Le mystérieux Jaycee

Qui est réellement l’attaquant de Mouscron, qui a marqué pour le Bahreïn à Riyad et jouera les barrages contre la Nouvelle-Zélande ?

Samedi 1er août. L’Excelsior Mouscron, en pleine reconstruction après les déboires financiers de la saison dernière, reprend le championnat par un difficile déplacement à Genk. Il s’y impose 1-2, sur deux buts de JayceeJohnOkwunwanne. A la surprise générale, à commencer par celle de l’adversaire.  » J’ignorais que ce garçon avait un tel potentiel « , reconnaît HansCornelis.  » Il est très rapide et pèse sur la défense adverse. Il joue constamment à la limite du hors-jeu, mais démarre très rapidement lorsqu’il n’est pas sanctionné. On parvient difficilement à le déposséder du ballon. Contre nous, il s’est montré très efficace, convertissant ses deux occasions, mais il a aussi accompli sa part de boulot défensif en pressant le porteur du ballon. Il ne reste pas statique en pointe, il lui arrive fréquemment de se déplacer sur les flancs, créant ainsi de l’espace pour ses partenaires. Il a eu besoin d’une saison d’adaptation, mais cela ne m’étonnerait pas qu’il devienne une révélation du championnat.  »

A Genk, Jaycee est l’homme du match, et les médias tentent logiquement de recueillir ses impressions après le coup de sifflet final : c’est peine perdue. Le Bahreïni d’origine nigériane se débine, au grand étonnement des journalistes limbourgeois :  » Il est toujours comme cela ? (…) Ou est-il fâché parce que la presse l’a critiqué la saison dernière ? »

Quinze jours plus tard, à Courtrai, Mouscron arrache un partage 2-2. Encore deux buts de Jaycee. C’est pratiquement la tête couverte d’une serviette, pour échapper aux micros, qu’il quitte les vestiaires. A force de le poursuivre, certains parviennent tout de même à lui arracher quelques mots :  » Cette saison, le club et l’entraîneur comptent sur moi pour inscrire de nombreux buts. La saison dernière, mes nombreux allers-retours vers le Bahreïn m’avaient parfois épuisé. « 

 » Un joueur important pour le Bahreïn  » (Abadi Ashoor)

Mercredi 9 septembre. A Riyad, devant 70.000 spectateurs et sous les yeux de la famille royale saoudienne, l’Arabie Saoudite et le Bahreïn tentent de se départager après le 0-0 de l’aller à Manama. Les Saoudiens ouvrent le score dès la 12e minute, mais Jaycee John – comme on l’appelle là-bas – égalise à la 42e en reprenant un centre expédié de la droite. Un but que l’attaquant de Mouscron célèbre par un double salto dont il a le secret. Le Bahreïn est alors qualifié et le restera jusqu’à la 90e minute, moment où les Saoudiens reprennent l’avance. Tout semble perdu pour les hommes de l’entraîneur tchèque MilanMacala, mais le miracle survient à la 93e minute : ils égalisent une deuxième fois et sont désormais à deux matches – un double barrage contre la Nouvelle-Zélande – d’une qualification pour la Coupe du Monde 2010.

 » On compte sur Jaycee John pour réussir « , assure AbadiAshoor, journaliste à AlAnwar.  » C’est un grand attaquant, qui a le sens du but. Je me souviens d’un but qu’il avait marqué en 2007 dans les dernières secondes d’un match contre le Koweït, qui avait qualifié le Bahreïn pour les barrages en vue des Jeux Olympiques de Pékin. Ce but avait plongé tout le pays dans la liesse. Malheureusement, on a échoué sur la dernière marche, face au Japon, et on n’a pas participé aux JO.  »

Trébucher sur la dernière marche, c’est devenu une fâcheuse habitude pour le Bahreïn. En 2006 déjà, il avait échoué lors d’un barrage contre Trinidad & Tobago alors qu’il avait arraché un partage 1-1 dans les Caraïbes. Au retour, il s’était incliné 0-1 à domicile et avait loupé l’avion pour l’Allemagne. La troisième tentative sera-t-elle la bonne ?

L’attaquant de Mouscron reste un personnage mystérieux. Que vaut, par exemple, son Soulier d’Or asiatique qui lui a été décerné au coup d’envoi d’un match contre le Japon, en février dernier ?  » Ce trophée ne récompense évidemment pas le meilleur joueur d’Asie « , précise Ashoor.  » Plus modestement, il récompense le meilleur buteur de tous les championnats des pays arabes. Il est décerné par AlHadath, un magazine sportif libanais, et Jaycee John l’a mérité pour les 25 buts qu’il a inscrits en 16 matches pour le compte d’Al Muharraq, l’un des grands clubs du Bahreïn. On a profité de l’un de ses retours au pays pour le lui remettre.  »

Démonstratif sur le terrain, Okwunwanne l’est moins en dehors, surtout face à des personnes qu’il ne connaît pas.  » Il est un peu timide, c’est vrai « , confirme notre interlocuteur.  » Il n’aime pas trop les interviews mais c’est un gentil garçon. Il faut surtout éviter de l’agresser. Lorsqu’il est relax et qu’on lui parle calmement, il ne refuse pas la conversation. « 

 » Une question d’adaptation « (Luka Peruzovic)

En championnat de Belgique également, Jaycee semble vouloir justifier les espoirs que l’on avait placés en lui lors de son arrivée en 2008.  » Je vous l’avais dit, il y a un an, que c’était un bon joueur « , clame LukaPeruzovic, qui était le sélectionneur du Bahreïn lors des barrages pour la qualification à la Coupe du Monde 2006.  » Il fallait simplement qu’il s’adapte. En Belgique, tout est différent : c’est un autre football, une autre langue, un autre climat. Je n’ai pas eu, personnellement, l’occasion de coacher Jaycee lorsque j’étais au Bahreïn car il n’était pas encore naturalisé à l’époque, mais j’avais déjà un £il sur lui. Il avait commencé à Al Ahli, le quatrième club du pays, et ses bonnes prestations ont éveillé l’attention d’Al Muharraq, l’un des deux grands. Où il a confirmé ses talents de buteur. Sa naturalisation n’a, alors, pas traîné.  »

 » Un attaquant très complet  » (Abdul Raman)

La meilleure intégration de Jaycee dans le championnat de Belgique est confirmée par AbdulRaman, le manager de son ancien club, Al Muharraq.  » J’ai encore de temps en temps mon ancien poulain au téléphone et il me confirme lui-même que cela va mieux « , explique-t-il.  » Mais il n’en dit pas beaucoup plus, il est assez renfermé.  »

Abdul Raman ne tarit pas d’éloges sur les qualités de footballeur de Jaycee.  » C’est un attaquant très complet : rapide, doté d’un bon tir, capable de jouer des deux pieds, bon de la tête également. Je sais qu’il a rencontré un peu de difficultés en Belgique la saison dernière, mais la transition avec le Bahreïn était trop grande. A tous les niveaux. Je suis certain qu’il a été déboussolé par le climat. Par le style de jeu également : en Europe, le football est beaucoup plus rapide, beaucoup plus physique. Au Bahreïn, le jeu n’est pas lent, mais très lent. J’ai récemment assisté à un match amical contre le Kenya aux côtés du nouvel entraîneur bosniaque de notre club. Il s’est exclamé : – Mon Dieu, que le jeu est lent ! ( Il rit) Avec sa pointe de vitesse, Jaycee John se régalait au Bahreïn. Les différences physiques avec ses partenaires s’expliquaient de façon génétique : ses racines sont africaines.  »

L’adaptation de Jaycee au Bahreïn s’est effectuée sans problème, selon Abdul Raman.  » Lorsqu’il a rejoint Al Muharraq en provenance d’Al Ahli, il a d’emblée pris une place très importante sur l’échiquier. Ses nombreux buts nous ont été précieux. Pour l’équipe nationale aussi, il est rapidement devenu très important. Grâce à sa présence, je crois fermement en nos chances de qualification pour la Coupe du Monde 2010. En dehors du terrain ? J’ignore comment il passait son temps au Bahreïn, cela ne regarde finalement que lui. Mais c’est un garçon très tranquille, très gentil. « 

 » Aujourd’hui, il est heureux  » (Asanda Sishuba)

A Mouscron, Jaycee a surtout des contacts avec les joueurs africains. Dont AsandaSishuba.  » Les qualités, il les a toujours eues « , affirme le petit ailier sud-africain.  » L’an passé déjà, on voyait qu’il possédait un bon tir, une bonne technique. Mais une chose a changé par rapport à la saison dernière : aujourd’hui, il est heureux. Au départ, il a eu du mal à s’habituer au championnat de Belgique. Il sentait lui-même que cela n’allait pas et se morfondait. Cette saison, il sent que l’entraîneur lui fait pleinement confiance. Il joue tous les matches, et le fait d’avoir marqué très tôt dans la saison a encore décuplé sa motivation.  »

Le 4-4-2 semble aussi mieux lui convenir que le 4-5-1 d’ EnzoScifo, où il se retrouvait seul en pointe, avec l’obligation de courir sans arrêt, parfois en pure perte.  » C’est possible, mais sa métamorphose ne s’explique pas uniquement par le système de jeu « , estime Sishuba.  » Jaycee a beaucoup évolué dans la tête. Quand on se sent bien, on joue mieux. En football, le mental est très important.  »

Les incessants voyages vers le Bahreïn, et parfois vers des destinations encore plus lointaines comme le Japon et l’Australie, l’avaient aussi perturbé.  » Au-delà de la fatigue, il y avait les doutes qui se sont immiscés « , poursuit Sishuba.  » Lorsqu’il rentrait en Belgique le vendredi, parfois le samedi matin, Scifo le faisait débuter sur le banc le samedi soir. C’était dans le but de le ménager, mais cela lui donnait l’impression qu’il n’était pas incontournable. « 

La saison dernière, Jaycee s’était éteint dès les premières bourrasques. Faut-il craindre l’arrivée prochaine de l’automne ?  » Je crois que, s’il reste en confiance et continue à se sentir important, il devrait être capable de surmonter l’obstacle des conditions climatiques « , pense Sishuba.

 » Il adore blaguer  » (Walter Baseggio)

WalterBaseggio a eu l’occasion de côtoyer Jaycee la saison dernière et suit désormais ses prestations à distance :  » Il a bien entamé le championnat, j’espère qu’il continuera sur sa lancée. Sa période d’adaptation est peut-être derrière lui. Lorsque la température baissait, son moral descendait en même temps. Il est doué, c’est sûr. Parfois, dans sa tête, il divaguait un peu. Sous certains aspects, c’est encore un gamin. Il semblait parfois être sur une autre planète. Il lui arrivait de se mettre à crier dans le vestiaire, sans qu’on sache pourquoi. Lorsqu’il a commencé à connaître quelques mots de français, il a essayé de les prononcer. Hilarant. Et puis, il adore faire des blagues. Lorsque ChristopheLepoint était à côté de lui, cela n’arrêtait pas. Par exemple ? Ils plaçaient des bouteilles d’eau au-dessus de l’armoire. Lorsqu’on ouvrait la porte, elles tombaient. Après, il prétendait que ce n’était pas lui le coupable. Mais son visage le trahissait. Au niveau foot, il venait fréquemment chercher le ballon derrière. Courir derrière un ballon envoyé en profondeur, ce n’est pas trop son truc. Bien qu’il soit rapide, il préfère recevoir le ballon dans les pieds.  »

par daniel devos

« Au Bahreïn, le jeu n’est pas lent mais très lent. Jaycee faisait fureur. (le manager d’Al Muharraq) »

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