LE MIRACULÉ DES LABOURÉS

Comment Patrick Gaudy s’y est-il pris pour se faire un nom et susciter l’estime des spectateurs des grandes courses organisées dans le nord du pays ?

Wavre, le chef-lieu du Brabant wallon, est une ville agréable, paisible, bourgeoise, commerçante, amusante pour les enfants quand tournent les nombreuses attractions de Walibi. La confiance en l’avenir, symbolisée par ses zonings industriels bien garnis, n’a pas effacé tous les souvenirs du passé comme le  » Pont du Christ « , en plein centre, où les troupes françaises et prussiennes s’affrontèrent durement le 18 juin 1815 dans le contexte de la Bataille de Waterloo.

Wavre est la cité du Premier ministre, Charles Michel, d’un poète, Maurice Carême, et de Soeur Sourire, qui y reposent, et ses 30.000 habitants comptent désormais un nouvel ambassadeur : Patrick Gaudy. A 37 ans, il étonne et mérite la sympathie de tous dans le peloton du cyclo-cross qui rêve de conquérir le monde.

 » J’ai un équipier japonais qui est une véritable star dans son pays « , affirme Gaudy.  » En 2015, la saison de cyclo-cross devrait commencer aux Etats-Unis, à Las Vegas. Sven Nys a toujours prôné la mondialisation du cyclo-cross. Ce sport ne peut pas rêver meilleur ambassadeur que lui.  »

Comment êtes-vous arrivé dans le monde du cyclo-cross ?

PatrickGaudy : C’est une très longue histoire qui passe par le VTT mais aussi par La Bouverie, dans le Borinage, pas bien loin de Mons, Bastogne, au coeur des Ardennes, et Braine-le-Comte, où j’ai vécu avec mes parents et mon frère, Cédric, avant de m’installer à Wavre il y a 15 ans. Mon père a souvent déménagé pour les besoins de son métier. C’est un passionné de taekwondo ; moi j’ai d’abord flashé pour la natation et le football. Je me débrouillais pas mal du tout dans les bassins mais une blessure au coude m’a éloigné de ce sport. J’ai joué au football mais c’est une discipline trop collective pour moi. Mon frère m’a précédé dans le VTT.

Vous avez vécu les grandes heures du VTT quand Houffalize était la Mecque de ce sport avec son célèbre circuit, le plus beau du monde, n’est-ce pas ?

La Belgique a marqué ce sport avec les Filip Meirhaeghe, Roel Paulissen, Nys quand il s’y mettait et je me débrouillais bien aussi. Si certains, comme Meirhaeghe, avaient trouvé une équipe américaine, ce n’était pas mon cas. Le VTT a perdu son souffle et même Houffalize a commis des erreurs en réduisant la longueur de son prestigieux circuit. Il y avait toujours beaucoup de monde au départ là-bas. Je suis persuadé que le VTT saura se reprendre mais, après 15 ans, je commençais à m’ennuyer. Je connaissais tous les tracés et je n’avais plus envie de foncer à l’étranger.

 » Je n’avais jamais vu une telle ambiance  »

D’autant plus que c’était quasiment du bénévolat, n’est-ce pas ?

Oui, évidemment. Même si j’ai fait partie du Top 10 belge et de l’écurie de Gérard Bulens durant un an. Mes parents m’ont donné un an pour vivre ma passion puis j’ai bien dû me poser, c’est normal, avoir ma vie de famille avec nos deux enfants, travailler pour gagner ma vie. Grâce à ma compagne, je suis devenu vendeur chez Barracuda Company, à Wavre, un géant de la vente et de l’entretien des vélos de VTT, de cyclo-cross, route, BMX, VTT enfants, VTT électriques, etc. Le succès est tel que Barracuda a quitté le centre de Wavre pour s’installer plus confortablement dans un zoning.

Quand avez-vous le temps de vous entraîner ?

Avant cela, je dois préciser que tout a changé pour moi avec la découverte des labourés. Mon frère m’a demandé de l’accompagner au cyclo-cross de Ruddervoorde. Il y participait, je devais l’assister pour le matériel, etc. Je n’avais jamais vu une telle ambiance, j’étais ébahi, émerveillé….

Pourquoi ?

C’est énorme. Il n’est pas rare de voir 20.000 spectateurs, comme au Koppenberg, parfois 25.000 même, qui vibrent, connaissent ce sport, apprécient le spectacle qui leur est proposé. Et les retransmissions télévisées rencontrent un succès très important.

C’est parfois la kermesse avec de la bière jetée en direction des coureurs. Enfin, ce n’est arrivé qu’une fois…

Moi, ce que j’ai vu, c’est un immense respect à l’égard des coureurs. Quand un cyclo-crossman, connu ou pas, fend la foule pour se rendre au départ, par exemple, on devine tout de suite que ce sport est une religion en Flandre. Les gens passent de bons moments avant, pendant et après les grandes courses.

Ne vous a-t-on pas volé, un jour, des vélos après un cyclo-cross ?

Oui, cela m’a coûté 8.000 euros. Une fameuse perte sèche car je n’étais pas assuré contre le vol. Ce jour-là, à Essen, nous sommes arrivés en retard et notre mobilhome était stationné en dehors de la zone prévue à cet effet. Après le nettoyage des vélos, j’ai entendu un bruit. Le temps de réagir et les voleurs étaient partis avec leur butin, deux vélos Pinarello. Ils nous avaient certainement bien observés. Non, ce n’étaient pas des amateurs de cyclo-cross mais probablement des personnes d’un quartier situé près de là.

Et votre âge, vous en parle-t-on avec admiration ?

Je suis étonné quand on insiste sur mon âge, 37 ans. Mes tests prouvent que je ne me suis jamais senti aussi bien, physiquement et que la courbe de mes progrès est toujours ascendante. J’ai entendu dire que de grosses équipes m’auraient proposé un contrat professionnel si j’avais 10 ans de moins. C’est bizarre, et pas seulement en cyclo-cross, que l’âge prime….

 » Je me lève à 6 h 30 pour m’entraîner  »

Il y a de quoi avoir des regrets…

De ne pas avoir découvert le cyclo-cross plus…. jeune ?

Oui.

S’il y a un jour un regret, ce sera probablement celui-là.

J’en reviens à une de mes questions : quand avez-vous le temps de vous entraîner ?

Le matin. Je me lève à 6 h 30 et cela m’offre deux heures pour m’entraîner toujours seul, généralement à l’extérieur, parfois sur rouleaux si le temps est trop mauvais. Après, je vais travailler car je ne peux pas vivre de mon sport. Les cyclo-cross, c’est 60 minutes à fond. L’effort est constant, très dur. En VTT, après une heure, je commence à m’ennuyer. On ne peut pas lâcher la pédale des gaz lors d’un cyclo-cross, en VTT oui car il est possible de gérer plus prudemment ses efforts lors de certaines phases de la course.

Passer du VTT au cyclo-cross réclame-t-il une adaptation technique ?

Les vélos sont différents.

Justement….

En cyclo-cross, il n’y a pas d’amortisseurs, les freins sont plus petits. A la limite, le vélo ne pardonne rien. La moindre erreur se paye cash.

Que voulez-vous dire ?

A Overijse, j’étais bien placé, parmi les 10 premiers je crois. J’aurais pu y rester car j’en avais encore sous la pédale. J’ai commis une erreur technique à la sortie de la prairie et ce fut la chute. Le temps de me relever, de redresser les cocottes et le guidon, cela prend 10 secondes ; c’est rien et énorme à la fois. J’étais à bloc comme les autres qui ont continué à ce rythme. Même en retrouvant le bon coup de pédale, il m’était impossible de revenir, sauf en cas de chutes ou de défaillances de ceux-ci. Je me suis contenté de la 13e place alors que je méritais mieux. Le VTT est très technique aussi, évidemment, mais on aborde plus vite des sols sablonneux, gelés, détrempés, boueux ou fuyant en cyclo-cross.

Vous aviez fait parler de vous une première fois à Namur…

Oui. J’avais obtenu une  » wild card « . Et je me suis bien débrouillé après quelques jours d’entraînement. Cela me plaisait bien. J’ai décidé de continuer.

Comment le seul Wallon est-il reçu ? Avec curiosité ?

Non, normalement. De plus, je suis du genre discret. L’attention générale est montée d’un cran et même plus, quand la presse écrite flamande m’a consacré des reportages avant le cyclo-cross de Francorchamps.

 » Namur et Francorchamps offrent des possibilités nouvelles  »

Namur, Francorchamps, Gaudy : la Wallonie découvre-t-elle enfin le cyclo-cross ?

J’espère. C’est à l’aile francophone de la LVB de suivre. Il y a eu du monde à Francorchamps qui a bien fait de miser sur son célèbre Raidillon, une arrivée au sommet d’un mur, une nouveauté qui a suscité la curiosité. Namur et Francorchamps offrent des possibilités nouvelles à ce sport. La Flandre est la terre du cyclo-cross et le restera mais ce sport ne peut s’y cantonner ainsi que dans quelques pays européens. Sven Nys a bien compris cette donnée.

Vous connaissez Nys ?

Non, je ne lui ai jamais parlé.

Ah bon, pourtant, Nys est votre idole, non ?

Je ne connais pas de champion plus doué que lui. Nys sait tout faire sur un vélo. C’est un professionnel exemplaire qui se consacre totalement à son sport. Il est tout simplement beau à voir dans les labourés.

Nys ne vit-il pas l’année de trop alors que Van Aert et d’autres jeunes annoncent quand même une relève de la garde ?

Je ne sais pas mais des nouveaux se manifestent. Nys est encore jeune. Il n’a qu’un an de plus que moi. Les jeunes ont un avantage. Ils peuvent tirer 10 cartouches au cours d’un cyclocross, Nys n’en a plus que trois ou quatre à utiliser avec parcimonie, aux bons moments. C’est un ambassadeur formidable. Il est pour beaucoup dans le renouveau du cyclo-cross. Et il jouera un grand rôle dans la mondialisation.

Mais vous y croyez donc ferme à cette mondialisation ?

Oui, c’est possible, car il s’agit d’un sport spectaculaire et télégénique.

Vous avez désormais une structure autour de vous ?

Je profite de l’infrastructure de l’équipe continentale Veranclassic-Ekoi qui compte deux cyclo-crossmen, le Japonais Yu Takenouchi et moi. Nous avons un mécano, un soigneur, un mobilhome et j’ai des vélos Merida à ma disposition.

Présent dans les labourés depuis 2010, quels sont vos prochains objectifs ?

Je titille le top 10, j’aimerais bien l’intégrer en 2015-16. Comme ma licence me le permet, je ferai un peu de route au printemps prochain.

PAR PIERRE BILIC- PHOTOS : BELGAIMAGE/ CLAESSEN

 » Je titille le top 10, j’aimerais bien l’intégrer la saison prochaine.  »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire