveren…

EMOND : Je t’avoue que ça a déjà été un grand déclic dans ma vie. J’étais très fier de jouer sur cette pelouse. Pour un Ardennais, le Standard, c’est toujours particulier. J’ai marqué, et en rentrant au vestiaire, je me suis dit que ça devait être chouette de scorer là, mais avec le maillot du Standard. Ça faisait un moment que je rêvais de jouer pour ce club, évidemment. Quand j’étais gosse, je venais parfois voir des matches, surtout contre Anderlecht et Charleroi, donc il y avait chaque fois une grosse ambiance. Dans mes yeux de gamin, il y avait des étoiles et du rêve. Alors, je peux te dire que maintenant, je profite à fond. Je fais un métier exceptionnel dans le club où j’ai toujours voulu jouer, et il y a pas mal de ballons qui vont au fond. Vraiment, je savoure.

Tu as marqué le seul but en finale de la Coupe : ton plus grand moment de gloire jusqu’ici ?

EMOND : Bien sûr. Après mon retour dans l’équipe en janvier, il y a eu plusieurs grands moments, en play-offs surtout. Mais ce but contre Genk, il va rester dans les annales, on en parlera encore dans 25 ans.

Tu rames pendant deux ans et demi, tu ne joues pas énormément, et subitement, tu sors de ta boîte et tu scores à la chaîne. C’est quoi, l’explication ?

EMOND : C’est parfois compliqué à expliquer, carrément compliqué à comprendre. Je me revois au stage de janvier. Là, je me dis vraiment que c’est foutu. D’ailleurs, un soir, j’appelle mon père et je lui dis, mot pour mot : Ça sent mauvais. Sa Pinto a pris du monde en Espagne, plus que 22 joueurs. Quand il y a des matches, je ne suis même pas dans les 22. Je n’ai pas ma place dans l’équipe B ! Et il me fait régulièrement courir à l’écart du groupe, je fais des tours de terrain. Je ne suis plus nulle part. Et puis tout bascule après le retour, dans un bête match d’entraînement. Sa Pinto aligne une vraie équipe A contre une B. Je suis dans la B, on gagne 3-0, je mets les trois buts. Il me relance contre Eupen, puis je ne quitte plus l’équipe. Je reviens des morts. Vraiment, je reviens des morts, je ne trouve pas de meilleure image.

Et puis tu as ton pic de forme dans les play-offs. Tu marques contre Gand, Genk, Bruges et Anderlecht. Il n’y a que dans les matches contre Charleroi que tu ne fais pas le phénix… Parce que tu es complètement libéré ?

EMOND : Entre-temps, j’ai dit à Sa Pinto ce que j’avais dit avant à Yannick Ferrera et à Aleksandar Jankovic. Je lui ai dit qu’il me fallait quatre ou cinq matches d’affilée pour montrer ce que j’avais dans le corps. Te montrer comme attaquant quand on ne te donne que quelques minutes de temps en temps, c’est toujours un pari. Surtout que dans des moments pareils, tu as naturellement tendance à te mettre la pression, et tu forces ton jeu, tu en fais trop, ce n’est jamais bon. Moi, pour être bien sur le terrain, il faut que je sois bien physiquement, et il faut que je sois sûr d’être à nouveau sur la pelouse pour le match suivant, même si je ne marque pas.

 » Tout le monde court 1,5 km de plus par match  »

Quand Orlando Sá revient de Chine cet été, tu ne te dis pas que ça risque de redevenir compliqué pour toi ?

EMOND : C’était lui ou un autre attaquant, de toute façon. Alors, autant que le Standard prenne un gars qui connaît la maison. Je connais Sá, il me connaît, il sait comment je joue, je sais ce qu’il sait faire, donc c’était un bon choix. Les jours où on jouera avec deux attaquants de pointe, on ne devra pas se découvrir, ça peut servir.

Tu ne t’es pas dit qu’il risquait de prendre directement la place dans un système qui ne prévoit souvent qu’une seule pointe ?

EMOND : Non, pas directement. Je me suis plutôt dit :  » Tant mieux pour le Standard, c’est bien que Sá revienne déjà, mais je vais me battre « .

Tu seras quand même plus tranquille si Michel Preud’homme passe dans la durée à un système à deux attaquants, non ?

EMOND : Quand il y a trois attaquants, mathématiquement, tu as plus de chances de jouer s’il y a deux places plutôt qu’une… Mais pour être franc, je ne me pose pas toutes ces questions. Je sais jouer dans les deux systèmes, et s’il n’y a qu’une place, je continuerai à m’arracher pour la garder.

Les joueurs disent que plein de choses ont changé avec le remplacement de Sa Pinto par Michel Preud’homme. Mais  » plein de choses « , c’est quoi, concrètement ?

EMOND : Déjà, le regard du monde extérieur a changé. Le Standard est maintenant un club qui dégage plus de sérénité. Michel Preud’homme n’est pas toujours un calme non plus devant son banc, et ça peut d’ailleurs être une qualité à certains moments d’avoir de la rage, mais à un niveau plus général, le Standard est plus serein. On sort d’une très bonne saison et la direction fait venir un entraîneur qui signe un contrat à long terme, qui est à un super niveau tactique et qui est apprécié par tout le monde. C’est difficile de faire mieux. Et on sent au quotidien un staff complet, compétent, harmonieux. Quand on monte sur le terrain, chaque joueur sait exactement ce qu’il doit faire, l’analyse de l’adversaire a été faite aux petits oignons…

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Pour résumer, l’improvisation de Sa Pinto a été remplacée par l’organisation de Preud’homme ? Le Standard ne joue plus uniquement à l’enthousiasme et tout est maintenant plus calibré ?

EMOND : Il ne faut pas exagérer non plus… Si on dit qu’il n’y avait pas d’organisation avec Sa Pinto, là on force quand même le trait. Il ne nous disait pas :  » Faites ce que vous voulez « . Il y avait quand même de la tactique. L’adversaire était analysé. Mais maintenant, c’est beaucoup plus poussé. Au moment où le match commence, on sait comment embêter l’adversaire, comment le contrer, comment lui faire mal. Tout est hyper calculé. Les analyses vidéo, c’est tip top. Et on a un préparateur physique au-dessus du lot. On voit qu’on a tous passé un cap au niveau de la condition. Quand j’analyse mes stats, je vois que je cours toujours entre onze et douze kilomètres par match. Pour un attaquant, c’est beaucoup. Toute l’équipe a passé un palier.

La saison passée, vous avez fait basculer plein de matches dans le dernier quart d’heure ou carrément dans les dernières minutes. Ça veut quand même dire que vous aviez déjà beaucoup de répondant physique.

EMOND : Oui, c’est sûr, mais on est encore à un autre niveau aujourd’hui. Tous les joueurs font au moins un kilomètre et demi en plus dans la plupart des matches.

 » Taureau d’Or, une grande fierté  »

Tu as dit il y a quelques semaines que tu connaissais pour la première fois un début de saison calme au Standard. Il était temps…

EMOND : Il faut se rappeler le contexte de chaque année. Quand je signe ici, il n’y a pas de coach. Slavo Muslin a été viré, Yannick Ferrera n’est pas encore là. Je signe le lendemain de la fameuse défaite 7-1 à Bruges, ce n’est quand même pas la joie. L’année d’après, c’est compliqué avec Ferrera parce qu’il est fort contesté, parce que ça ne se passe pas bien entre une partie de la direction et lui. Et la saison dernière, c’était difficile aussi avec Sa Pinto. Le championnat, on l’a quand même très mal commencé.

Et toi, tu continues maintenant sur ta lancée, comme si les vacances n’avaient pas su te couper dans ton élan. Tu as déjà mis sept buts. Cinq en championnat, deux en Coupe d’Europe. Ça roule.

EMOND : C’est vrai que si on fait le bilan de mon année 2018 jusqu’ici, il est très bon. Mais je peux faire mieux, marquer plus. J’ai très rarement des périodes fastes où j’arrive à en mettre deux ou trois dans le même match.

Tu es un anti-Ivan Santini. Lui, il met sept buts dans les trois premiers matches, puis plus rien pendant plusieurs semaines.

EMOND : La régularité, ça a toujours été ma marque de fabrique. Avec Beveren, j’ai été Taureau d’Or après avoir eu sept ou huit buts de retard sur Aleksandar Mitrovic. Je suis revenu sur lui, progressivement, match après match, but après but. Et quand j’ai eu ce maillot, c’était tout à la fin de la phase classique, pas après trois matches. Ça voulait dire quelque chose, ça voulait dire que j’avais été bon sur une saison complète. Après ça, Mitrovic a joué des gros play-offs avec Anderlecht et il a fini par gagner le classement des buteurs. Le maillot avec le Taureau d’Or, je ne l’ai porté qu’un week-end, mais quelle fierté. Je l’ai gardé précieusement.

 » Un moment, c’est humain de lâcher  »

Si je te dis 363…

EMOND : 363 ? Je ne vois pas…

Tu es resté 363 jours sans marquer avec le Standard.

EMOND : Ah ok. Ben forcément, la pire période de ma carrière. Très très compliqué. Des matches où je jouais peu, des matches où je restais sur le banc, des matches que je suivais en tribune, même le noyau B, j’ai tout connu pendant cette période-là. Dans des moments pareils, tu as deux routes possibles : tu lâches tout parce que tu te dis que tu es de toute façon mort, ou tu décides d’en faire encore plus parce que tu es convaincu que ça va finir par venir.

Tu t’es battu mais tu n’as jamais eu l’impression que tu le faisais peut-être pour rien ?

EMOND : Non, je me disais que si ça ne me servait pas ici, ça me servirait ailleurs. Je venais plus tôt que les autres à l’académie, je repartais plus tard, je bossais chez moi. Sûr qu’un jour, ça allait payer. C’est ma septième saison pro, j’ai vu des gars qui vivaient les mêmes passages à vide et qui ne se relevaient pas. Et quelque part, je pense qu’à un moment, c’est humain de lâcher. D’arrêter de faire des efforts. Quand ça n’allait pas du tout, des proches m’ont dit qu’ils ne comprenaient pas comment j’arrivais encore à bosser autant. Je leur répondais… que je n’arrivais pas à l’expliquer. J’ai un mental, c’est inné chez moi. Je sais depuis longtemps que je n’ai pas forcément les qualités que d’autres attaquants ont, mais avec le mental, tu peux faire quelque chose.

Tu t’es parfois demandé si tu avais le niveau pour le Standard ?

EMOND : Non. J’ai toujours été persuadé que j’allais finir par y arriver. Même si, un moment, ça devenait vraiment dangereux pour ma carrière. Au moment où j’ai signé ici, ce n’est pas pour être prétentieux, mais je pense que je pouvais aller dans tous les grands clubs en Belgique. Mais j’avais trop envie de venir au Standard. Maintenant, je ne me doutais pas que ça prendrait autant de temps pour m’imposer.

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Comptable, prof de gym, garagiste, footballeur

 » Mes potes me disaient que mon avenir était tout tracé, j’allais reprendre les garages de mon papa. Mais non, ça n’a jamais été mon objectif. Je voulais faire ma route tout seul, dans un domaine complètement différent. À ce moment-là, je n’avais aucune garantie que je pourrais devenir footballeur professionnel, mais si je n’y étais pas arrivé, j’aurais cherché une autre voie que l’automobile.  »

Il y avait pourtant du potentiel, l’avenir d’une carrière sans souci, l’assurance style cul dans le beurre : Philippe Emond, qui a aussi été président du club de Virton, est à la tête de… sept concessions BMW. On a BMEmond à Arlon, Libramont, Luxembourg, Saint-Quentin, Soissons, Châlons-en-Champagne et Reims.

Renaud Emond termine ses humanités à 17 ans.  » J’ai commencé une formation en comptabilité, ça ne me plaisait pas trop. Après ça, j’ai essayé l’éducation physique. Pas mieux. Là, j’ai décidé d’arrêter définitivement l’école en cours du jour. J’ai suivi une formation en vente, deux soirs par semaine. Et je travaillais trois jours dans un garage familial, je vendais des Mini, j’en ai vendu quelques dizaines… J’ai fait ça six mois mais je savais que c’était temporaire, je n’avais toujours pas l’intention de reprendre un jour la chaîne de garages. J’ai explosé en équipe A de Virton, je savais que j’allais devenir pro et j’ai arrêté la vente de Mini.  »

L’Europa League  » sans pression  »

Tu joues l’Europa League. Enfin…

EMOND : Ben oui, Yannick Ferrera ne m’avait pas mis sur la liste, ça avait été un coup de plus sur la tête. Quand ça a commencé, il n’était plus là, c’était Aleksandar Jankovic, et lui, il m’a dit qu’il aurait bien eu besoin de moi. Ça me faisait une belle jambe. Je peux te dire que les soirées de matches européens ont été forcément difficiles…

Qu’est-ce que tu attends de l’Europa League, maintenant ?

EMOND : On ne se met pas vraiment de pression, on y est, on veut apprendre et on apprend beaucoup. On a déjà appris beaucoup à Séville, par exemple… Forcément, tu sais avant d’y aller que ça va être difficile. Séville pourrait jouer la Ligue des Champions et on sait déjà que c’est le vainqueur potentiel de l’Europa League. Tu regardes cette équipe et tu te dis que c’est elle qui va aller au bout ! Les autres adversaires, on ne connaît pas trop. On va essayer de prendre le maximum chez nous et de grappiller à l’extérieur.

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