» Le milieu est difficile et les coups bas monnaie courante « 

Romelu Lukaku, c’est lui. Daniel Van Buyten, c’est lui. Kevin Mirallas, Jonathan Legear aussi… Entretien avec celui qui gère les carrières de plusieurs grands noms du foot belge et d’ailleurs.

Les  » Henrotay père et fils  » c’est ce que l’on peut appeler une entreprise florissante. Si le père, Roger (ex-joueur et directeur général du Standard, devenu agent) a quelque peu levé le pied ces dernières années, le fils Christophe a repris le flambeau avec succès. Au regard de son carnet de joueurs, ce Liégeois, basé depuis plusieurs années dans le sud de la France, est l’incontestable numéro un de la profession en Belgique. Régulièrement associé à la destinée de Romelu Lukaku, l’homme reste toutefois très peu loquace médiatiquement.

 » Ce n’est pas mon rôle de figurer dans la presse, les vedettes ce sont les joueurs « , aime-t-il à répéter. La méthode semble être la bonne puisque son carnet s’est enrichi ces dernières années de joueurs belges de talent mais aussi étrangers (Sébastien Bassong, Apoula Edel, etc). Si, exceptionnellement, il a accepté de se confier à Sport/Foot Magazine, c’est pour rendre compte de son métier, mais afin aussi de faire la lumière sur une profession aux multiples zones d’ombre.

Comment votre carrière a-t-elle débuté ?

Christophe Henrotay : Je n’étais pas véritablement destiné à devenir agent de joueur. J’aimais le foot mais je n’en étais pas mordu. A la sortie de mes études en sciences économiques à l’Université de Liège, je suis parti en Espagne pour y apprendre la langue. Sur place, à Malaga, j’ai voulu rendre la monnaie de la pièce à mon père qui avait financé mon voyage. J’ai multiplié les contacts avec des dirigeants et d’autres managers afin d’introduire mon père dans le foot espagnol. A mon retour en Belgique, mon père m’a proposé de l’aider dans son métier d’agent.

Vous dites ne pas être un passionné de football. Cela paraît pourtant incompatible avec ce métier…

J’aimais le foot mais je n’étais pas assez doué pour réussir. Et mon père ne m’a jamais poussé là-dedans mais bien plus dans les études. Et puis, l’avantage de ne pas être un passionné, c’est qu’on peut prendre du recul sur les événements. Je n’ai pas d’émotion négative, j’analyse les situations avec calme et raison. Ou du moins, je tente de le faire. Mais, ce côté placide, ne m’empêche pas d’affirmer aujourd’hui que j’adore mon métier.

Qu’est-ce qui vous plaît tant dans ce métier ?

D’après moi, vous avez deux types d’agent : d’une part, ceux qui sont obnubilés par les transferts, et par conséquent, les commissions, et d’autre part, ceux qui s’occupent de leur joueur, qui les aident, qui leur parlent. Je pense faire partie de la deuxième catégorie. Quand j’arrive à installer une relation de confiance avec mon joueur, j’ai le sentiment d’être utile. Je n’hésite pas non plus à lui dire qu’il a tort, quand j’estime que c’est le cas. Je ne cherche pas à être leur ami même si dans certains cas, comme avec Daniel Van Buyten, je ne dois plus passer derrière lui ; une confiance naturelle s’est installée au fil du temps.

Van Buyten a été votre premier joueur sous contrat. Comment vous y êtes-vous pris pour le signer ?

Ça remonte au début des années 2000 quand Daniel était encore au Standard. J’avais très peu d’expérience. Ma première année comme agent – vers la fin des années 90 -, je l’ai passée à observer le milieu. J’ai aussi régulièrement fait le taxi pour les recruteurs envoyés en Belgique par des clubs étrangers. Je venais les chercher à l’aéroport, je les amenais au match, les présentais aux bonnes personnes. A force, pas mal de monde a commencé à me connaître. J’ai fait mon trou pas à pas.

 » Ma référence reste Van Buyten « 

A quel moment avez-vous le sentiment d’avoir une emprise sur la carrière de votre joueur ?

Il est tout d’abord très important de ne pas s’immiscer dans le sportif. Pour revenir à mon expérience avec Daniel, je me suis régulièrement entretenu avec lui pour gérer ses problèmes relationnels, émotionnels. Comme beaucoup de joueurs, Daniel a été porté aux nues comme il a reçu des coups durs. J’ai, en quelque sorte, parfois dû jouer les psys. Au début de la saison 2009-2010, l’avenir de Daniel au Bayern semblait bouché. A ce moment-là, j’aurais très bien pu le pousser vers la porte de sortie et gagner de l’argent sur une future transaction. Mais l’un de mes principes, c’est qu’il faut être vachement prudent dans ses prises de décisions. Emprunter des routes plus belles, c’est ce que pas mal d’agents font miroiter. De mon côté, j’ai préféré qu’on analyse la situation froidement. Daniel en est arrivé à se dire qu’il faisait partie de l’effectif d’un club exceptionnel et qu’il voulait s’y accrocher. On n’a pu que se réjouir de cette décision puisque Daniel est devenu un joueur cadre d’une équipe qui a disputé la finale de la Ligue des Champions.

Il est facile de travailler avec des joueurs aussi médiatisés ?

Ça dépend avec qui. Pour ma part, la référence reste Daniel. Il a su s’entourer d’un noyau restreint mais solide. Il reste discret dans ses déclarations. Et puis, il ne répond pas aux polémiques de façon précipitée. On a pu s’en rendre compte chez les Diables où il s’est tu malgré de lourdes critiques. Quand il a pris la décision de s’exprimer, la polémique était retombée. C’est quelqu’un de très pro et sa maîtrise des événements lui permet de réaliser une superbe carrière.

Beaucoup d’agents se plaignent régulièrement de voir leur contrat être résilié sans contrepartie financière ; en Belgique du moins. Qu’en est-il concrètement ?

La situation a heureusement évolué. Aujourd’hui, les contrats sont relativement bien protégés. Il est possible de rédiger un contrat qui tient la route, qu’on peut faire valoir en cas de litige.

On imagine toutefois que certains joueurs ont dû vous filer entre les doigts ?

Oui, mais je pars du principe que celui qui ne veut plus travailler avec moi, peut s’en aller. Et inversement, il m’est aussi arrivé de me séparer d’un joueur qui était devenu ingérable. Notamment un gars qui actuellement a la grosse cote sur les pelouses belges.

On vous sait bien introduit dans pas mal de grands championnats européens (Allemagne, France, Angleterre). Est-ce déterminant pour la carrière d’un joueur d’avoir un agent dont le réseau est important.

Le réseau, le fait avoir ses entrées dans plusieurs clubs étrangers, c’est évidemment bénéfique pour le joueur. J’essaie un maximum de négocier avec des personnes de confiance. Avec le temps, on sait à qui on peut faire confiance et ceux qui vont tenter de vous arnaquer vous et votre joueur. Il arrive d’être évidemment surpris. En Angleterre, un président que je connaissais très bien, a été plus que moyennement correct sur une affaire mais s’est excusé après coup et s’est même rattrapé. Faut pas non plus être trop naïf, avec le temps on commence à connaître les règles du jeu.

 » C’est très facile de passer la frontière de la légalité « 

Le fait que votre père connaissait très bien le milieu du foot, qu’il vous y a introduit, cela vous a peut-être aussi permis de ne pas sauter sur tout ce qui bouge ? Contrairement à d’autres agents qui débutent et qui chassent le joueur….

C’est évident. Mon père m’a beaucoup aidé et m’a permis de faire mon trou petit à petit. Aujourd’hui, ce que j’ai construit me permet de n’opter que pour des joueurs de qualité, d’aller vers les joueurs qui nous intéressent. Mes joueurs savent que je peux m’asseoir sur une proposition, que je ne vais pas les presser à ce qu’ils l’acceptent. Je ne cherche pas à gagner au lotto avec mon joueur.

Quel est votre cadre de travail ?

C’est très simple, je travaille avec un noyau restreint d’une dizaine de joueurs. Et puis, j’ai un collaborateur belgo-italien, Edoardo Innocenti, qui scrute pour moi essentiellement le marché des jeunes dans toute l’Europe. Il m’informe dès que ça en vaut le détour. Je ne vois pas l’utilité de m’entourer comme d’autres boîtes de managers anglaises ou autres de nombreux collaborateurs et d’avoir 500 joueurs.

L’image des agents de joueurs est plutôt trouble. Nombreuses sont les histoires de magouilles, de procès, voire pire de traite d’êtres humains comme c’est le cas avec de jeunes Africains. Quel regard portez-vous sur cette profession ?

Je suis parfaitement conscient que ce métier a mauvaise réputation. Il y a énormément d’argent qui circule et la frontière entre l’organisation mafieuse et le monde des affaires est souvent mince. Il est facile de rouler un joueur, surtout s’il vient d’un pays pauvre. Il n’est pas rare qu’on leur fasse miroiter n’importe quoi et qu’on les abandonne. Il n’y a pas plus mesquin que le milieu du foot, il est très facile de passer la frontière de la légalité.

Vous vous êtes également occupé du cas d’Apoula Edel (gardien du PSG), dont le parcours est peu commun et évoque assez bien un milieu interlope.

L’histoire d’Edel, c’est quelque chose d’incroyable. Il y a environ cinq ans, mon informateur m’appelle et me dit qu’il a découvert un joueur intéressant. Seulement le cas est spécial : il évolue en Roumanie (Rapid Bucarest), possède un passeport camerounais et évolue pour l’équipe nationale… arménienne. Après avoir été convaincu que le joueur possédait des qualités, je me suis rendu en Roumanie où j’ai parlé avec lui. Il s’était retrouvé au milieu d’un imbroglio et avait été abandonné par son agent. Il avait beaucoup de soucis et j’ai récupéré un dossier extrêmement complexe. Mais j’ai réussi à le transférer au PSG où il est titulaire depuis l’an dernier.

Votre nom avait été mêlé à l’affaire des transferts dits  » douteux  » du PSG entre 1998 et 2003…

C’est mon père qui avait été mis en cause mais l’ AFP avait publié une dépêche où mon nom était cité. Avec mon avocat, on a essayé de trouver un moyen afin que je ne sois plus associé à cette affaire. Mais à partir du moment où cette désinformation s’est retrouvée en masse sur la toile, il n’y avait plus moyen de faire machine arrière.

Quelles sont vos méthodes pour convaincre un joueur de rejoindre votre écurie ?

J’ai certaines certitudes concernant mon métier. Je suis persuadé de l’importance de notre rôle pour un joueur. Je lui explique toujours qu’il doit prendre le temps de bien choisir son agent, que c’est essentiel pour sa carrière. Je veux être honnête, ne pas jeter de la poudre aux yeux. Ce n’est évidemment pas le cas de tout le monde, vous en avez qui jouent la carte du vendeur, du commercial, mais qui en définitive n’ont que très peu de considération pour leur client.

Votre dernier gros coup public, c’est évidemment la signature de Lukaku. Comment vous y êtes vous pris ?

Romelu n’avait pas encore rejoint l’équipe première d’Anderlecht que déjà pas mal d’agents tournaient autour de lui. Dès que j’ai été convaincu à 100 % de ses qualités, ce qui ne m’a pas pris longtemps, j’ai rencontré la famille : je leur ai bien expliqué qu’il ne fallait pas se précipiter, j’ai exposé ma façon de gérer mes joueurs. Son père a fini par me faire confiance. L’avantage dans ce cas précis, c’est que Roger connaissait les rouages du métier et qu’il n’est pas facilement influençable.

 » Finalement, c’est aussi un business comme un autre « 

Avez-vous le sentiment d’être puissant dans le milieu des agents de joueurs européens ?

Puissant ? Ce serait prétentieux de dire ça. Mais avec le temps, je connais les endroits clefs pour faire des affaires : je sais où l’administrateur délégué de Milan va manger et je sais que s’il me voit il va m’inviter à sa table. Je sais dans quel club se rendre à Londres, où tout se décide au niveau de la Premier League. En définitive, c’est ça être puissant : connaître les bons endroits, y être introduit, développer un réseau qui permet d’atteindre la personne que l’on souhaite. Mais le danger, c’est de se croire trop important, il faut savoir rester en retrait : ton rôle c’est de présenter le joueur, de l’accompagner, et non pas de te mettre en avant.

On entend souvent qu’il faut être chez tel agent pour signer avec tel ou tel club.

Je n’ai jamais eu ce sentiment. C’est vrai qu’un président signera plus facilement avec un de tes clients s’il te connaît, s’il a déjà fait des affaires avec toi. Enfin, je ne vois rien d’anormal à ça, c’est même plutôt logique.

Vous avez hésité à donner cette interview et à vous faire photographier. Pourquoi tant de discrétion alors que le métier est de plus en plus médiatisé ? Il n’est pas rare de lire notamment des articles sur Jorge Mendes, l’agent de Cristiano Ronaldo ou de Mourinho, considéré comme le numéro un de la profession dans le monde.

Il y a peut-être pas mal d’articles sur Mendes mais pour combien d’interviews ? Elles sont très rares. J’ai la conviction que pour bien faire son boulot, il faut rester en retrait et ne pas s’attirer la jalousie des autres. Je n’ai jamais cherché la publicité.

Vous n’êtes pas fatigué de travailler dans un milieu très conflictuel ?

Les trahisons me touchent de moins en moins. Le milieu est difficile, les coups bas sont monnaie courante. En Belgique aussi, comme j’en ai été témoin avec un joueur important de l’équipe nationale. Toutefois, je dois dire que la très grande majorité des dirigeants de clubs belges sont des gens de confiance. Je garde ma philosophie, et n’y déroge pas. Si le joueur veut privilégier ses intérêts, je ne m’en formalise pas. Joseph Yobo que j’avais amené à Everton a choisi un autre agent peu après son arrivée en Angleterre. Aujourd’hui, quand je me rends à Everton, il vient me dire bonjour car j’ai toujours été correct avec lui.

Quels clichés sur votre métier vous agacent-ils ?

De l’extérieur, les gens ont l’impression que l’on gagne beaucoup d’argent facilement. Mais le public ne voit que ceux qui réussissent. La règle de ce métier est la même que pour d’autres business. Si tu montes une entreprise de transport routier et qu’elle tourne très bien, tu peux aussi gagner pas mal d’argent.

PAR THOMAS BRICMONT – PHOTOS : REPORTERS

 » J’ai la conviction que pour bien faire son boulot, il faut rester en retrait, et ne pas s’attirer la jalousie des autres. « 

 » Il y a énormément d’argent qui circule et la frontière entre l’organisation mafieuse et le monde des affaires est souvent mince. « 

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