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Le patient français

On peut être élu meilleur joueur du championnat anglais en étant un Frenchie, en n’ayant jamais connu les centres de formation, en ayant un gabarit d’avorton et en vomissant le bling bling. La preuve par N’Golo Kanté. Il y a deux ans, il jouait à Caen. Oui, à Caen.

Il y en a qui doivent avoir trop de pognon. Prenez TF1 ! En mars, ils envoient une équipe de Téléfoot à Chelsea pour interviewer N’Golo Kanté. L’homme qui ne dit jamais rien. L’huître du foot londonien. Trop timide ? Trop modeste ? Trop respectueux ? Trop ceci, trop cela ? Un peu de tout ça, sans doute. L’interview se limite à quelques phrases sans aucun intérêt, on va retenir juste celle-ci :  » Je m’épanouis à Chelsea.  » Joli. Révélation ! Heureusement que la télé peut meubler ses reportages avec des sons d’ambiance, des images, des témoignages.

Sur ces images, justement, on aperçoit un fou furieux, un chien, un gars qui ne lâche jamais rien, un avaleur de kilomètres,  » un joueur qui va redéfinir ce qu’on attend d’un médian défensif  » (copyright Phil Neville sur la BBC), un footballeur qui joue la tête dans quelques classements un peu spéciaux. Sur les deux dernières saisons du championnat anglais, N’Golo Kanté est le meilleur tacleur, le meilleur intercepteur, le deuxième homme en pourcentage de passes réussies. Ciel bleu.

Qui, avec Riyad Mahrez et Jamie Vardy, a offert le titre à Leicester il y a un an ? C’est N’Golo. Qui vient d’être élu pour la deuxième fois, en deux saisons de Premier League, dans l’équipe type de l’année ? C’est N’Golo. Qui sera très prochainement le tout premier joueur à conquérir deux titres anglais d’affilée avec deux équipes différentes ? C’est N’Golo. Et qui vient d’être désigné meilleur joueur de la saison par ses pairs ? Evidemment ! Il est le quatrième footballeur français à recevoir ce trophée après Eric Cantona, David Ginola et Thierry Henry.

Kanté et son double

Meilleur gars de la Premier League. Devant – on s’accroche – Eden Hazard, Harry Kane, RomeluLukaku, Zlatan Ibrahimovic et Alexis Sanchez. Le lot est traditionnellement pour des artistes, on le donne cette fois à un pur besogneux. Assez exceptionnel pour arracher enfin quelques punchlines au Français ? Même pas. A nouveau, on a droit aux formules toutes faites. Trop timide, trop modeste, trop respectueux, trop ceci, trop cela. Morceaux choisis mais, donc, ça ne va pas être inoubliable.  » C’est un honneur de recevoir ce prix (…) Comme je le dis toujours, c’est un travail d’équipe. Merci à mes coéquipiers, au staff de Chelsea et aux supporters.  »

C’est mort, personne n’arrivera jamais, sans doute, à le faire sortir de sa réserve, de sa coquille, de sa modestie maladive. Heureusement, on a Eden Hazard, pourtant favori dans la course au fameux trophée, pour mettre un peu de piment dans la petite fête. Aucune rancoeur dans les mots et l’analyse de notre Diable. Après tout, il a déjà été élu meilleur joueur du championnat le plus médiatisé du monde.

Alors, il dit :  » N’Golo Kanté le mérite. Pas seulement pour cette saison, mais pour ses deux dernières en Premier League. C’est un de mes joueurs préférés et j’imagine que ça doit signifier quelque chose pour un joueur qui ne marque pas toujours et qui ne décide pas des matches.  » Plus tôt cette saison, Hazard avait fait dans l’humour en parlant du Français qui bosse comme un malade dans son dos :  » Quand je suis sur le terrain, j’ai parfois l’impression de le voir en double. Un à gauche, un à droite. J’ai l’impression de jouer avec des jumeaux.  »

Un leader silencieux

Antonio Conte, son coach, en a lui aussi plein la bouche. Il lâche par exemple :  » Kanté me fait penser à moi quand j’étais joueur, mais c’est une version plus développée de ce que j’étais.  » Il s’attarde ensuite sur la personnalité de son Frenchie, évoque une place de leader à prendre à Stamford Bridge. Parce que Branislav Ivanovic est récemment parti au Zenit, parce que John Obi Mikel vient de répondre à l’appel de la Chine, et parce que John Terry s’en ira à la fin de la saison :

 » Kanté est un leader silencieux. Ce n’est pas simple de s’exprimer verbalement et de diriger quand on fait sa première saison dans un club comme Chelsea, mais il pourrait prendre la place de patron. Pour le moment, il est un leader par son jeu. Le reste devrait suivre.  »

En attendant de devenir le boss, le Français bosse comme un dératé. L’année passée, à Leicester, il arrivait que Claudio Ranieri le renvoie au vestiaire avant les autres joueurs, histoire de l’épargner. Parce que Kanté voulait toujours en faire plus. Antonio Conte agit différemment :

 » Je ne veux pas le stopper. Quand je jouais à la Juventus, Giovanni Trapattoni m’obligeait parfois à quitter le terrain d’entraînement avant mes coéquipiers, il me disait que je devais garder de l’énergie pour le match du week-end. Chaque fois, j’étais frustré. Quand je regarde Kanté, je me revois à cette période-là. Je ne veux pas frustrer mon joueur. Du début à la fin de chaque entraînement, il donne tout. Toujours avec le sourire.  »

Porte close partout

France profonde, vers l’année 2010. N’Golo Kanté approche de la vingtaine. S’il a vraiment du talent, il doit déjà être assez haut. Mais il est toujours tout en bas. Pendant plusieurs années, il s’est arraché pour être simplement admis dans un centre de formation valable. Sans succès.

 » Entre 13 et 18 ans, j’ai fait plein de tentatives « , dit-il aujourd’hui.  » J’ai contacté des académies de clubs professionnels, j’ai sonné à la porte de Rennes, de Lorient, de Sochaux. Toutes les réponses se ressemblaient : -Des joueurs comme toi, on en a des camions entiers. On n’a pas besoin de toi. Il continue donc le foot dans son tout petit club de la banlieue parisienne.  » Sa petite taille est clairement un handicap.

Il passe quand même à Boulogne, c’est déjà un progrès. Même si le quotidien est difficile. Il est logé dans une auberge de jeunesse, il touche le SMIC, il va à l’entraînement à pied ou… en trottinette, on raconte même qu’il ne mange pas tous les jours à sa faim. Puis il va – gratuitement – à Caen, encore un pas en avant. Mais peut-on dire d’un footballeur qui obtient à 22 ans un transfert à Caen qu’il est promis à un grand avenir ?

A son âge, il y a déjà pas mal de Français qui jouent dans l’un ou l’autre grand club anglais. Sa modestie innée est toujours là, même quand il découvre la Ligue 1. Par exemple, la chaîne de télé beIN veut lui consacrer un reportage. Il décline, estimant que ça ne se justifie pas.

Mais le petit Caen est quand même le club où il prend une nouvelle dimension. Un entraîneur normand fait un parallèle osé à l’époque :  » Je le compare à Jean Tigana parce qu’il a un coup de rein monstrueux. Il est pétillant. Il a plusieurs coups de rein dans une course. Il n’a pas besoin de dribbler, il pousse le ballon et il passe son défenseur. Simplement.  »

Mini Kanté et sa Mini Cooper

Pourtant, il a quand même des moments de conscience où il croit en lui, en son futur. N’Golo Kanté a la double nationalité franco-malienne, et plusieurs fois, la fédé du Mali le tanne pour qu’il porte son maillot. Chaque fois, il refuse. Il s’imagine en Bleu. Franck Silvestre réclame sa sélection et affirme qu’il deviendra un nouveau Claude Makelele – le charisme en moins. Et ça finit par venir, sur le buzzer à l’approche de l’EURO 2016.

Un tournoi qui lui laisse des souvenirs mitigés. Il joue au début puis est suspendu pour le quart de finale contre l’Islande. Il ne revient plus dans l’équipe ensuite et rate donc les rendez-vous avec l’Allemagne et le Portugal. Mais il a le profil humain voulu par Didier Deschamps, ça c’est clair. Les tatouages extravagants, la crête, le casque sur les oreilles, ce n’est pas pour lui.

Cette discrétion, on en rigole aussi en Angleterre. Il y a par exemple cette anecdote liée au roulage… Quand il arrive à Leicester, le club lui propose une voiture. Une grosse caisse, évidemment. Histoire de ressembler à ses coéquipiers. Il refuse. Il répond qu’il préfère conserver sa… Renault Mégane. La direction insiste. Question d’image de marque, sans doute.

Kanté finit par s’acheter une Mini Cooper. Rien ne change quand il débarque chez les millionnaires de Chelsea – lui-même fait aujourd’hui partie des footballeurs français les mieux payés avec Hatem Ben Arfa, Blaise Matuidi, Paul Pogba et Karim Benzema. Et il s’explique :  » Je n’ai jamais été quelqu’un qui aime les voitures. Ma Mini m’a servi pour apprendre à conduire à gauche. Je ne veux rien changer.  »

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTOS BELGAIMAGE

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