Le petit lapin

Portrait du petit prodige argentin qui enchante le Nou Camp.

Il est rarement titulaire, mais lorsqu’il monte au jeu, il fait la différence. Petit, racé, il régale le public de ses trouvailles techniques. Cette description pourrait se référer à Alin Stoica… Mais, avec deux ans de moins que le Roumain, Javier Saviola joue déjà au FC Barcelone et a été champion du monde des -20 ans avec l’Argentine.

Le seul énoncé de son nom suffit à provoquer l’enthousiasme chez les supporters blaugrana. Avant même qu’il ne débarque dans la cité catalane, on s’arrachait déjà les maillots n°7 à son effigie. C’était autrefois le numéro de Josep Guardiola, l’ancien capitaine emblématique du Barça. Il est parvenu à se le faire attribuer. « C’est celui que j’ai porté durant toute ma carrière », s’excuse-t-il.

Le Barça a investi beaucoup d’argent en Javier Saviola. Pour le transférer de River Plate, 25 millions d’euros ont dû être déboursés, ce qui constitue un record argentin. Le joueur est assuré de gagner 15 millions d’euros sur six ans. Saura-t-il être à la hauteur des espoirs placés en lui?

Pour Carlos Bilardo, l’entraîneur qui avait conduit l’Argentine au titre mondial en 1986, le prix déboursé par Barcelone pour acquérir les services de Javier Saviola peut se justifier : « Je ne connais pas beaucoup de joueurs à travers le monde qui soient capables, comme lui, d’imprimer à ce point son empreinte sur une équipe ».

En D1 à 16 ans

Né à Buenos Aires le 11 décembre 1981, Javier Saviola effectua ses premiers pas de footballeur dans un petit club de quartier, Parque Chas. Il a grandi dans un faubourg de classe moyenne de la capitale fédérale, où il commença à taper dans un ballon dès l’âge de six ans. Très tôt, il affronta des joueurs beaucoup plus grands et plus âgés que lui, qui se moquèrent de sa frêle corpulence… jusqu’au moment où il les dribbla.

Repéré par Gabriel Rodriguez, un recruteur de River Plate, il ne tarda pas à séduire Adolfo Pedernera, ex-grand joueur des années 40 aujourd’hui décédé connu sous le surnom de La Maquina, qui s’occupait alors de la formation des jeunes et qui s’employait à maintenir un style de jeu maison très technique. Javier Saviola gravit tous les échelons sous sa direction.

Le 18 octobre 1998, il débuta en D1 sous le maillot de River Plate lors d’un match contre Gimnasia y Esgrima à Jujuy. Il n’avait pas encore 17 ans. Il démontra pourtant immédiatement qu’il était immunisé contre toute forme de pression. A peine monté au jeu, il inscrivit le but de l’égalisation pour son équipe. Le public découvrit un petit gabarit doté de qualités techniques exceptionnelles: technique très sûre, registre de feintes varié, changements de direction déroutants, vitesse de course et de geste, et un sang-froid devant le but étonnant pour un joueur de son âge.

En mars 1999, Javier Saviola avait déjà pris une telle importance au sein de l’équipe que River Plate, qui était en lutte pour le titre argentin et la Copa Libertadores, refusa de le libérer pour le Championnat du Monde des -20 ans au Nigéria. En fin d’année, après avoir obtenu le titre de meilleur buteur du Tournoi d’Ouverture 1999 avec 15 buts en 19 matches, il fut désigné « Révélation de l’Année » par le quotidien Clarin. Les éloges pleuvaient sur lui.

« C’est le footballeur le plus doué que j’ai vu apparaître depuis des années », déclara José Luis Chilavert, à qui il avait inscrit deux buts en deux matches. « C’est le meilleur joueur du moment », ajouta Diego Maradona.

En 2000, Javier Saviola confirma tout le bien que l’on pensait de lui. Celui que les Argentins surnomment El Conejito (le petit lapin) en raison de sa dentition est déjà une star. Il effectue ses débuts en équipe nationale A. Après le Tournoi d’Ouverture 1999, il s’adjuge le Tournoi de Clôture 2000. Avec Pablo Aimar, son équipier à River Plate désormais parti à Valence, et Juan Roman Riquelme, son rival de Boca Juniors qui pourrait le rejoindre la saison prochaine au FC Barcelone, il incarne la relève dorée du football argentin. En 120 matches sous le maillot de River Plate, il inscrira 58 buts, dont 46 en 87 rencontres de championnat. C’est durant le Championnat du Monde des -20 ans, en juillet 2001, qu’il fut transféré à Barcelone. Un tournoi qu’il éclaboussa de sa classe. Il remporta le titre avec l’Argentine en battant au passage le record de buts historique de la compétition, avec 11 réalisations. Le précédent record datait de l’édition 1997 en Malaisie, lorsque le Brésilien Adailton scora à dix reprises… en bénéficiant du 10-0 infligé à nos Diablotins.

La réponse à Zidane

Pour Joan Gaspart, le président du FC Barcelone, l’engagement de Javier Saviola était une réponse à la venue de Zinedine Zidane au Real Madrid. Médiatiquement, le coup fut réussi au-delà de toute espérance. Malgré son jeune âge, le petit prodige argentin fut accueilli en héros dans la cité catalane. Un peu comme l’avait été un certain Diego Maradona dans les années 80.

Les comparaisons entre El Conejito et El Pibe de Oro (le gamin en or) n’ont pas tardé à fleurir. Javier Saviola ne mesure que 1m68 pour 62 kilos, mais sa virtuosité en fait déjà l’une des figures de proue du football argentin.

Au départ, les supporters blaugrana ont eu l’impression qu’ils avaient fait une meilleure affaire que ceux du Real Madrid, car Zinedine Zidane rencontra quelques difficultés d’adaptation et tarda à trouver la bonne carburation. En outre, le Français dut faire l’impasse sur les quatre premiers matches de Ligue des Champions en raison d’une suspension. Avec le temps toutefois, chacun a été remis à sa place. Pendant que Zidane s’acclimatait progressivement et devenait une pièce maîtresse du Real Madrid, Saviola devait se satisfaire de quelques coups d’éclat épisodiques. Il n’était même pas toujours titulaire. Carlos Rexach préférait le laisser au repos pour la plupart des matches en déplacement, sous le prétexte de vouloir le protéger et lui laisser le temps de s’adapter.

La pertinence du transfert n’a pas encore été prouvée non plus. Alors que Zinedine Zidane a désormais démontré qu’il était parfaitement capable d’évoluer aux côtés de Figo et de Raul, Saviola n’a pas encore rendu évidente sa complémentarité avec Rivaldo et Kluivert. D’ailleurs, le trio n’encore été titularisé conjointement qu’à trois reprises.

L’Argentin n’est encore qu’une promesse au firmament du football international. Lui-même le reconnaît. « Avant d’être considéré comme une grande vedette, il me faut gagner des titres. Mon objectif n’a jamais été de traiter d’égal à égal avec Zizou« .

Les débuts de Javier Saviola sous le maillot blaugrana n’ont pas suivi le cours d’un long fleuve tranquille. Début octobre, il a déçu les responsables du club en refusant de subir une infiltration qui lui aurait permis de jouer à La Corogne en dépit d’une blessure au pied. Sans lui, Barcelone a perdu 2-1 à Riazor. « J’ai pensé à mon avenir et à ma santé », explique-t-il.

En souvenir de son père

Bien que tout le monde lui reconnaisse un extraordinaire talent, certaines personnes estiment qu’il est parti trop tôt à l’étranger.

« Lorsqu’on brûle ainsi les étapes, on subit souvent un retour de manivelle », pense Victor Hugo Morales, un commentateur sportif très écouté en Argentine. « Il a encore beaucoup de chemin à parcourir avant de pouvoir revendiquer au sein de la phalange barcelonaise le rôle central qui était le sien à River Plate. Il est encore si jeune… et avec son visage de poupon, il a le profil tout indiqué pour devenir un excellent produit de marketing ».

Javier Saviola, pourtant, a déjà démontré une grande force de caractère. Dix jours après avoir enterré son père, décédé le 7 août 2001 des suites d’une longue maladie, il avait retrouvé le chemin des filets et souleva son maillot pour exhiber un t-shirt sur lequel figurait l’inscription: -Pour toi, papa. Et, bien qu’il ait passé beaucoup de temps sur le banc, il est actuellement le meilleur buteur du FC Barcelone. Il est au-dessus de sa moyenne de carrière d’un but tous les deux matches.

Son manager, Alfredo Cabrera Brizuela, estime que son sang-froid est encore plus impressionnant que sa virtuosité footballistique. « Lorsqu’on arrive au sommet à 20 ans, il est difficile de garder la tête sur les épaules », affirme-t-il. « Lui en est capable. C’est plus une question de caractère que d’âge ».

Pour aider Javier Saviola à s’acclimater, le club a demandé à sa mère, ainsi qu’à l’un de ses oncles espagnols, de venir vivre à ses côtés. Le petit lapin a en effet des racines en Espagne: ses grands-parents maternels étaient originaires d’Extrémadure et avaient émigré en Argentine pour fuir la misère. Son père, en revanche, était d’origine italienne. Il fut basketteur dans sa jeunesse.

Renfermé sur lui-même au départ, Javier Saviola commence à se dérider. Notamment vis-à-vis des médias. Voici quelques semaines, il ne parlait encore à la presse qu’en présence de son conseiller, Alfredo Cabrera Brizuela. Ce n’est que depuis peu qu’il accepte de donner sa propre version des faits.

Nombre d’impresarii, plus ou moins bien intentionnés, gravitent évidemment autour de Javier Saviola. Le joueur est trop concentré sur le jeu pour prêter attention à tout cela. « Dès que je monte sur un terrain, j’oublie la pression », affirme-t-il.

Il a déjà ses esprits tournés vers la prochaine Coupe du Monde. Marcelo Bielsa, le sélectionneur argentin, a confirmé qu’il envisageait de l’inclure dans le groupe des 23 joueurs qui s’envoleront vers l’Asie. Victor Hugo Morales, pourtant sévère dans ses jugements à son égard, estime également qu’il devrait faire partie de l’expédition et que cette expérience devrait l’aider à éclore. On s’en réjouit d’avance.

Daniel Devos

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