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LE NOUVEAU FINLANDAIS VOLANT

Lewis Hamilton a, cette saison, un rival au sein de sa propre écurie : Valtteri Bottas (27), un Finlandais qui rêve d’atteindre les sommets comme ses compatriotes Keke Rosberg, Mika Häkkinen et Kimi Räikkönen l’ont fait avant lui.

Ouvert et franc, spontané, il a le sens de la répartie et peut même être drôle. Ted Kravitz, un journaliste de Sky Sports, en a fait l’expérience. Au début de cette année, il a passé deux jours chez Valtteri Bottas avec une équipe de télévision. Ils se sont promenés à Nastola, le village natal du pilote F1, dans le sud de la Finlande. Les lacs étaient gelés, les routes, totalement enneigées.  » Ce village n’intéresse personne mais pour moi, cela reste très spécial « , dit Bottas.

C’est là qu’il a rêvé de sa carrière et c’est là qu’il revient toujours se reposer lorsqu’il quitte Monaco et le cirque agité de la F1. Il affirme que là, il a l’impression de vivre pour lui-même et pas pour les autres. Le soir, avec des amis et l’équipe de Sky Sports, il s’enferme dans le sauna sur une musique de Can’t Stop The Feeling, deJustin Timberlake. Ses doigts bougent dans tous les sens, ses hanches suivent le rythme.

Nothing I can see but you when you dance, dance, dance

A feeling good, good, creeping up on you

So just dance, dance, dance, come on

All those things I shouldn’t do

But you dance, dance, dance

 » Et maintenant, on va dans la piscine de mon jardin « , rigole le Finlandais, âgé de 27 ans. Enveloppé dans une serviette de bain de Mercedes, il se glisse dans la neige et s’enfonce dans la  » piscine « , un trou de deux mètres sur deux creusé dans la glace d’un petit lac.  » C’est gelé mais c’est super bon pour la circulation du sang.  »

Karting et panade

Le début de saison est encore loin mais chaque matin, à 8 heures, le pilote F1 et son entraîneur personnel, Anti Vierela, vont faire une heure et demie de ski de fond dans les bois. Sur les traces de Tapio Mäkelä, un autre habitant du village, champion olympique d’hiver à Oslo (1952).

En arrière-plan, on aperçoit le tremplin de ski où Veli-Matti Lindström, deuxième avec l’équipe finlandaise aux Jeux olympiques de Salt Lake City (2002), a appris à sauter.  » Comme tout Finlandais qui se respecte, j’ai un peu joué au hockey sur glace quand j’étais jeune. Jusqu’au jour où j’ai assisté à une course de karting.  »

Un pur hasard. Il était en route pour Lahti avec son père, Rauno, lorsqu’ils ont fait une halte près d’un petit circuit de karting. Ils y restèrent toute la journée.  » Ce jour-là, ma vie a changé.  » De retour à Nastola, il disait :  » C’est ça que je veux faire.  » Il avait cinq ans et n’arrivait même pas aux pédales, ce qui l’obligeait à reporter ses débuts d’un an.

Son grand-père lui conseillait de manger chaque jour une grande assiette de panade.  » Je demandais à mon père ou ma mère de me la préparer et ça a marché : un an après, je disputais ma première course.  »

Sans grand succès.  » J’étais suffisamment grand pour rouler mais j’étais bien plus lourd que les autres enfants. Un petit gros… J’avais sans doute mangé trop de panade.  » (il rit). Sur une photo de classe de 1997 (il avait 8 ans), on le reconnaît facilement, le petit blondinet à la bouille ronde.  » Jusqu’à l’âge de 10 ans, je n’ai rien fait de bon : mon kart et moi pesions dix kilos de plus que les meilleurs pilotes. Un inconvénient énorme.  »

Courir pour maigrir

Il était devant son poste de télévision lorsque, à l’automne 1997, son compatriote Mika Häkkinen remportait son premier grand prix sur le circuit de Jerez. Le Finlandais Volant, qui allait être champion du monde deux fois de suite chez McLaren-Mercedes, était sa source d’inspiration.  » Mais je me motivais surtout moi-même « , dit-il.  » Pour progresser et pour maigrir, j’allais courir chaque jour au bois. C’est comme ça que j’ai commencé à gagner des courses.  »

Les week-ends étaient placés sous le signe du karting, une passion que ses parents partageaient. Son père exploitait une petite entreprise de nettoyage au village et sa mère, Marianne Välimaa, était entrepreneur de pompes funèbres. Mais le jeudi midi, les portes fermaient inéluctablement et toute la famille montait dans un mobilhome en direction de la Suède, où avaient lieu les courses. À l’âge de 13 ans, bien plus costaud et plus lourd que ses rivaux, il remportait son premier titre de champion de Finlande. Désormais, c’était du sérieux.

 » L’école ne m’intéressait pas, je trouvais cela inutile « , dit Bottas qui, à 16 ans, quittait son village pour devenir mécanicien auto à Heinola, à 40 km au sud.  » J’étais habile de mes mains. À l’âge de 6 ans, j’avais fabriqué ma première chaise dans l’atelier de mon père, au départ d’un arbre. J’en ai même gardé une cicatrice.  »

Le Kiosk Bar, un fastfood situé juste en face de la maison familiale, devenait un de ses premiers sponsors car le hobby était coûteux et l’adolescent ambitieux. Ce geste, il n’allait jamais l’oublier. Plus de quinze ans plus tard, avec son autorisation, les patrons vendent encore le Bottas Burger, un double hamburger – à base de steak fraîchement haché – avec des oignons rouges et de la sauce. Prix : 7,70?.

Une volonté appelée sisu

La Finlande a une belle tradition en sports mécaniques. Ce pays de 5,5 millions d’habitants (et 77 millions… d’arbres) ne compte plus les titres mondiaux en rallye (Juha Kankkunen, Tommi Mäkinen et Marcus Grönholm, entre autres), en moto sur route (Jarno Saarinen), en motocross (Heikki Mikkola), en trial, en enduro, en speedway…

Et bien entendu en F1 : des huit Finlandais qui ont pris part à un grand prix, cinq en ont remporté au moins un et trois sont devenus champions du monde. Le slogan qui dit  » If you want to win, hire a Finn  » est devenu un classique.

Leo Kinnunen fut, en 1974, le premier Finlandais à piloter une F1 mais il ne participa qu’à un seul GP. Mikko Kozarowitzky s’assit pendant trois ans dans un baquet de l’écurie anglais RAM Racing Team mais lors des qualifications du Grand Prix de Grande-Bretagne, il eut un accident et se fractura la main. Dégoûté, il quitta le monde du sport.

Un an plus tard, Keke Rosberg effectuait ses débuts. En 1982, sur Williams, il devenait le premier champion du monde finlandais.  » Au cours de ses quatre premières années, il n’avait pris que deux points et on se moquait de lui « , dit Matti Urrila, professeur à l’université de Turku et spécialiste de l’entraînement mental des coaches et des athlètes, qui s’exprime sur le site internet This is Finland.

L’année où il fut champion du monde, Rosberg ne remporta qu’un seul grand prix : du jamais vu dans l’histoire de la F1.  » Mais il a prouvé que, quand on croit en soi, tout est possible « , dit Urrila.  » Nous avons d’ailleurs un mot très ancien qui définit cela : sisu, un trait de caractère des Finlandais que possédaient aussi les pilotes qui ont succédé à Keke. La volonté, la détermination, la persévérance. Ils ont fait ce qu’il fallait faire, coûte que coûte. Et pas sur une courte période mais en toutes circonstances.  »

Tradition finlandaise

Après son retrait (1986), Rosberg s’est occupé de deux espoirs finlandais : JJ Lehto allait rouler six ans dans l’anonymat tandis queMika Häkkinen allait dépasser son mentor en décrochant deux titres mondiaux consécutifs (1998, 1999).  » C’était un talent inné, évidemment, mais on ne peut pas sous-estimer l’apport de Rosberg – en matière de sponsoring et de réseau – dans son titre « , dit encore Urrila.

Mika Salo n’était pas l’un des meilleurs et Heikki Kovalainen n’a remporté qu’un seul Grand Prix mais après la retraite de Häkkinen, une nouvelle étoile finlandaise est née : Kimi Raikkonen qui, après deux deuxièmes places (derrière Michael Schumacher en 2003 et Fernando Alonso en 2005), décrochait le titre mondial en 2007 sur Ferrari.

 » Savez-vous pourquoi les Finlandais sont aussi bons pilotes ? C’est à cause de nos routes et de nos longs hivers « , disait l’équipier de Sebastian Vettel voici peu.  » Les chemins sont sautillants et verglacés, il faut savoir conduire pour ne jamais faire d’accident.  »

 » Lorsque j’ai vu Valtteri dans son kart et, plus tard, à l’occasion de tests en Formule 3 à Hockenheim, il ne m’a fallu que quelques tours pour dire à des amis : Ce gamin a un talent incroyable. C’est un futur champion. J’avais rarement vu cela « , dit Mika Häkkinen, qui accompagne Bottas depuis sa jeunesse, sur CNN.

Après son service militaire obligatoire, où il est devenu caporal, Bottas effectuait ses débuts en Formule Renault 2.0 en 2007. Il terminait troisième du classement final, décrochant 2 victoires en 16 courses. L’année suivante, il dominait le championnat avec 17 victoires en 28 courses ce qui lui permettait de passer à la Formule 3 grâce aux contacts et au soutien financier de Häkkinen, du manager de celui-ci Didier Coton et de Toto Wolff.

Le pilote de l’avenir

 » Si je devais décrire Valtteri en un mot, je dirais impressionnant « , dit Sir Frank Williams, propriétaire de l’écurie anglaise qui porte son nom et qui, en 2010, engageait le Finlandais, alors âgé de 20 ans, comme pilote d’essai. Aux Masters of Formula 3, la course la plus importante de l’année, Bottas était entré dans l’histoire : jamais encore personne n’avait remporté deux fois de suite (2009 et 2010) cette épreuve prestigieuse disputée sur le circuit de Zandvoort.

En 2001, Bottas décrochait le titre en GP3 Series, ne remportant pourtant  » que  » 4 des 16 courses. Il était le champion de la régularité.  » Valtteri, c’est le pilote de l’avenir « , disait Frank Williams en décembre 2012, lorsqu’il expliquait que le Finlandais, alors âgé de 23 ans, remplacerait le décevant Bruno Senna. Le vendredi, lors des essais libres, il avait impressionné le boss, qui l’avait vu rouler plus vite que l’expérimenté Pastor Maldonado.

En 2014, après une première saison décevante (il n’avait pris ses premiers points que lors de l’avant-dernière manche à Austin), le Finlandais surprenait tout le monde avec six places sur le podium et une belle quatrième place au classement final derrière Lewis Hamilton, Nico Rosberg et Daniel Ricciardo.

 » J’ai travaillé avec plusieurs champions du monde par le passé et je peux vous dire que Valtteri Bottas est un futur crack  » disait Pat Symonds, directeur technique chez Williams.  » Il y a d’autres pilotes rapides mais il est plus intelligent que la plupart d’entre eux, il s’intéresse aux détails et collabore parfaitement avec nos ingénieurs.  »

Le dernier titre mondial de Williams remonte déjà à 1997 (Jacques Villeneuve), mais Symonds en était convaincu : Bottas avait tout pour être le huitième champion du monde de l’histoire de l’écurie après Alan Jones (1980), Keke Rosberg (1982), Nelson Piquet (1987), Nigel Mansell (1992), Alain Prost (1993) et Damon Hill (1996).

Pas de pression

Bottas, qui n’était monté que neuf fois sur le podium en 77 GP, avait cependant l’impression qu’en restant chez Williams, il ne pourrait jamais atteindre son objectif.  » Je sais que je peux gagner, il me faut juste une bonne voiture « , déclarait-il à Autosport.

Toto Wolff, qui l’avait conseillé au début de sa carrière, voyait en lui le remplaçant idéal de Nico Rosberg, qui avait mis un terme à sa carrière l’an dernier.  » Je ne crois pas qu’il y aura des tensions entre Lewis et Valtteri « , disait le boss de Mercedes, faisant référence à la relation difficile que le champion du monde allemand et le pilote britannique avaient entretenue.

 » Je sais que je serai plus fort de course en course. Parfois, je me dis que je ne suis pas normal car je ne ressens aucune pression « , disait le Finlandais en entamant sa saison chez Mercedes qui, pour la première fois depuis longtemps, s’apprêtait à lutter avec Ferrari pour le titre mondial.

Vettel remportait deux grands prix, Hamilton aussi et son équipier finlandais signait la première victoire de sa carrière à Sochi.  » Je ne suis pas venu chez Mercedes pour jouer les seconds rôles « , affirmait-il. Voilà qui promet.

PAR CHRIS TETAERT – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Je ne suis pas venu chez Mercedes pour jouer les seconds rôles.  » Valtteri Bottas

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