LE PARRAIN

Dans un foot de plus en plus nombriliste, Réginal Goreux fait quasiment figure d’anomalie. Portrait d’un homme pour qui le Standard représente encore quelque chose.

« Pourquoi n’aurait-il pas porté le brassard ? Il n’a pas cessé de diriger ses équipiers. On ne peut pas vraiment le considérer comme un nouveau joueur au sein du groupe « , commentait Yannick Ferrera à la sortie du match amical face à Düsseldorf (défaite 3-2). Réginal Goreux a donc revêtu le maillot de son club près de trois ans après l’avoir quitté. Le retour aux affaires de ce véritable enfant de Sclessin aurait une valeur symbolique forte au milieu d’un Standard en totale perdition depuis le début de saison, guidé par un capitaine, Jelle Van Damme, qui semble avoir abandonné les armes depuis longtemps et animé par un groupe d’expat’ dont on peut raisonnablement douter du véritable intérêt qu’ils portent à leur employeur. Réginal Goreux a, lui, du sang rouche qui coule dans les veines. La preuve en quatre actes.

ACTE 1 : L’AUTORITÉ NATURELLE

Réginal Goreux a passé toute sa vie au Standard ou presque. Arrivé du petit club de Berloz à l’âge de 7 ans, il quittera son club formateur 18 ans plus tard, le 20 janvier 2013 au lendemain d’un partage blanc à Gand. Direction la Russie et Samara puis Rostov pour une expérience d’un peu plus de deux ans humainement étonnante et financièrement intéressante. Mais seul au coeur de la torpeur russe, loin de sa femme et ses deux enfants, l’expérience prend fin en plein conflit ukrainien dont les conséquences touchent aussi les portefeuilles des footballeurs de l’élite. Un retour chez lui semblait donc inéluctable. Liégeois pur jus, Régi grandit à travers les différentes catégories d’âge du club principautaire au sein de la génération 87 des Kevin Mirallas, Sébastien Pocognoli, Jonathan Legear, ou autre Jordan Remacle. Il sera d’ailleurs le seul à percer jusqu’en équipe première ; les autres têtes d’affiche choisiront très tôt de quitter le bateau rouche (Mirallas à Lille, Legear à Anderlecht et Remacle et Pocognoli à Genk). Aujourd’hui coach des U16 mais aussi scout pour le Standard, Arnold Rijsenburg a dirigé ce qu’il appelle encore la  » génération dorée  » :  » J’étais coach des U18 et j’avais Axel (Witsel), Marouane (Fellaini) et Régi (Goreux) qui ont par après été rejoints par Mehdi (Carcela) et Christian (Benteke). C’est la meilleure équipe que j’ai entrainée « , assure ce formateur néerlandais passé également par Aspire au Qatar ou Anderlecht.  » Déjà à cette époque, Régi avait une personnalité affirmée. Il a toujours été respecté par tout le monde. Il jouait alors ailier droit. Il était explosif et dès qu’il sortait de son drible, il donnait des centres tendus et précis. Il évoluait un peu à la manière des ailiers hollandais. Mais c’était aussi un guerrier. Il avait un tacle qui pouvait être méchant. Ce n’est qu’à partir du moment où il a rejoint les pros qu’il s’est transformé en arrière latéral. Aujourd’hui, il peut jouer sur tout le flanc droit. Et je pense même qu’il pourrait prétendre à une place de milieu récupérateur droit grâce à l’expérience qu’il a acquise et à sa lecture du jeu.  » Alors que les pépites ne manquent pas, et viendront petit à petit enrichir l’effectif de Michel Preud’homme, le jeune Goreux prend pas mal de place au sein de cette génération dorée.  » Il essayait de voir jusqu’où il pouvait aller avec moi « , poursuit Rijsenburg.  » Et c’est quelqu’un qui sait ce qu’il veut et qui te fait passer le message mais toujours avec des arguments. Il dégageait une grande maturité pour son âge et une autorité naturelle. Il avait sa façon à lui de te regarder et avait beaucoup d’impact sur les autres joueurs. Quand il prend la parole, généralement ça fait boom. Dans le foot, trop de gens craignent ce genre de personnage, alors que justement, un club, une équipe a besoin de personnalités fortes comme lui. Par contre, je suis persuadé qu’il n’ pas exploité tout son potentiel car il est trop vite satisfaisait de lui-même. En jeunes, Il avait un VMA de 18-19 mais était satisfait s’il atteignait 17 comme les autres du groupe.  »

ACTE 2 : LES DÉBUTS DE RÊVE

Alors qu’il approche de la majorité, Réginal Goreux est victime d’une fracture du tibia en novembre 2005. Son éclosion chez les pros est reportée alors que Marouane Fellaini et Axel Witsel ne tardent pas à mettre tout le monde d’accord au sein de la jeune bande à MPH. Goreux voit son heure enfin arrivée le 23 février 2008 face à Gand où il entre au jeu à deux minutes du terme. Cinq jours plus tard, le conte de fées prend véritablement forme. Lors du match retour des quarts de finale retour de la Coupe face au Cercle Bruges, le petit gars de Berloz monte au jeu à la 78e et envoie douze minutes plus tard son Standard en demi-finale d’une frappe sèche dans la lucarne qui plonge Sclessin en transe. Mais ce n’est rien à côté de l’enfer qui s’abat le soir du légendaire 21 avril 2008. A la 54e minute, Goreux adresse un centre dans le dos de la défense d’Anderlecht que conclut DieumerciMbokani avant de doubler la marque un peu plus tard. Le Standard est champion après 25 ans. La fête est dantesque. Régi vit un rêve éveillé aux côtés de ses potes de l’Académie, Axel et Marouane mais aussi de Steven Defour, qu’il initie aux rituels festifs de la cité ardente.

 » Durant cette période, on vivait à cent à l’heure « , racontait Goreux dans Sport/Foot Mag,  » On arrivait à combiner résultat et fête. Nos écarts nous étaient pardonnés car sur le terrain, nous étions des hommes. On était presque une dizaine à être de vrais amis. C’est assez unique pour un vestiaire de foot pro. C’était quasi eux ma première famille car on passait 75 % du temps ensemble.  »

 » Il a débarqué dans une équipe avec de grosses personnalités comme Mohamed Sarr, Milan Jovanovic ou Mbokani mais tout le monde avait du respect pour lui car il ne se laissait pas faire « , assure Rijsenburg.  » Il pouvait recevoir un sale tacle à l’entraînement, il ne bronchait pas mais sortait son tacle  » méchant  » quelques minutes après. C’était sa manière à lui de s’imposer dans un groupe pareil.  »

Moins flamboyant que le reste de la bande, il est pourtant le leader discret de la jeune garde dans le vestiaire. La saison 2008-2009, Goreux dispute 22 rencontres de championnat alors que les Rouches s’emparent d’un deuxième sacre de rang.

 » On voit que c’est un garçon qui a reçu une bonne éducation et qu’il a tout ce qu’il faut dans la caboche « , précise Benjamin Nicaise, qui arrive au club l’été 2008.  » Je ne peux pas en dire autant de tout le monde dans le foot mais lui, il est intellectuellement au-dessus. Quand je l’ai rencontré à mon arrivée au Standard, il était encore très jeune mais était déjà très intéressé par ce qu’il se disait, par ce que les grands pouvaient raconter. Il s’est affirmé aussi grâce à son intelligence car ce qu’il disait était sensé. C’est quelqu’un qui a du caractère, qui a du cran également. Je pense qu’il a la volonté de faire les choses pour les autres, pour le groupe, ce qui n’est pas fréquent dans le foot où l’on pense souvent à sa petite personne. Et ça n’a pas toujours été évident pour lui. Laszlo Bölöni lui a mis la tête sous l’eau pendant un petit temps mais il n’a jamais bronché. Il a beaucoup appris à cette époque au Standard.  »

ACTE 3 : LES DIFFICILES ANNÉES DUCHÂTELET

La suite est moins heureuse même si une coupe de Belgique 2011 vient se greffer à son palmarès. La passation de pouvoir entre Lucien D’Onofrio et Roland Duchâtelet l’été qui suit est aussi synonyme d’exode. Goreux est le dernier vestige du doublé 2008-2009. Son ami d’enfance, avec qui il se rendait à Sclessin ado, Sébastien Pocognoli est alors à ses côtés après avoir connu des expériences à Genk et à l’AZ Alkmaar.  » Jusqu’à son départ, c’était le vrai boss du groupe, qu’il porte ou non le brassard (ndlr, Jelle Van Damme sera pourtant nommé capitaine), c’est vers lui que les joueurs se tournaient, c’est lui qui tirait le groupe « , se rappelle le gaucher de West Bromwich Albion.  » Régi connaît le club mieux que quiconque, il sait comment il fonctionne, il connaît tout le monde, des personnes qui y travaillent jusqu’aux supporters, il a l’esprit Standard en lui. Et il a toujours dit ce qu’il pensait. C’est quelqu’un de profondément juste. Avec lui, c’est noir ou blanc. Et ce n’est pas un calculateur comme on en rencontre beaucoup. Il peut être très têtu aussi (il rit). Mais c’est surtout quelqu’un de bien même s’il vaut mieux ne pas trop le chercher.  »

Sa relation avec Roland Duchâtelet se dégrade au fil du temps. Et un départ paraît inéluctable. Son interview en décembre 2012 dans Sport/Foot Mag est même prémonitoire.  » Si demain un club russe frappe à ma porte, je me dois de réfléchir. Si c’est pour gagner cinq fois plus pendant trois ans, je veux même bien me faire insulter par les supporters sur place (il rit).  » Le 20 janvier, l’international haïtien s’envole bel et bien pour la Russie. Quelques jours plus tard, c’est au tour de l’autre enfant de la maison, son pote Poco, de quitter le navire pour la Bundesliga et Hanovre.

Goreux, c’est 148 rencontres officielles en rouche. Et même basé à des milliers de kilomètres de Sclessin, le lien n’est jamais véritablement rompu. Il est notamment le parrain du projet Socios, une coopérative lancée par les supporters du Standard à l’été 2013 en opposition à Duchâtelet.  » Il est temps qu’il quitte le club « , clame en bon porte-parole Goreux.  » Être un grand homme d’affaires ne veut pas nécessairement dire être un grand dirigeant. Le foot est un monde à part en termes de gestion et il ne l’a pas compris.  »

ACTE 4 : RETOUR MAISON ?

A l’heure de boucler ces lignes, Réginal Goreux n’est pas encore officiellement Standardman. Mais difficile de trouver des avis contraires à son retour que ce soit auprès des supporters dont il est resté très proche, ou d’anciens joueurs.  » Aujourd’hui encore, il a des contacts avec tout le monde : Steven, Marouane, Gucci, Sarr, Mbokani, Mehdi, Benteke « , confirme Rijsenburg  » C’est le parrain à Liège (il rit). Il connaît tout le monde et est respecté par la base. Il arrive d’ailleurs souvent qu’un de ses anciens équipiers prenne conseil auprès de lui. Il a un carnet d’adresses incomparable. Il a vraiment le profil pour être un jour le directeur technique du Standard.  »

 » C’est un pur Liégeois dont on sent qu’il a un vrai attachement pour son club. Il peut amener son expérience, son aura, et son palmarès dans le vestiaire « , poursuit Nicaise.  » C’est quelqu’un de sérieux, qui se soigne. Pour l’entraîneur, ça peut être un bon appui.  »

D’autant que Yannick Ferrera a très vite pointé les problèmes de comportement au sein d’un groupe difficile.  » Il va en calmer plus d’un « , nous assure l’un des joueurs du noyau.  » Aujourd’hui, il est encore un peu réservé même s’il a déjà pris plusieurs fois la parole devant le groupe. Mais avec le temps, il y en a qui devront faire attention.  » Les voilà prévenus.

PAR THOMAS BRICMONT – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Quand il prend la parole, généralement ça fait boom.  » ARNOLD RIJSENBURG, SON ENTRAÎNEUR EN JEUNES

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