Le pari LIÉGEOIS

Alors que le club s’éloignait de ses supporters, le président Duchâtelet a fait le pari de faire appel à des personnalités liégeoises. Enquête.

Ceux qui ne sont toujours pas convaincus de la singularité des Liégeois par rapport aux habitants des autres régions, et plus particulièrement par rapport à la région rivale de ce dernier siècle, le pays de Charleroi, n’ont qu’à regarder la différence de traitement des uns et des autres envers leurs propres compatriotes. Alors qu’à Charleroi, on se félicite, se congratule et qu’on se sent rassuré lorsqu’un Carolo réussit à la tête du Sporting, à Liège, on l’épie, on guette sa moindre erreur avant de l’encenser. Avant même de forger les portes des play-offs, Felice Mazzu rassurait et plaisait aux Carolos. Dans le même cas de figure, ni José Riga ni Dominique D’Onofrio avant lui n’ont été soutenus et félicités par le public liégeois. Comme si on leur pardonnait moins qu’à d’autres.  » Autant le Carolo adopte sans réserve, autant le Liégeois est un peu plus méfiant « , résume Robert Waseige, trois fois entraîneur au Standard.

Pourtant, pour plaire aux supporters et rassembler toute une région sous la bannière du Standard, Roland Duchâtelet a choisi de régionaliser son club. En confiant le poste de T2 à Etienne Delangre, Ardennais mais apparenté Liégeois, lui qui a porté les couleurs du Standard durant plus de 10 ans et qui a habité dans la Cité Ardente, en acceptant la nomination de Riga, citoyen d’Hermalle-sous-Argenteau, comme T1, et en confiant la gestion quotidienne à Axel Lawarée, Liégeois pur jus et ancien joueur de Seraing et du Standard, et à Bruno Venanzi, symbole de la réussite entrepreneuriale liégeoise, lui qui a cofondé Lampiris, Duchâtelet a voulu briser la désincarnation du club et lui redonner son identité liégeoise.  » Cela a une signification très importante pour nous « , explique Magali Pignolet, représentante de la Famille des Rouches au conseil d’administration du Standard.  » Pourquoi ? Pour une question de mentalité. Ça nous rassure de voir au Standard des personnes de la région, qui connaissent le club et qui savent ce qu’il représente pour nous.  »

Politique réfléchie ou hasard ?

Reste à se demander si ce renforcement du local dans son projet global était voulu ou pas. Duchâtelet, décrié par ses supporters et privé d’un relais (que ce soit pour les médias ou les supporters) depuis le départ de Pierre François et plus récemment encore celui de Jean-François de Sart, a clairement ressenti le besoin et l’utilité de se délester de la gestion quotidienne et des tracas médiatiques qui l’accompagnent. Comme souvent, Duchâtelet agit par feeling personnel. Dans l’affaire Mazzu, le comportement de Lawarée lui a plu. Après plusieurs discussions avec lui, il décide d’en faire son conseiller sportif.

Pourtant, en novembre, cette nomination n’a pas lieu de plaire aux supporters liégeois. Ceux-ci ont peur que Lawarée soit un énième pantin de Duchâtelet. D’autres craignent qu’il n’ait pas la carrure pour le poste, lui qui est agent et n’a aucune expérience à la tête d’un club. Enfin, une partie émet quelques bémols sur la façon dont il est arrivé. L’affaire Mazzu demeure une nébuleuse dont ni l’entraîneur carolo, ni ses agents (Lawarée et Alain Denil) à cause de la publication de certains SMS, ne sortent grandis.

Il en faudra plus pour convaincre les fans. Car si ça gronde dans les travées, cela n’est pas le cas dans les salons feutrés, les sponsors et le monde économique liégeois ayant toujours accroché au discours présidentiel. L’arrivée de Venanzi, elle, satisfait autant les acteurs économiques que le public.  » On se voyait régulièrement (NDLR : Bruno Venanzi a une loge au Standard et est partenaire avec Roland Duchâtelet dans un business de call centers) et à chaque fois, je ne manquais pas de lui donner mon point de vue sur la situation du Standard « , explique le vice-président du Standard.  » A l’instar d’Axel Lawarée, je n’ai pas le ton d’un courtisan et je pense que c’est mon côté supporter et mon franc parler qu’il apprécie. Davantage que mon côté liégeois.  »

Si Venanzi arrive au Standard, il le doit donc davantage au feeling qu’il a avec Duchâtelet qu’à son étiquette de patron liégeois. Un peu comme Lawarée. Néanmoins, tant Duchâtelet que Venanzi ne sont pas des improvisateurs. Nul doute qu’aux prémices de la collaboration, les deux aient compris ce que le Standard (et Duchâtelet) pouvait retirer de l’implication du cofondateur de Lampiris. Une de ses principales qualités est clairement son entregent – à Liège, il est apprécié de beaucoup d’entrepreneurs, et fait l’unanimité auprès des hommes politiques tous bords confondus, lui qui côtoie l’Ecolo Jean-Michel Javaux, le socialiste Jean-Claude Marcourt, l’ancien CDH, Melchior Wathelet ou le libéral Pierre-Yves Jeholet – et un de ses atouts son carnet d’adresses, particulièrement complémentaire avec celui de Duchâtelet. Si l’ancien président de Saint-Trond dispose d’un large réseau en Flandre, sur Liège, il manquait de relais. Tout le contraire de Venanzi, récemment encore cité dans le Le Vif/L’Express comme une des personnalités les plus influentes de la Cité ardente.  » C’est clair que j’ai sur Liège le carnet d’adresses qu’il n’a pas, même si, avec la puissance que le Standard dégage, il pourrait l’avoir très facilement « , reconnait et nuance Venanzi.

Sa présence dans l’organigramme place également Venanzi parmi les candidats numéro un en vue d’un rachat du club (voir cadre).

Un lien fragile

Si Duchâtelet n’a pas fait exprès de mener une politique à coloration liégeoise, celle-ci tombe bien. Désormais, sa garde rapprochée comprend le langage principautaire et sait comment fonctionnent les supporters liégeois. Venanzi a toujours été un fan acharné du Standard, tradition qu’il perpétue auprès de ses deux fils eux aussi mordus du Standard. Son arrivée a été perçue comme un signe d’apaisement envers les supporters. Même si Venanzi affirme ne pas avoir eu pour mission de recréer un lien entre le club et ses supporters, il s’évertue à rapprocher le club de sa base. Il participe à de nombreuses réunions avec les supporters et adopte une communication très franche et très ouverte.  » Pendant deux ans, on a perdu ce contact joueur-supporter-direction et on sent que Lawarée et Venanzi veulent le restaurer. On peut les interpeller, les voir et dialoguer avec eux « , reconnait Pignolet.

Pour le moment, les fans jugent positivement l’arrivée des deux compères.  » Si on doit faire un bilan après six mois, il est négatif au niveau des résultats mais positif au niveau du comportement. Par leur présence, le dialogue et la communication, ils ont apporté quelque chose « , continue Pignolet.

Si ce lien est renoué, il n’en reste pas moins encore fragile tant que les résultats ne sont pas meilleurs. Le trou d’air dans les play-offs a fait ressurgir les banderoles anti-Duchâtelet et les deux hommes risquent de voir leur popularité baisser s’ils se trompent lors du prochain mercato ou dans le choix du prochain entraîneur.

Riga, mal-aimé liégeois

Car le duo Lawarée-Venanzi a porté tout le poids du choix de José Riga comme entraîneur. Là encore, ce n’est pas tant le fait qu’il soit Liégeois qui prime mais sa connaissance du club et le fait qu’il soit disponible. Riga a été T2 de D’Onofrio et T1 pendant une saison (2011-2012). Pourtant, ses années au Standard ne l’ont pas conduit à tisser des liens forts avec le public, aveuglé par sa haine envers Duchâtelet. Dès son arrivée, l’ancien entraîneur de Visé, Mons et Charlton savait que sa mission était périlleuse et qu’il pouvait très vite se retrouver dans l’oeil du cyclone. Il s’attendait à un accueil plus froid lors de son premier match. La victoire aisée face à Mouscron lui a finalement facilité la tâche.

Pourtant, lors de ces play-offs, les supporters ont commencé à demander sa démission, preuve ultime que malgré son passé au sein du club et ses origines liégeoises, il ne lui laisserait rien passer.  » Entraîneur au Standard est quelque chose de compliqué. Encore plus pour moi « , lâcha-t-il à l’issue de la victoire contre Bruges.  » Un entraîneur liégeois est jugé avec un peu plus de sévérité « , reconnait Waseige.  » Cela tient sans doute au fait que le public a été habitué aux entraîneurs étrangers précédés de réputations plus ou moins fortes et établies. Le Liégeois est quelqu’un de très accueillant pour tout qui vient de l’extérieur. Mais attention, cela ne va pas jusqu’à l’aveuglement ! Il s’est montré très méfiant vis-à-vis de Guy Luzon pour la simple et bonne raison que le foot israélien n’est pas très bien côté. Vis-à-vis des locaux, le public demande d’abord à voir, à l’exception des anciens joueurs comme Michel Preud’homme, qui, eux, reçoivent un soutien considérable. Les autres doivent faire leurs preuves. Et si ça marche, alors le public va se montrer d’une grande amitié et fidélité. Cependant, pour en revenir à Riga, il ne colle pas au stéréotype du Liégeois, plus bouillant que lui. Moi, par exemple, j’étais plus explosif, plus prompt à m’emballer. Lui est plus timide, plus réservé.  »

Voilà pourquoi le public a toujours manifesté un certain recul par rapport à des gens comme Dominique D’Onofrio et José Riga. Les soupçons de népotisme n’ont pas arrangé les choses, les supporters reprochant au premier le fait d’être le frère du patron et au deuxième d’être le pantin de Duchâtelet.  » Je pense que Riga est celui qui a la tâche la plus difficile parce qu’il est le troisième entraîneur de la saison et que son arrivée n’a pas été comprise puisqu’il remplaçait un entraîneur qui avait des résultats « , affirme Pignolet.  » Nous attendons plus de lui parce qu’il est Liégeois et qu’il connait le Standard. On va lui reprocher plus facilement de ne pas inculquer la mentalité liégeoise aux joueurs. On va être plus sévère avec lui qu’avec quelqu’un comme Luzon qui, quand on lui évoquait l’esprit Standard, se demandait de quoi on parlait.  »

PAR STÉPHANE VANDE VELDE – PHOTOS : BELGAIMAGE

 » Un entraîneur liégeois est jugé avec un peu plus de sévérité.  » Robert Waseige

 » On va reprocher à Riga plus facilement qu’à un autre le fait de ne pas inculquer la mentalité liégeoise aux joueurs, tout simplement parce que lui la connaît !  » Magali Pignolet, Famille des Rouches

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire