Le petit Napoléon

La page Schumacher refermée, le n°1 de la Scuderia doit gérer la rivalité avec McLaren et le duel Massa-Raikkonen.

On connaît sa silhouette trapue, son crâne un peu dégarni, le pull – rouge bien sûr – qu’il ne quitte jamais pendant un GP même si la température dépasse les 30 degrés, son regard perçant, sa voix haut perchée. Ses interlocuteurs le disent redoutable voire intransigeant dans les discussions et le savent très habile négociateur. Ses proches admirent son intelligence hors du commun, son énorme volume de travail et sa capacité à s’entourer d’une garde rapprochée vis-à-vis de laquelle il se montre aussi exigeant qu’il l’est pour lui-même. Pas de doute, Jean Todt marquera l’histoire de la F1 comme avant lui des gens du calibre d’ Alfred Neubauer à la grande époque Mercedes, Colin Chapman le génial créateur de Lotus, Frank Williams ou Ken Tyrrell.

A priori, rien ne destinait cet Auvergnat né en janvier 1946 à diriger la plus prestigieuse écurie automobile du monde. Rien sauf une inextinguible passion pour le sport automobile qui le pousse au début des années soixante à emprunter la Mini Cooper de son père pour s’initier au rallye. Il tente également sa chance en piste par le biais de la célèbre Renault 8 Gordini mais n’est pas un champion en devenir. Ainsi il pulvérise une voiture aux essais des 24 H de Francorchamps 1964…

Comprenant que ce n’est pas sa voie, le jeune Todt se tourne vers ce que les Anglais surnomment le hot seat, comprenez le siège chaud c’est-à-dire celui qu’occupe l’équipier en rallye. Et là son talent fait merveille, de même selon certains adversaires que sa roublardise… Il navigue quelques-uns des plus grands rallymen de l’époque, le Suédois Ove Andersson, les Finlandais Timo Makinen, Rauno Aaltonen et Hannu Mikkola, les Français Jean-Pierre Nicolas et Guy Fréquelin avec qui il échoue de peu pour le titre mondial qui récompense Ari Vatanen.

Todt prend ensuite la direction du département sportif de Peugeot où il mène l’opération 205 Turbo 16 ponctuée par plusieurs titres mondiaux des rallyes. De là, cap sur les grands espaces et les raids : il défraye la chronique en jouant à pile ou face la victoire au Dakar 1987 ; la chance sourit à Vatanen et Jacky Ickx en fait les frais. Puis la direction de Peugeot le charge de gagner les 24 H du Mans. Objectif atteint, les français s’adjugent deux fois la classique mancelle.

Estimant avoir fait le tour de la maison Peugeot, Todt accepte en 1993 la proposition du nouveau président de Ferrari Luca Di Montezemolo. Sa mission : ramener au sommet l’écurie F1 qui végète en queue de peloton. C’est son plus grand défi, celui qui va changer sa vie :  » Chef d’orchestre dans une marque de légende, difficile de rêver mieux. Mais ma plus grande fierté est qu’un constructeur italien aussi renommé ait fait appel à un Français pour revenir sur le devant de la scène « .

Tout pour Schumi

Les premiers résultats concrets tombent en 1994 avec un succès – le premier depuis 4 ans – pour Gerhard Berger en Allemagne et la saison suivante, l’unique victoire de Jean Alesi en GP au Canada. Dans l’ombre, le nouveau patron travaille pour l’avenir, installant progressivement l’organigramme qui fera de la Scuderia une implacable machine à gagner. Au terme de longues entrevues secrètes, il parvient à convaincre Michael Schumacher de quitter Benetton de son mentor Flavio Briatore pour rejoindre Maranello. Le risque est énorme pour celui qui deviendra plus tard le Baronrouge, il eut tout à y perdre. Mais dès sa septième course, il s’impose sous le déluge en Espagne puis, après un été difficile, gagne coup sur coup les manches belge et italienne.

L’échiquier se met définitivement en place avec l’arrivée de Ross Brawn et Rory Byrne, deux techniciens hors pair qui succèdent au fantasque John Barnard. Cette fois, Todt tient sa dream team.

En 1999, Eddie Irvine – propulsé n°1 suite à un accident de son chef de file – loupe le titre pour deux points. Ce n’est que partie remise : de 2000 à 2004, Ferrari domine outrageusement la concurrence grâce à un Schumi au sommet de son art.

Rarement on a vu un team-manager nouer avec un pilote des liens aussi étroits. Le PetitNapoléon d’ordinaire si réservé perd toute retenue quand il accompagne son champion sur le podium. Au sein de la Scuderia, tout est fait pour l’Allemand dont les ailiers n’ont qu’à bien se tenir. Au GP d’Autriche 2002, Todt pousse cette logique jusqu’à l’absurde en intimant à Rubens Barrichello l’ordre de laisser gagner son leader. Les critiques fusent mais le patron fait front :  » Michael est le mieux placé pour conquérir le titre et plus vite il se trouvera hors d’atteinte de ses adversaires, mieux ce sera. Et, les points supplémentaires que rapporte une victoire sont importants. J’ai donc pris la bonne décision !  »

La FIA ne suit pas cette analyse et va édicter des règles interdisant les consignes de course… Les plus belles histoires ont cependant une fin. A Monza il y a juste un an, Schumacher annonce qu’il met un terme à sa carrière. Directement, son patron dévoile la composition de la Scuderia pour 2007, Felipe Massa et Kimi Raikkonen mais quand les médias italiens le pressent de donner son avis sur le départ de son pilote fétiche, il ne peut masquer son émotion :  » Michael a écrit un chapitre unique dans l’histoire de la F1 et de Ferrari en particulier. C’est un homme exceptionnel qui deviendra une légende en tant que pilote. Pour ma part, c’est un très grand ami avec lequel j’ai vécu des expériences uniques « .

Avec Astérix et Obélix…

Nommé PDG de Ferrari en octobre 2006, Todt dirige donc l’ensemble de la prestigieuse marque italienne. Ce boulimique de travail, également redoutable joueur de backgammon, trouve encore le temps de se consacrer à une série d’autres tâches : Grand Officier de la Légion d’honneur depuis le 1er janvier dernier, il est l’un des 46 membres de l’Académie des Sports et fait partie du Conseil de surveillance du Groupe Lucien Barrière propriétaire de grands hôtels et de casinos.

On le retrouve aussi très impliqué dans le développement de l’Institut de recherche sur les maladies de la moelle épinière aux côtés du professeur Jacques Saillant et de… Schumi avec qui il a récemment tourné au cinéma dans le film Astérix et ObélixauxJeux Olympiques dont l’affiche comprend d’autres sportifs de haut niveau comme Zinedine Zidane, Tony Parker, David Beckham et Amélie Mauresmo. Il partage l’existence de Michelle Yeoh, ex miss Malaisie et actrice de cinéma vue entre autres dans Tigre et dragon, Demain ne meurt jamais et Mémoires d’une geisha. Le tableau de famille sera complet avec son fils Nicolas, manager de Massa (le monde est petit), et Nico Rosberg.

Orphelin de deux des piliers de son équipe de choc, Schumi et Brawn qui a pris une année sabbatique, Todt n’envisage pourtant pas la retraite :  » Je ressens la même anxiété avant chaque course, la même joie quand Ferrari gagne, la même tristesse en cas de défaite. Regardez Bernie Ecclestone : il a 15 ans de plus que moi mais est toujours aussi motivé. Je prends exemple sur lui ! Cela dit, si on m’avait dit en 1993 que je serais encore chez Ferrari en 2007, je ne l’aurais jamais cru. C’est le poste le plus long que j’ai jamais occupé « .

Le numéro 1 de Ferrari ne cache pas que cette saison 2007 est particulièrement délicate à gérer : la lutte est serrée avec McLaren et l’affaire d’espionnage plombe l’ambiance. Par ailleurs, les deux pilotes de la Scuderia se tiennent dans un mouchoir de poche à la veille d’un rendez-vous que l’Italie entière attend :  » Il n’y aura pas de consigne entre Felipe et Kimi, les résultats décideront ! Cela dit, il est amusant de constater que durant des années, on m’a reproché de favoriser un pilote et là, on n’arrête pas de me demander qui je vais désigner comme leader… « .

par éric faure – photo: reuters

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