Le nouveau messie U.S.

Il est jeune, et beau et surdoué. Si vous n’avez jamais entendu parler de lui, c’est que vous vous fichez éperdument du tennis.

A quelques encablures de l’US Open, cet Américain qui ne sort jamais sans sa casquette vissée à l’envers sur le front s’apprête à faire un malheur à New York. Classé 158e joueur mondial au début de l’année, Roddick a fait sensation dans la première partie de la saison, éliminant Pete Sampras au tournoi de Miami (ex-Key Biscayne) et surtout en remportant coup sur coup les tournois d’Atlanta et de Houston, ses deux premiers sacres sur le Tour.

L’ex-numéro un mondial, sept fois vainqueur à Wimbledon, n’est pas la seule victime de son jeune compatriote. A même pas 19 ans (il les aura le 30 de ce mois), Roddick a déjà épinglé à son tableau de chasse d’autres joueurs prestigieux: Rios, Chang, Martin et Kuerten, ce dernier ayant été battu au début du mois à Montréal.

Le fait que les deux épreuves remportées jusqu’ici se disputent sur terre battue prouve combien le jeune Américain est atypique. A la lecture de l’interview qui suit, on peut voir combien le hasard a joué un grand rôle dans sa jeunesse. Rien ne le prédisposait au tennis et pourtant…

Mais ses titres conquis sur une surface qui ne sourit guère à la majorité de ses concitoyens ne sont pas les seules marques de fabrique d’un joueur vraiment pas comme les autres. Doté d’une incroyable force de frappe au service, Andy Roddick est entraîné par le Français Tarik Benhabilès qui se hissa à la 21e place mondiale dans les années 80.

L’entente entre les deux hommes, tous deux habitants sous le soleil de Boca Raton (Floride), produit pour l’heure des miracles.

« J’étais le comique de la classe »

Andy Roddick, lors de votre scolarité quel genre d’étudiant étiez-vous?

Andy Roddick: J’étais le comique de la classe. Celui qui faisait rire tout le monde en faisant tout le temps des commentaires intelligents. Tous n’étaient pas toujours appréciés. Je me souviens notamment d’une professeur qui, pour me punir parce que j’avais fait quelque chose de mal ou parce que j’avais fait un commentaire jugé hors de propos, m’a fait rédiger un poème de 500 mots. Un dimanche, j’en ai écrit cinq ou six d’un coup, je ne me souviens plus très bien. Et lorsqu’un jour, elle nous a demandé d’en écrire un en guise d’interrogation, j’en ai sorti un de mon sac en criant: -J’ai déjà fini! » Comme punition, j’ai dû écrire un autre poème de 1.000 mots!

Quels résultats avez-vous obtenus?

Ils étaient plutôt bons. J’ai terminé le cycle secondaire avec des notes correctes mais je n’ai pu assister à la remise des prix. Je voyageais déjà beaucoup à l’époque. Le tennis m’a ôté une bonne partie de ma vie sociale durant ma jeunesse. Aujourd’hui, mes amis du Nebraska me manquent.

Sur les courts, on dit que vous avez toujours eu un sacré tempérament. Dès votre plus jeune âge…

C’est très vrai. Je me souviens d’un événement en particulier, sans doute la pire journée de ma carrière de tennisman. Je devais avoir 12 ans. J’affrontais un gars que je ne supportais pas. En fait, j’étais sûr qu’il avait déjà triché par le passé et je lui en voulais à mort. Je perds le premier set et ce type est ennuyeux au possible. A un certain moment, il monte au filet et me fait une amortie. J’ai frappé aussi fort que j’ai pu droit sur lui!

Vous l’avez blessé?

Malheureusement non, parce qu’il s’est retiré à temps! Et au lieu d’annoncer ma balle out, il me montre un doigt! Je suis devenu complètement dingue et j’ai commencé à l’insulter de tous les noms! Ma mère assistait à la rencontre. Elle est montée sur le court et m’a dit: – Tu sors d’ici tout de suite!. Je ne savais plus où me mettre…

Il dit merci aux ramasseurs de balles!

Cela dit, vous semblez vous être assagi aujourd’hui. Vous êtes un des rares joueurs, si pas le seul, à remercier les ramasseurs lorsqu’ils vous donnent une balle. Pas vraiment l’exemple du bad boy.

C’est sans doute le signe de la bonne éducation que mes parents m’ont donnée. Je ne vois pas d’autres raisons.

On dit aussi que vous étiez un garçon plutôt énergique, toujours prêt pour les exercices physiques. Vrai?

Oui. J’ai touché à beaucoup de sports avant de me diriger vers le tennis. J’ai joué au basket et au golf mais je crois que l’on peut en dire autant de beaucoup de jeunes Américains. Ce sont deux disciplines fortement pratiquées de l’autre côté de l’Atlantique.

C’est vrai mais votre pedigree mentionne également quelques essais plutôt concluants, et pas vraiment ordinaires, dans une piscine olympique. Vous voyez de quoi on veut parler?

Je crois, oui. Petit, j’accompagnais souvent mon grand frère, Lawrence, à la piscine. Il faisait partie de l’équipe olympique de plongeon, la même que celle de Greg Louganis, le célèbre médaillé d’or, dont il était un grand ami. Pour moi, c’était incroyable. Je fréquentais tous ces athlètes de haut niveau à la carrure impressionnante. Et ce qui devait arriver arriva: je devais avoir cinq ou six ans quand je suis monté pour la première fois de ma vie sur un plongeoir. C’était génial!

Et vous avez sauté?

Pas sauté, plongé! Et comment! Quand on tombe à pic dans l’eau, ça ne fait pas mal. Quand on retombe légèrement de biais, par contre…

Comment êtes-vous arrivé à jouer au tennis?

Par le plus grand des hasards. Je ne suis pas ce que l’on appelle communément un enfant prodige du tennis. Mes parents, mes frères et moi-même habitions à Omaha, dans le Nebraska. Pas un endroit pouilleux mais le genre de ville où l’on ne s’arrête que si l’on doit acheter un coca ou faire pipi.

Un jour, John, mon deuxième frère, a été engagé dans une académie de tennis en Floride. Il était plutôt doué et c’est pour lui permettre de progresser afin de faire carrière que nous avons déménagé en Floride.

Et une fois arrivé là-bas, vous avez immédiatement contracté le virus?

C’est un peu ça, oui. J’accompagnais souvent John et je frappais régulièrement des balles. Et comble de tout, je m’améliorais à chaque fois! En Floride, il est difficile de résister à la tentation du tennis. Partout où l’on va, il y a des terrains. Et le soleil. Bref, la belle vie!

« Je ne cherche pas à remplacer Sampras »

La presse internationale, mais surtout celle américaine, voit en vous le successeur des Sampras, Agassi, Courier et autre Chang. Vous en pensez quoi?

Je fais abstraction de tout ce qui se passe autour de moi. Les sollicitations font partie du métier. Elles veulent dire que je commence à bien jouer au tennis. Mais je ne veux pas me fixer d’objectifs précis. J’ai toujours dit que je ne cherchais pas à remplacer Sampras ou Agassi. Je veux simplement continuer à faire mon truc. Avec l’espoir que ça marche.

Justement, les résultats n’ont pas tardé à arriver. Après Wimbledon, vous vous êtes rapproché du Top 30 alors que vous aviez démarré la saison à la 158e place. Tout cela doit forcément avoir une influence sur votre vision du métier.

Il est clair que si vous m’aviez dit au début de l’année que je serais Top 30 après Wimbledon, je n’aurais probablement pas été d’accord avec vous. Je suis content d’avoir si bien joué jusqu’ici et je ne peux qu’espérer poursuivre sur cette voie.

Et si on vous dit que vous aurez un jour toutes les qualités pour faire partie des cinq meilleurs joueurs du monde…

C’est aujourd’hui une probabilité plus envisageable qu’il y a quelques mois. Je vais juste m’efforcer de travailler dur et on verra où ce travail me portera.

L’US Open qui va démarrer fin du mois à Flushing Meadow braquera tous les projecteurs sur votre personne. Vous êtes jeune, talentueux et bourré de personnalité. Un showman et les New-Yorkais adorent ça. Cette attente ne vous fait-elle pas peur?

Pas trop, non. Voilà quelques mois que les regards se braquent sur moi partout où je mets les pieds. Je commence à m’habituer. Et puis, je le répète: cela prouve que mes résultats sont bons. C’est positif.

« Agassi m’a énormément aidé »

Malgré votre jeune âge, vous avez déjà pu bénéficier des conseils d’un très grand joueur. Agassi n’hésite plus à vous appeler pour s’entraîner en votre compagnie quand il débarque en Floride. Plutôt encourageant non?

C’est le moins que l’on puisse dire! Andre m’a aidé plus qu’il ne l’imagine. Il m’a appris à être professionnel. A chaque fois que je me suis entraîné avec lui, mon niveau est monté d’un cran.

On sait aussi que lors d’un tournoi, il n’a pas hésité à venir vous trouver dans les vestiaires lors d’une interruption pour vous donner quelques conseils supplémentaires. Rarement, Agassi n’a été aussi élogieux et attentif à la carrière d’un jeune joueur…

Andre est l’exemple parfait qu’à force de travail, on peut réussir une très grande carrière. Souvenez-vous de son come-back après sa chute vertigineuse au classement.

On raconte encore qu’il vous a communiqué sa passion pour la Coupe Davis. L’année dernière, vous avez été retenu comme sparring-partner lors d’un quart de finale contre la République tchèque où vous avez pu côtoyer Agassi et Sampras notamment. Cette saison, vous avez été sélectionné contre la Suisse. Le début d’une grande série d’exploits?

Jouer la Coupe Davis était mon rêve et je l’ai réalisé alors que je suis encore très jeune. J’espère connaître d’autres très grands moments. Je veux gagner un jour le Saladier d’Argent et vivre des matches aux scénarios incroyables comme seule cette compétition peut en procurer.

Votre victoire contre Michael Chang au deuxième tour à Roland Garros alors que vous souffriez de crampes n’était pas mal dans le genre. Vous gagnez 7-5 au cinquième set et vous devez abandonner au tour suivant contre Hewitt.

Un immense souvenir! Le genre de match qui vous donne à la fois envie de pleurer et de crier de bonheur. Ce sont des moments qu’on peut difficilement traduire en paroles. Cela étant, j’ai souffert de crampes par ma faute. Dans l’excitation du moment, j’ai oublié de m’alimenter. Quant à ma défaite contre Hewitt, je n’aurais jamais dû m’aligner en double à la veille de cet affrontement. Mon corps n’est pas encore habitué à signer des exploits à répétition. Il me faut encore du temps pour cela. A Paris, il a crié: Stop!

C’est sans doute vrai mais le soir-même de votre défaite, on vous a vu dans une discothèque parisienne et vous n’aviez pas l’air d’être terrassé par la douleur…

Il faut bien que jeunesse se passe. C’est bien comme ça qu’on dit, n’est-ce-pas?

Bon contact avec Benhabiles

Vous êtes Américain mais vous présentez une particularité rare: votre entraîneur est Français. Comment avez-vous rencontré Tarik Benhabilès?

C’était lors d’une interruption due à la pluie à l’occasion du championnat national juniors américain. Ma mère et moi nous trouvions sous le même abri que Tarik. Nous avons engagé la conversation et, après quelques minutes, nous nous sommes rendus compte que nous étions quasiment voisins. Le courant est passé tout de suite. Notre entente repose sur deux piliers fondamentaux: professionnalisme et amitié. Lorsqu’il a commencé à travailler avec moi, j’étais un junior qui ramait pour remporter des matches dans les petits tournois. Aujourd’hui, il est non seulement mon entraîneur, mais mon meilleur ami. Je l’adore, c’est comme s’il faisait partie de ma famille.

Benhabiles n’était pas vraiment ce qu’on peut appeler un grand serveur. En plus de quoi il est loin de mesurer 185 centimètres comme vous. Tout semble vous opposer.

C’est vrai mais tant mieux après tout! Son style de jeu était à l’opposé du mien. Quand j’ai commencé à travailler avec lui, je frappais le plus fort possible sur chaque balle. La moitié du temps, elles allaient heurter le grillage du fond. Tarik m’a appris à me contrôler.

Quel est votre record en matière de vitesse au service?

141 miles à l’heure (225,6 km/h) pour un service dans les limites, 146 (233,6) pour une balle qui sort. Pas mal non?

Quels sont les domaines où vous devez faire le plus de progrès?

Il y en a tellement! Techniquement, mon revers mais aussi mon coup droit doivent être meilleurs. Mais c’est surtout dans les domaines de la tactique et de la concentration que je dois progresser. Sans parler, bien sûr, de la régularité. Frapper fort c’est bien, mais frapper juste c’est mieux.

« J’ai supporté Ivanisevic »

Justement, question tactique, lors de votre match face à Goran Ivanisevic à Wimbledon, vous menez 5-3 dans le tie-break du premier set avec une belle occasion de faire 6-3. Et là, on vous voit tenter une amortie inutile qu’Ivanisevic va chercher sans problème. A cause de cela, vous perdez la première manche et plus rien ne peut stopper le grand Croate…

Même si cette amortie était des plus ridicules, si j’ai perdu contre Ivanisevic, c’est avant tout parce que j’affrontais le meilleur serveur du monde. Quand il sert aussi bien qu’il ne l’a fait tout au long de la quinzaine londonienne, il n’y a pas grand chose à faire contre lui.

Vous vous êtes amusé pendant cette rencontre?

Pas vraiment. J’ai passé le plus clair de mon temps à voir ses services me passer de part et d’autre du corps. Quand vous sentez que vous n’avez pas l’ombre d’un soupçon de chance de le retourner, ce n’est pas marrant. Face à lui, j’ai eu l’impression de servir comme une patate! Ce jour-là, j’ai reçu une leçon dans ce domaine.

La manière dont Goran a célébré sa victoire face à vous, en s’arrachant notamment le maillot, qu’en avez-vous pensé?

Je n’avais jamais vu quelqu’un faire ça auparavant! Mais c’est ce qui rend Goran si attachant et si excitant à regarder. Personne ne savait qu’il allait se dévêtir. Lui-même ne savait probablement pas ce qu’il allait faire. C’était drôle. D’ailleurs à la poignée de mains, je lui ai souhaité bonne chance pour la suite du tournoi et lui ai dit que j’allais le supporter jusqu’au bout…

Paolo Leonardi

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