LE PEP DE PEREZ

Zinédine Zidane a été promu entraîneur principal du Real Madrid. Mais que vaut-il comme coach ?

« Je suis content d’avoir Zizou à mes côtés car il entretient de bonnes relations avec les joueurs, qui l’écoutent.  » C’est en ces termes qu’en été 2013, Carlo Ancelotti a exprimé sa satisfaction quant à son assistant, dès sa première conférence de presse. L’Italien avait entraîné Zidane à la Juventus et il était formel : Zizou était le meilleur et le plus intelligent footballeur avec lequel il avait travaillé. C’est sans doute exact. Le numéro dix français discernait souvent les solutions avant que les problèmes ne se présentent sur le terrain.

Il était un leader naturel, qui  » parlait avec le ballon  » et qui rendait meilleurs ses coéquipiers. Surtout, ses actions relevaient du grand art. Rappelez-vous la volée qui avait offert au Real sa neuvième victoire en Ligue des Champions, en 2002. Hans-Jörg Butt, le gardien du Bayer Leverkusen, ne comprend toujours pas ce qui lui est arrivé à Hampden Park, en Ecosse, mais le marquoir n’en a pas moins affiché le score final, 1-2, à la 45′.

UN ATTRAIT MAGNÉTIQUE

Le palmarès du Franco-Algérien est magique. En 2006, quand il a raccroché, au terme de la finale du Mondial, malheureusement entachée par le coup de tête décoché à Marco Materazzi, il avait gagné, entre autres, une Coupe du Monde, un EURO, une Ligue des Champions, trois titres et un Ballon d’Or. Il ne rêvait pas encore d’une carrière d’entraîneur.  » Je voulais d’abord me consacrer à quelque chose de radicalement différent « , dit-il.

Il ne savait pas encore vers quoi se diriger et il est devenu une sorte de nomade. De Madrid, son port d’attache, il est d’abord parti à la recherche de ses racines en Algérie. Il s’est ensuite rendu en Suisse, au Bangladesh et dans d’autres pays pour des oeuvres caritatives. Il a également prêté son visage à Danone, Adidas et même Lego, mais jamais longtemps.

Il s’est également engagé pour aider le Qatar à remporter l’organisation du Mondial 2022. Dans une vidéo de promotion de cinq minutes, il est revenu sur sa vie : le quartier difficile dans lequel il a grandi à Marseille, sa carrière à l’AS Cannes, à Bordeaux, à la Juventus et au Real, avec, en point d’orgue, la finale victorieuse du Mondial 1998. Il a plongé son pays dans l’extase, au point que les gens scandaient  » Zidane président  » et sa photo a été projetée sur l’Arc de Triomphe.

 » Il faut croire en ses rêves. Alors, tout est possible « , dit-il au début du film. De belles paroles mais à l’arrière-goût amer. Par la suite, on a découvert que le Qatar avait versé onze millions d’euros sur le compte de Zidane pour enregistrer cette vidéo. Le comique français Christophe Alévêque a traité Zidane de  » panneau publicitaire sur pattes « , de  » putain  » et de  » connard « . L’ancien footballeur l’a assigné en justice et Alévêque a été condamné à lui verser une indemnité de 5.000 euros.

Alévêque n’en a pas moins déclenché un débat : Zidane est-il un génie insaisissable ou un simple mortel doté de pieds en or ? Que pense-t-il ? Il est très difficile de le savoir car il reste entouré d’une aura de mystère. En revanche, il a du charisme. Son regard dégage un certain attrait magnétique, a déclaré un ancien joueur du Real à AS :  » Parfois, il peut vous faire péter les plombs. Quand il s’adresse à vous, vous ressentez son magnétisme.  »

Ça doit être ce qu’a ressenti Marcelo Bielsa quand Zidane, dans le cadre de sa formation d’entraîneur, lui a rendu visite à Marseille. Le tacticien argentin était manifestement ravi de la rencontre :  » C’est un monument vivant. Le fait que Monsieur Zidane soit venu m’écouter restera un moment inoubliable pour moi. Il s’est montré reconnaissant que je lui parle. Il exerce un pouvoir stupéfiant sur les gens normaux. C’est indescriptible.  »

UN DILEMME TACTIQUE

En mars 2009, Zidane revient au Real, d’abord comme conseiller du président Florentino Perez, mais un an plus tard, il remplace déjà Jorge Valdano au poste de directeur sportif. Sa collaboration avec José Mourinho se passe mal. The Special One voulait quelqu’un qui critique le corps arbitral et l’aide à mener ses guerres verbales contre le monde entier mais ce n’était pas dans la nature de Zidane l’introverti. Il avait d’autres ambitions. C’est devenu clair quand il a été nommé adjoint d’Ancelotti en été 2013.

 » C’est ce que je veux faire. Après avoir mis un terme à ma carrière, j’ai rencontré beaucoup de gens, j’ai beaucoup appris sur le football et fait pas mal de jobs mais finalement, j’en suis revenu à ce qui me donne vraiment de l’énergie. Il faut faire ce qu’on aime et pour moi, c’est le football.  » Et le job d’entraîneur.

Déjà, du temps de Mourinho, il était constamment avec les équipes de jeunes du Real, ne serait-ce que parce que ses fils y jouaient. Il a pris à part des jeunes prometteurs comme Jese et Alvaro Morata, il a discuté avec eux. Il a suivi les cours et décroché la Pro-Licence UEFA. Il l’a fait en France, sous la direction de Guy Lacombe, celui qui l’avait entraîné dans son premier club, l’AS Cannes.

Lacombe vient de confier au magazine britannique FourFourTwo :  » Comme entraîneur, il aura davantage besoin de son intuition mais il a l’art d’analyser le mode de réflexion d’une équipe et de comprendre les autres joueurs.  »

C’est justement cette compréhension que des joueurs comme Cristiano Ronaldo, Sergio Ramos, Karim Benzema et Toni Kroos ne sentaient pas avec Rafael Benitez. L’Espagnol a négligé d’initier de bons liens avec les leaders du vestiaire. Ça lui a été fatal, autant que le dilemme tactique auquel Ancelotti, son prédécesseur, était déjà en proie. Quand l’équipe joue en possession du ballon, elle étouffe Cristiano et Gareth Bale, deux joueurs qui misent sur leur vitesse et leur profondeur. Si elle mise sur le contre, elle donne de l’oxygène à Cristiano et Bale mais les éléments créatifs, Toni Kroos, Luka Modric, James Rodriguez et Isco, s’expriment moins bien.

Durant sa première saison à Madrid, Ancelotti a pu compter sur Xabi Alonso, qui comblait toutes les brèches dans l’entrejeu et abattait un travail défensif considérable. Le Real ne dispose pas, actuellement, d’un joueur doté de ce profil et de cette intelligence, si ce n’est Casemiro, qui est encore trop vert. Benitez a tenté de résoudre le problème en bridant la créativité de ses médians mais il n’y est pas parvenu complètement.

Le prédécesseur de Zidane a également été confronté, dès le premier jour, au mécontentement des tribunes. Son jeu médiocre lui a attiré des concerts de huées, plus audibles à chaque match à domicile. Zidane, très populaire dans la capitale ibérique, ne doit rien redouter de ce côté durant les premières semaines. Il dispose donc de plus de répit qu’un autre pour imprimer à l’équipe sa philosophie. Mais quelle est-elle ? Et que vaut-il comme entraîneur ?

LE CAS ODEGAARD

Durant l’été 2014, Zidane entame son premier mandat réel d’entraîneur au Castilla, la filiale du club madrilène. Il ne fait pas très bonne impression sur son mentor, Guy Lacombe.  » La première fois que je l’ai vu, il était timide à l’entraînement. Il ne tenait pas son groupe.  » Les résultats sont à l’avenant : il perd quatre des cinq premiers matches. Zidane cherche une solution, avec Lacombe et David Bettoni, son adjoint à Castilla. En début de saison, il misait sur la possession du ballon et un football dominateur dans le camp adverse.

Il change alors son fusil d’épaule, en tenant davantage compte des défauts de ses joueurs. Pris individuellement, ils sont tous dotés d’un excellent bagage mais ils manquent de gabarit. Les autres équipes de la série mettent à profit leur force dans les duels et procèdent par longs ballons. Pour les adversaires de Zidane, il s’agissait donc de couper les ailes à Castilla pour lancer des contres rapides.

Lors du sixième match, Zidane adapte donc sa stratégie. Il fait reculer son équipe pour laisser moins d’espaces dans le dos de la défense, il passe du 4-3-3 au 4-2-3-1 et conçoit ainsi un football plus efficace. La possession du ballon et la domination du jeu ne constituent plus des priorités. Il tente aussi de changer la mentalité de ses footballeurs. Dans le vestiaire, avant le match, il s’est adressé à eux en ces termes, raconte Bettoni à Vestiaires, un magazine français pour entraîneurs :

 » Il leur a dit : – Je n’étais pas bon de la tête mais j’ai quand même inscrit quelques goals importants ainsi durant ma carrière. Pourquoi ? Parce que j’étais déterminé à jouer de la tête si mon adversaire direct me lâchait un instant. Quand on sait quels buts il a marqués de la tête… Il ne parle pas beaucoup de son passé mais quand il le fait, l’impact est énorme.  » Le plan a fonctionné. Castilla a gagné 1-0 le sixième match, contre le leader du classement. Ensuite, les rouages se sont mis en place. En janvier 2015, l’équipe était en tête du classement.

Puis Florentino Perez enrôle le prodige norvégien Martin Odegaard. Agé de seize ans, il s’entraînait avec le noyau A en semaine mais jouait avec Castilla le week-end. Perez a tout arrangé. La situation suscite des remous dans la phalange de Zidane. Comment forger des automatismes avec le reste de l’équipe s’il ne s’entraîne pas avec elle ? En plus, Odegaard touche, selon la rumeur, un salaire hebdomadaire de 110.000 euros, ce qui ne contribue pas à sa popularité auprès de ses camarades d’âge, dont certains sont au club depuis dix ans. Il faut beaucoup de patience – et de points – à Zidane pour intégrer le Scandinave. Finalement, en possession du ballon, il lui assigne l’axe de l’entrejeu en 4-3-3 et celui de médian offensif en 4-2-3-1 quand l’équipe perd le ballon. Malgré ce changement, le Real Madrid Castilla n’est que sixième et loupe son objectif, la montée en Division Deux.

LE NOUVEAU PEP ?

Sixième en D3, au terme d’une première saison au poste d’entraîneur, ce n’est pas une catastrophe, pensez-vous. Las, on le compare ici et là à Pep Guardiola, qui a bel et bien promu l’équipe B de Barcelone en 2008. Cette saison-là, Guardiola a fait une telle impression que le président Joan Laporte l’a catapulté à la tête de l’équipe première. Avec succès : trois titres, deux Coupes d’Espagne et deux Ligues des Champions en l’espace de quatre ans. Florentino Perez espère que Zidane offrira une ère similaire au Real.

Le président salue en lui le vainqueur-né :  » Quand il a entamé sa carrière de joueur, il connaissait la voie menant au sommet. Il est tout aussi convaincu d’atteindre le même niveau au poste d’entraîneur. Certes, il faut parfois lui arracher les mots de la bouche mais il est déterminé et constant. Il possède en plus une immense connaissance du football. Ce sont les qualités d’un grand entraîneur.  »

Zidane est reconnaissant à Perez de lui offrir cette occasion au Real.  » C’est pour lui que je suis ici. Sans lui, je n’aurais pas ramené à Madrid la neuvième Coupe aux Grandes Oreilles. Il m’a tout donné et je veux le lui rendre.  » Il a tenu ces propos l’année dernière, quand il entraînait Castilla. Est-il désormais prêt pour l’élite ? Il y a deux mois, il estimait lui-même que non. Il avait déclaré, lors d’une conférence de presse :  » L’année dernière, il me manquait encore quelque chose et je sais que c’est toujours le cas. Un entraîneur n’est jamais tout à fait prêt. J’avance pas à pas, sans hâte.  »

Maintenant, il doit se hâter car la pression est énorme : en fin de saison, le Real doit réélire un président et Perez aimerait se représenter avec un titre ou une Ligue des Champions, les deux de préférence. L’année dernière, Guy Lacombe a affirmé à FourFourTwo que son poulain recelait des qualités d’entraîneur :  » Tous les coaches que je connais croient en lui. Il est très sérieux. Il arrive tous les matins à 8.30 heures et reste tard le soir. Il passe son temps à téléphoner ou à discuter avec des adjoints de la manière d’améliorer l’équipe. C’est vraiment impressionnant. C’est une bénédiction qu’un tel champion veuille rendre quelque chose au football.  »

PAR STEVE VAN HERPE – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Il exerce un pouvoir stupéfiant sur les gens. C’est indescriptible.  » MARCELO BIELSA

 » Il ne parle pas beaucoup de son passé mais quand il le fait, l’impact est énorme.  » DAVID BETTONI, SON ADJOINT À CASTILLA

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