Le petit Robert

Pierre Bilic

Le médian défensif liégeois feuillette les pages du dictionnaire de sa carrière.

A 30 ans, Roberto Bisconti a déjà roulé sa bosse sur pas mal de terrains. Quelques fils blancs en témoignent très discrètement : sa jeunesse n’est pas encore un souvenir mais elle va bientôt s’effacer. Il est temps pour lui de se concentrer sur la dernière grande ligne droite de sa carrière. Rien de tel pour ce faire, selon lui, que de revenir à Sclessin pour la troisième fois de sa trajectoire sportive.

Jeune du défunt FC Montegnée, il s’affilia au Standard en juin 1987, à 14 ans. Son talent sauta tout de suite aux yeux. Médian défensif dans l’âme, il tarda à imposer cette évidence car on devina parfois en lui l’étoffe d’un meneur de jeu.  » Je n’ai jamais été un numéro 10 « , dit-il.  » Moi, je dois monter au feu devant la défense : c’est ma tasse de thé « .

Doué, Roberto Bisconti n’a cependant pas réalisé le parcours qu’on était en droit d’attendre de lui. Pourquoi est-il resté sur sa faim alors que peu de joueurs de sa génération étaient aussi doués que lui ? Est-ce dû à la malchance ? A-t-il été victime de fragilité physique ? L’impatience lui joua-t-elle de vilains tours ? Son plan de carrière fut-il assez précis ? A-t-il été imprudent dans la vie de groupe ? C’est Arie Haan qui le lança en D1, le 9 mai 1992 : à la 89e minute de jeu, il remplaça Henk Vos face à Anderlecht qui s’imposa 1-2 chez les Rouches. Un an plus tard, son compteur était passé à neuf matches de championnat, un titre de vice-champion et une présence en finale de la Coupe de Belgique : 2-0 contre Charleroi, remplacement de Henk Vos û encore û à la 85e minute.

Jusqu’à présent, Bisconti a disputé 113 matches de championnat de Belgique pour le compte du Standard et marqué 11 buts. Si on ajoute son séjour à Seraing et à Charleroi, le total monte à 150 matches et 13 goals. De 1992 à 2003, le temps ne s’est pas arrêté pour Roberto Bisconti. Sa carte de visite est longue : Standard, Seraing (1995), Standard (1996), Monza Calcio (1997), Standard (1998), Charleroi (2000), Aberdeen (2001), Rapid Bucarest (2003).

1992 à 1995 : Standard

Roberto Bisconti :  » Du temps d’Arie Haan, je n’osais rien dire. J’étais heureux d’être là à une si belle époque. Je rejoignais des jeunes dont on parlait beaucoup : RégisGenaux, Philippe Léonard, Michaël Goossens. Le Standard disposait d’un noyau fabuleux. Il y avait tout : des stars, des hommes forts, des jeunes prometteurs, un système tactique offensif. Quand j’y repense, il est évident que ce groupe-là aurait dû gagner au moins un titre. Il y eut ce succès en finale de la Coupe de Belgique face à Charleroi mais, avec le recul, je me dis que c’est maigre. RenéVandereycken a pris la succession d’Arie Haan en pleine saison 1993-94. J’ai beaucoup apprécié le coach limbourgeois. A la fin du championnat, il m’a proposé de le suivre au RWDM. Le Standard n’a pas voulu entendre parler de cette solution et je me suis retrouvé sous la gouverne de Robert Waseige. Le courant ne passa pas bien entre nous deux. J’avais l’impression qu’il écoutait ce que certains équipiers racontaient à mon propos. Je ne les citerai pas. Ces anciens se reconnaîtront bien. Ils me collèrent une étiquette de joueur difficile dans le dos. C’est faux mais le mal était fait. Ils ont voulu me tuer. J’avais le tort d’être proche des jeunes et de dire ce que j’avais sur le c£ur. J’aurais dû être plus prudent car, dans le vestiaire, il y avait alors des jaloux qui ont manipulé la réalitépour se protéger. J’aurais dû me méfier au lieu d’être aussi honnête. A la fin de la saison, il était évident que j’avais intérêt à prendre l’air dans un autre club même si Robert Waseige voulait qu’on oublie tout afin de repartir à zéro « .

1995 : Seraing

 » Quand le Standard s’intéressa à Ronald Foguenne, j’ai été impliqué dans le cadre d’un échange. Seraing, c’est aussi ma région, les ambiances où je me sens bien. Jean Thissen quitta très vite le navire. Cela fit pas mal de bruit à l’époque. Manu Ferrera, son adjoint, prit sa succession. Le Bruxellois était un jeune coach moderne, en phase avec le groupe. Je ne comprends pas qu’il ne soit actuellement pas à l’£uvre en D1. Il m’a parlé, il avait confiance en moi et le club de feu Gérald Blaton avait un bon groupe avec les Edmilson, Wamberto, Lawarée, etc. Au c£ur de la ligne médiane, je jouais à côté de Patrick Teppers. Ce dernier misait sur la qualité de sa frappe, distribuait le jeu à distance. Je ratissais le plus souvent à son profit mais je pouvais mettre le nez à la fenêtre. J’étais dans mon élément et je prouvais, une fois de plus, que j’étais un médian défensif pas un meneur de jeu. Je me suis blessé lors du deuxième tour mais, en gros, ce séjour au Pairay me fit beaucoup de bien. Malgré mes hésitations, je suis revenu à Sclessin où Jos Daerden ne voulait pas que je reparte « .

1996 : Standard

 » Daerden, c’était neuf, offensif et très intéressant avec un beau 3-4-3. L’ambiance fut longtemps superbe. Le Standard avait englobé Seraing et le groupe était pétri de talent. En été, nous nous sommes méritoirement hissé en finale de la Coupe Intertoto. Après avoir gagné 1-0 chez nous, nous avons été volés comme dans un bois à Karlsruhe : 3-1. J’ai été exclu avec Didier Ernst et Guy Hellers. Un scandale. Cette aventure nous fit mal mais en décembre, le Standard était en tête du championnat de Belgique. La suite fut moins drôle, la cata même avec des blessures, une chute de régime, les doutes alors que nous aurions dû lutter jusqu’au bout pour le titre. La fatigue et le départ de Nebojsa Krupnikovic ont jouéun rôle. A un moment, Jos Daerden me lança : -Tu rigoles trop en dehors du terrain. Tu dois être un peu plus sérieux. Je ne comprenais pas bien : toujours cette maudite réputation, sans doute. Je me suis blessé, un certain Dejan Pekovic m’a remplacé sans résoudre nos problèmes offensifs « .

1997 : Standard et Monza

 » Aad de Mos prit la succession de Jos Daerden. Un type bizarre qui mit la pression sur la direction en faisantl’impasse sur le premier entraînement, à Spa. C’était sa façon d’exiger la venue d’un Brésilien. Moi, j’étais cité en Espagne. Salamanque me voulait. Cela ne se fit pas car le coach voulait une fortune pour que mon départ finance ses transferts. Aad de Mos alignait  » ses  » joueurs, ceux qu’il fit venir. Il fallait que le coach hollandais justifie ses choix. Or, le Standard avait fait venir les frères Mpenza, c’était pas assez pour de Mos auquel succédèrent Daniel Boccar puis Luka Peruzovic. Moi, en cours de saison, je suis passé à Monza, en Serie B. J’étais blessé. Je suis revenu et plus tard, après un autre ennui physique, j’ai dit que je n’étais pas à 100 % avant unmatch. J’ai été honnête mais l’entraîneur n’a pas apprécié. C’était terminé pour moi. Dommage car Monza était une filiale de l’AC Milan, un laboratoire. N’empêche, ma condition physique était parfaite quand je suis revenu d’Italie où les joueurs travaillent beaucoup la vivacité « .

1998 : Standard

 » L’aventure italienne m’avait rendu plus fort. Luciano D’Onofrio me fit revenir de Monza car il avait pris le contrôle du club. Tomislav Ivic avait du talent sous la main : Mbo et Emile, Vedran Runje, Ivica Mornar, Antonio Folha, etc. Hélas pour moi, je me suis blessé (fracture de la malléole) à Charleroi puis à Lokeren plus tard. Ce groupe avait du potentiel mais Ivic était trop nerveux le jour des matches. Je me suis battu pour revenir mais la note a été salée : la saison suivante, j’étais opéré du genou. Mes relations avec Ivic n’étaient plus au beau fixe. A la fin de la saison 1999-2000, j’ai été prêté aux Zèbres « .

2.000 : Charleroi

 » Au Mambourg, j’ai retrouvé Manu Ferrera. J’ai apprécié ce club très chaud. J’ai travaillé pour l’équipe, près d’ Enzo Scifo sur la pelouse, devant la défense, au service de l’équipe. J’aimais bien mais la poisse ne me quitta pas durant des mois et, à un moment, Manu Ferrera ne dit carrément : -Tu es souvent blessé. A ta place, je songerais à laisser tomber le football. Dur, très dur. J’ai réagi et je suis revenu. J’étais toujours vivant. Enzo a arrêté sa carrière de joueur et succéda à Manu, injustement renvoyé par la direction. En fin de saison, Charleroi se déplaça à Alost entraîné par… Ferrera. Je vous dis l’ambiance car entre Enzo et Manu, c’était la guerre. Scifo semblait croire que j’avais mis le frein face à Manu : je n’ai pas admis. A cette époque, des clubs étrangers me suivaient. Ils s’étaient déplacés pour me voir et Scifo me retira vite du jeu. Je n’ai pas apprécié. J’ai commis l’erreur de ne pas revenir au Standard. Michel Preud’homme me voulait. Je pouvais signer un contrat d’un an. J’ai préféré tenter ma chance en Ecosse, à Aberdeen. Sur le coup, j’avais un peu oublié tout ce que le Standard avait fait pour moi « .

2001 : Aberdeen

 » Des débuts de rêve, un monde à part. Le public est toujours derrière les joueurs. Avant le match, c’est relax, on arrive au stade moins de deux heures avant le coup d’envoi mais sur le terrain, les lions sont à l’heure. J’ai été élu joueur de l’année, puis de la saison à Aberdeen. Le championnat est passionnant avec 12 équipes. Le Celtic et les Rangers, c’est une autre planète quand même avec plus de 60.000 spectateurs à chaque match. Le foot en Ecosse, c’est la passion pur malt. J’adorais mais c’était pas évident car ma famille avait le mal du pays. L’inscription de mes enfants dans une école internationale allait me coûter 45.000 euros par an. Le club ne voulait pas assumer cette dépense : ce n’était pas prévu dans le contrat. Les supporters ont voulu se cotiser pour payer l’école, j’ai refusé. Je rentrais parfois à Liège pour me ressourcer auprès des miens. Jel’ai fait après une blessure, sans autorisation, et on m’a retiré le salaire de deux semaines malgré la promesse du coach dem’aider. J’aimenacé de ne plus jouer dans ces conditions : c’était fini. Le nouvel entraîneur fit appel à moimais la direction ne l’entendit pas de cette oreille. J’avais été cité à Hibernian qui voulait bien payer le minerval de mes enfants et à Birmingham, notamment « .

2003 : Rapid Bucarest

 » Vu les problèmes rencontrés en Ecosse, je ne voulais pas rester sans jouer le restant de la saison. Mais je n’aurais jamais dû signer au Rapid Bucarest. Même pour trois mois. La folie. Là, tout est corrompu jusqu’à la moelle. Personne ne respecte rien. J’ai été volé. J’ai dû accepter une clause selon laquelle je touchais une prime après dix matches de championnat. Le coach, Mircea Rednic m’a dit que c’était une formalité. Je n’ai joué que neuf matches : un hasard, bien sûr… J’ai été logé à l’hôtel puis dans un appartement pourri. Je n’ai jamais été aussi malheureux de ma vie : à en pleurer. Je devenais fou. Pas question d’y rester. J’ai passé des tests à Hapoël Tel-Aviv. J’avais assez donné. Je voulais rentrer au pays, être avec les miens : cela n’a pas de prix. De Tel-Aviv, j’ai téléphoné à Luciano D’Onofrio. Il me connaît et le Standard cherchait un médian défensif. Je savais qu’il serait un peu fâché. Nous nous sommes vus et il m’a aiguillé vers Michel Preud’homme et Dominique D’Onofrio. Je connais le coach. J’ai déjà travaillé aveclui quand il était l’adjoint d’Ivic. J’ai sa confiance, je le sais et c’est important pour moi. Maastricht s’est intéressé à moi mais mon c£ur est au Standard. Je me sens bien à Liège et c’est quand on s’en éloigne qu’on mesure la chance d’y vivre.. J’ai commis des erreurs dans le passé. Je m’emballais trop vite. Mais je suis plus mûr. J’ai 30 ans maintenant et je prouverai que je ne méritais pas cette étiquette de joueur difficile ou de grande gueule « .

 » J’ai été volé en Roumanie « 

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