Le petit coureur devenu grognard

Vainqueur surprise de Paris-Roubaix il y a 15 ans, le Français participera dimanche prochain, à 40 ans, pour la 17e fois à la classique du Nord. Un record sur lequel il clôturera sa carrière.

« Guesdon, la chute de trop ! », titrait le 18 janvier dernier un quotidien français. La veille, le coureur de la Française des Jeux s’était cassé la hanche au Tour Down Under. Il croyait son rêve s’envoler : une incapacité de trois mois l’empêcherait de terminer sa carrière le 8 avril au terme de Paris-Roubaix, comme il l’avait programmé. Mais le robuste coureur breton a guéri plus vite que prévu.

Le 14 mars déjà, il effectuait sa rentrée à la Nokere Koerse et s’avérait désormais prêt pour prendre, dimanche prochain, pour la 17e fois, le départ de  » la reine des classiques « . Un record absolu : une participation de plus que Raymond Impanis et que Servais Knaven, avec lesquels il partageait jusqu’alors cet honneur.

Seul recordman ?  » Ce n’était pas le but de cette dernière participation, précise Guesdon. Ce n’est qu’après avoir pris ma décision que j’ai appris pouvoir établir un nouveau record. En vérité, je voulais terminer ma trajectoire dans une course marquante. Pourquoi pas à Paris-Roubaix, mon épreuve de prédilection ? C’est cet objectif-là qui m’a stimulé pour m’entraîner encore durant un hiver supplémentaire et égaler ou même améliorer ma 11e place de l’année dernière. Plus raisonnablement, mon ambition sera d’arriver sans encombre à Roubaix et de profiter une dernière fois des pavés de l’Enfer…si c’est possible  » ( rires).

Le Breton ne prendra peut-être pas de plaisir sur la route mais certainement à l’arrivée quand, la tâche accomplie, il effacera les traces de l’effort sous le jet d’eau chaud et bienfaisant des douches préhistoriques du vélodrome.  » Actuellement, beaucoup de coureurs se douchent dans le bus de l’équipe. Moi, je respecte la tradition. Bien que cela semble ringard et que l’eau ne soit pas toujours très chaude, ce rite fait partie de Paris-Roubaix. Combien de coureurs d’ailleurs peuvent se vanter d’avoir leur propre douche ? « 

En effet, sur le socle d’une des célèbres douches une petite plaque cuivrée signale :  » GUESDON F. Vainqueur 1997 « . Un souvenir et un hommage à l’exploit majeur de sa carrière. Cette année-là, le jeune Frédéric, 25 ans et troisième année professionnelle, surprenait tous les favoris sur le vélodrome. Quelques semaines plus tôt il avait déjà gagné la Classic Haribo, mais seuls les initiés le savaient…

Le Breton, encore inconnu du grand public, remportait un sprint à huit coureurs en démarrant de manière surprenante de la dernière place du groupe avant le dernier virage et en gardant, à sa propre surprise, une avance suffisante pour gagner. Il devançait dans l’ordre Jo Planckaert et Johan Museeuw. Le premier voyait s’envoler sa plus grande chance de gagner un jour à Roubaix. L’un de ses aînés parmi la dynastie cycliste de Nevele, Eddy Planckaert, vainqueur à Roubaix en 1990, le lui rappelle encore souvent de manière ironique : tu as été battu par  » Guidon « , comme il avait familièrement transformé le nom du Français.

Bien que trois fois vainqueur de l’épreuve, Museeuw garde également un souvenir amer de l’édition de 1997. Alors porteur du maillot arc-en-ciel de champion du monde, le  » Lion des Flandres  » a connu ce jour-là le traumatisme du malchanceux qui frappe souvent le champion du monde en exercice. Déjà malheureux dans le Tour des Flandres, où il avait été piégé par Bruno Buscardin, refusant tout relais, il l’a encore été sur les pavés du Nord. Malgré quatre crevaisons, il s’était retrouvé en tête à 12 kilomètres de l’arrivée en compagnie d’ Andrei Tchmil et de Frédéric Moncassin, lorsqu’une cinquième crevaison le retardait à nouveau. Avec l’aide de cinq autres poursuivants, le Belge revenait néanmoins sur les deux hommes de tête, constituant ainsi un groupe de huit coureurs.

 » Le malheur de Museeuw, épuisé par ses efforts répétés, a fait mon bonheur « , avoue Guesdon. Jeune coureur, j’étais déjà content de me trouver dans le groupe de chasse, puis étonné de sprinter pour la victoire. Convaincu d’être l’un des moins rapides, je misais sur l’attaque de loin sur la piste pour obtenir une place d’honneur. C’était une man£uvre curieuse, sans doute dictée par mon inexpérience, mais elle a surpris tout le monde et j’ai pu conserver une petite avance suffisante. Aujourd’hui, dans la même situation, je ne partirais plus d’aussi loin.

Cette victoire française, si rare sur les routes du Nord, n’a pourtant pas fait l’unanimité. Guesdon se souvient :  » J’étais un vainqueur à la Dirk Demol, disait-on. Vincent Lavenu, directeur sportif de l’équipe Casino, a même affirmé que si un petit coureur pouvait gagner Paris-Roubaix, ses coureurs à lui devaient également en être capables. Certes, je n’étais sans doute pas le plus fort mais c’était quand même mon grand mérite d’avoir tenu tête aux meilleurs dans le tronçon du Carrefour de l’Arbre.  »

Débuts en Enfer

L’art de maîtriser les pavés n’est pas un don du ciel pour Frédéric Guesdon :  » Comme amateur déjà, j’analysais attentivement les cassettes de Paris-Roubaix pour découvrir les secrets de divers vainqueurs, les Marc Madiot, Gilbert Duclos-Lassalle et autres Tchmil. L’édition de 1994, illustrée par le fameux duel sur les tronçons boueux entre Museeuw et Tchmil, m’a spécialement marqué. Deux ans auparavant j’avais fait une première reconnaissance des gros pavés du Nord, inexistants en Bretagne où on ne trouve qu’occasionnellement des routes recouvertes de briquettes. J’ai terminé loin derrière, mais un an plus tard (1993) j’étais déjà onzième. Et lorsqu’en 1994, deux mois après la victoire de Tchmil chez les pros, j’ai terminé deuxième de l’édition pour amateurs, je me suis dit qu’il s’agissait d’une course pour moi…  »

Lors de sa découverte de l’Enfer du Nord, Guesdon a été fort impressionné par un fait de course précis.  » Dans la Tranchée d’Arenberg, j’ai été soudainement dépassé à une vitesse… fulgurante par Duclos-Lassalle, ancien vainqueur, qui venait de crever. Néo-pro, j’ai compris que j’avais encore beaucoup à apprendre ! J’étais néanmoins très heureux de finir la course, à une… demi-heure du vainqueur Franco Ballerini. J’espérais encore les applaudissements du public du vélodrome. Mais il n’y avait plus personne ! Une déception qui m’a toutefois incité à revenir un jour chercher une ovation.  »

Le Breton a tenu parole. En 1996, la célèbre  » édition Mapei « , marquée par les trois premières places raflées par l’équipe italienne (Museeuw, Bortolami, Taffi), Guesdon termine joliment quatorzième, mais cela ne suscite guère l’enthousiasme en France.  » Je roulais alors pour l’équipe italienne Polti, sans grand intérêt pour la presse française.  » Un homme pourtant l’avait remarqué : Marc Madiot, ancien double vainqueur et directeur sportif de la FdJ, qui le ramène en France, afin que le Breton se consacre prioritairement à Paris-Roubaix. Il se souvient très bien comment Madiot en parlait.  » Il y a dix-huit ans ( 1979, ndlr) je gagnais chez les amateurs, il y a douze ans chez les professionnels et il y a six ans une seconde fois encore. Tâche de bien retenir cette règle de six…  »

Vainqueur en 1997, le Breton connaît ensuite deux années  » sans  » : chute en compagnie de Museeuw dans le bois de Wallers en 1998 et forfait en 1999 à cause d’un kyste au fessier. Puis il aligne une série très significative de résultats réguliers : un top 10 (6e en 2006) et neuf fois classé entre la 11e et la 20e place, dont trois fois 11e.  » J’ai toujours pris le départ avec la conviction que je pouvais gagner une seconde fois. Mais il a toujours manqué un petit quelque chose ou bien je jouais de malchance. Comme l’an dernier encore. J’étais dans le groupe d’échappés avec Johan Vansummeren lorsque j’ai crevé juste avant le tronçon du Carrefour de l’Arbre. Quand je suis revenu dans le groupe, Vansummeren était parti. Je crois bien que j’aurais pu l’accompagner et viser le podium.

Reculer le seuil de la douleur

Guesdon voue un véritable amour à Paris-Roubaix :  » Je ne suis pas un sprinter ni un bon grimpeur. Mais mon solide gabarit se comporte fort bien sur les pavés. Au lendemain de Paris-Roubaix, beaucoup de coureurs se plaignent de maux aux bras et au dos. Je n’ai jamais éprouvé cela. Seulement un peu de fatigue. Dans aucune autre course je ne suis capable de reculer le seuil de la douleur aussi loin. Sur les pavés des Quatre Jours de Dunkerque ou d’ailleurs, je n’éprouve pas les mêmes sensations et je suis incapable d’aller aussi loin dans la souffrance. Dans les cols du Tour de France je souffre mentalement bien plus que sur les pavés de Paris-Roubaix. Simplement parce que l’effort de grimper ne me convient pas du tout. « 

 » En ce jour unique d’avril, je suis un autre homme. Un diable dans l’Enfer. Je suis généralement prudent, mais dans le Bois de Wallers, par exemple, je suis capable de me déchaîner, de rester concentré sur chaque geste. Alors je prends des risques là où ailleurs je serre mes cocottes de frein. On sait comment on entre dans Wallers, pas comment on va en sortir. A chaque fois, c’est un soulagement d’arriver au bout et d’avoir pu rester en compagnie des meilleurs. Si je prendrai encore des risques, dimanche, à l’occasion de mon dernier Paris-Roubaix ? Peut-être, mais je veux avant tout arriver au vélodrome. « 

 » Je passerai la ligne d’arrivée avec un peu de tristesse « , affirme-t-il, mais c’est aussi un sentiment de fierté qui doit l’habiter à ce moment-là :  » Après 1997, j’ai prouvé que je n’étais pas le coureur d’une seule grande victoire. Je m’en suis rendu compte en 2006 quand j’ai gagné ma deuxième classique avec Paris-Tours. J’ai beaucoup profité de cette victoire. Davantage que de celle à Roubaix ! A vrai dire, à choisir, j’aurais aimé gagner Paris-Roubaix plus tard dans ma carrière. En 1997, j’étais tellement jeune. Interview, félicitations, contrôle antidopage, etc. Pas le temps de réaliser mon bonheur, pas même sur le podium aux côtés de Museeuw. J’étais totalement dépassé par l’événement. A Tours, je n’ai pas commis ces erreurs. J’ai maîtrisé la situation en m’isolant le temps nécessaire. « 

Le nom du Breton restera pourtant toujours associé à ce 13 avril 1997 :  » Régulièrement, je reçois encore des félicitations à ce propos, même de personnes inconnues. En revanche, peu d’entre elles savent que j’ai aussi gagné Paris-Tours ! « 

Cela illustre bien la place qu’occupe Frédéric Guesdon dans le c£ur des sportifs français. Malgré ses deux victoires classiques, il ne sera jamais aussi populaire qu’un Thomas Voeckler ou un Sylvain Chavanel. « Les médias s’intéressent à moi seulement à l’approche de Paris-Roubaix, constate Guesdon. Cela me va. Je n’ai jamais voulu être une vedette. Seulement un coureur breton aimant les pavés. Et c’est sans doute ce dont je suis le plus fier…  »

PAR JONAS CRETEUR – PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » J’ai toujours pris le départ avec la conviction que je pouvais gagner une seconde fois. « 

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