Le miracle permanent

Produit de multiples fusions, le KSC Lokeren Oost-Vlaanderen doit sa pérennité au flair et à l’inventivité de ses dirigeants.

Si le Racing Genk (issu de la fusion, le 1er juillet 1988, entre le THOR Waterschei et le FC Winterslag) est un parfait exemple de réussite, celui de Lokeren, fruit de nombreuses unions étalées sur près d’un siècle (voir cadre) ne l’est pas moins. A la limite, le club waeslandien est encore plus méritant que son homologue limbourgeois, pensionnaire de D1 dès sa création. En effet, les footballeurs de Daknam ont dû s’extirper des séries inférieures pour gravir l’un après l’autre les échelons qui les ont menés pour la première fois parmi l’élite, en 1974. Depuis, hormis une parenthèse de trois saisons en D2, entre 1993 et 1995, les Coalisés ont toujours été actifs en D1.

Un phénomène d’autant plus remarquable que la ville, forte de 38.000 âmes à peine, et enchâssée entre Gand et Anvers, a toujours souffert de la concurrence de ses voisines, plus peuplées. A défaut de public, avec une moyenne qui n’a jamais excédé les 6.000 de tous temps, le matricule 282 a toujours pu compter sur des dirigeants hors pair.

Seventies : stars mondiales

Le premier d’entre eux avait pour nom Etienne Rogiers, généreux mécène qui formait un binôme de choix avec le manager sportif Aloïs De Rycker qui réalisa notamment le tour de force, en 1975, d’attirer Wlodimierz Lubanski, véritable monstre sacré du foot polonais. Vainqueur du tournoi des Jeux olympiques de 72 à Munich, Wlodek s’était abîmé le genou et avait été contraint de faire l’impasse sur la phase finale de la Coupe du Monde 1974 en Allemagne. A 29 ans, il avait été libéré par le Gornik Zabrze, pour services rendus au club et à la patrie. Personne ne donnait cher de ses chances de retrouver son niveau. Pourtant, il allait briller de mille feux à Daknam.

Dans sa foulée, un autre compatriote rallia le Pays de Waes : Gregorz Lato, 3e du Mondial. Le rondouillard De Rycker ne savait pas seulement s’y prendre avec les stars. Il avait également le nez fin pour les jeunes talents comme le futur international danois Preben Larsen, relégué sur une voie de garage au FC Cologne sous prétexte qu’il était caractériel. Ou encore Arnor Gudjohnsen, repéré au Valur Reykjavik, à 16 ans, et qui allait se distinguer par la suite à Anderlecht. A cet égard, le quatuor offensif formé de Lato, Gudjohnsen, Larsen et Lubanski aurait pu soutenir aisément la comparaison avec les quatre mousquetaires actuels d’Anderlecht, Guillaume Gillet, Matias Suarez, Milan Jovanovic et Dieumerci Mbokani.

Eighties : sauce africaine

Après une campagne historique en 1980-1981, sous la houlette d’ Urbain Haesaert, la direction lokerenoise dut se rendre à l’évidence : vu le faible engouement du public à Daknam, attirer des grands noms relevait de l’utopie. Aussi décida-t-elle de changer son fusil d’épaule en tablant à la fois sur les jeunes du cru ( Raymond Mommens et les frères Dimitri et Didier Mbuyu, entre autres) et le talent venu d’Afrique. Le club de Daknam aura une nouvelle fois fait office de précurseur en attirant quelques vedettes de ce continent. Comme le défenseur nigérian Stephen Keshi ou le milieu marocain MohamedTimoumi. Lokeren fut aussi le tout premier à s’appuyer sur un gardien de couleur à la fin des années 80 : Peter Rufai. A l’attaque, il a abrité quelques solides gâchettes à l’image de Samson Siasia, coéquipier de Keshi et Rufai chez les Super Eagles.

D’autres pays africains ont fait, eux aussi, l’objet d’un screening de la part du recruteur Willy Verhoost, qui a pris le relais d’un De Rycker décédé inopinément en juin 1985. Plusieurs attaquants africains transitèrent alors par Lokeren comme le Congolais Elos Ekakia, le Guinéen Sambegou Bangoura, le Togolais Adekanmi Olufadé, le Burkinabé Aristide Bancé ou encore le Nigérien Ouwo Maâzou. Que du beau monde qui allait encore se distinguer par la suite.

Nineties : Tchèques in

L’exemple de Lokeren en Afrique eut toutefois tôt fait d’être suivi par d’autres clubs. Du coup ses dirigeants se mirent en tête, dans les années 90, de déplacer leur terrain d’action. Cap, sur l’est de l’Europe et, plus particulièrement, la Tchécoslovaquie, qui n’avait pas de secrets pour un vieux serviteur, Jozef Vacenovsky. Celui-ci était arrivé à Daknam en 1971, en provenance du Dukla Prague à l’heure où les Blanc-Jaune-Noir venaient d’accéder à la D3. Comme tous les amateurs de l’ancien bloc communiste, il avait dû attendre ses 28 ans accomplis avant de pouvoir effectuer un saut à l’Ouest. Entre-temps, avec la chute du Mur de Berlin, la donne avait évidemment changé, rendant possible le recrutement de jeunes joueurs.

Vacenovsky a toujours été un homme écouté à Lokeren, à qui il a juré fidélité après sa carrière active. En 1974, à l’occasion de la première campagne du club parmi l’élite, c’est sur ses conseils que la direction avait engagé le coach du Dukla Prague, Ladislav Novak. Ce fut un coup dans le mille, le club avait terminé 8e en fin d’exercice. Le même Vacenovsky, passé entraîneur adjoint dès 1978, au côté d’ Urbain Braems, puis scout, allait être à l’origine d’une invasion tchèque à partir de 1995 avec les arrivées de Roman Vonasek, Vaclav Budka,Jan Köller et Daniel Zitka, tous actifs au Sparta Prague. Dans ces cas-ci encore, il faut parler de réussite. Et de flair en ce qui concerne Köller. Car le grand Jan faisait pitié dans la capitale tchèque. Les amateurs de football y riaient de son style peu académique. Peu se doutaient alors qu’il ferait fureur un jour parmi des stars comme Pavel Nedved ou Milan Baros. Et pourtant, c’est ce qui est arrivé.

An 2000 : vague islandaise

Après les Tchèques, ce fut au tour des Islandais de déferler sur Daknam. Mais si, en 1978, le jeune Gudjohnsen avait été visionné sur place, 22 ans plus tard, c’est vers des valeurs sûres que le club se tourna. Arnar Gretarsson, arrivé en fin de bail à l’AEK Athènes, posa le premier son baluchon à Daknam, suivi bientôt de deux joueurs exilés en championnat de Norvège : Audun Helgason à Viking Stavanger et Runar Kristinsson à Lilleström . Ce trio allait être rejoint par deux autres compatriotes : Arnar Vidarsson et Marel Baldvinsson, l’un en 2002 et l’autre en 2003.

Les Vikings de Daknam étaient synonymes de rigueur. Quant à la note frivole, elle était du ressort des nouveaux venus africains. Des joueurs qui, à l’image du Guinéen Ibrahima Conte ou de l’Ivoirien Mamadou Coulibali avaient été formés de manière indirecte sur place. Car après avoir essayé un système de coopération avec plusieurs clubs, le Canon de Yaoundé au Cameroun, par exemple, Lokeren, toujours par l’entremise de son £il africain, Verhoost, créa lui-même des entités sur place : le Satellite Conakry en Guinée et le Satellite Abidjan en Côte d’Ivoire. Dans les deux cas, Lokeren se borna à un soutien logistique en échange des meilleurs éléments locaux. Ces dernières années, le club a encore sacrifié à d’autres modes. Brésilienne, par exemple, avec le recrutement de Joao Carlos, Ademilson Correa et José Tailson en 2004. Sans compter que son école de jeunes tourne à nouveau à plein régime. La preuve avec les éclosions, ces dernières années, de garçons comme Killian Overmeire, Laurens De Bock, Nill De Pauw ou Derrick Tshimanga, passé il y a peu à Genk pour 2,5 millions d’euros.

Sous cet angle-là aussi, Lokeren, via son président, Roger Lambrecht, a le sens des affaires. Sous sa gouverne, le duo Köller-Ekakia a été vendu à Anderlecht, en 1999, pour 4,5 millions et dix ans plus tard, Maâzou au CSKA Moscou pour 4,8 millions. De quoi alimenter les caisses d’un club qui souffre toujours autant de la désaffection du grand public.

PAR BRUNO GOVERS – PHOTOS: IMAGEGLOBE

Le quatuor offensif formé de Lato, Gudjohnsen, Larsen et Lubanski aurait pu soutenir aisément la comparaison avec Gillet, Suarez, Mbokani et Jovanovic.

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