Le mensonge continue

Comment s’en sortir si la FIFA joue à l’autruche. Heureusement, Michel Platini réveille les consciences.

Lors du dernier Tour de France, la véritable vedette n’a pas été Alberto Contador, vainqueur d’une compétition à la crédibilité perdue, mais le retour d’une vieille pratique dopante : la transfusion sanguine. A l’issue de la 13e étape, Alexandre Vinokourov est testé positif. Le Kazakh a bel et bien utilisé le sang réoxygéné d’une autre personne pour améliorer sa condition, une façon courante de se doper dans le milieu cycliste depuis la chasse à l’EPO.

En théorie, il n’existe aucun rapport entre ce type de dopage et le football. Aucun footballeur n’a jamais été pincé pour s’être dopé à l’aide d’une poche de sang. Pas de preuves, donc pas de dopage. Oui mais… L’incident est presque passé inaperçu et a seulement été rappelé il y a quelque temps. En octobre 2003, Johnny Hallyday est sur le plateau de Merci pour l’info émission de Canal+. Le chanteur explique qu’il a séjourné dans une clinique suisse spécialisée dans l’oxygénation du sang.

 » Le traitement consiste à prélever du sang, l’oxygéner et le réinjecter « , raconte-t-il. Il ajoute que l’adresse du centre lui a été recommandée par… Zinédine Zidane.  » Zidane y va deux fois par an et je le comprends « .

Trois phrases qui mettent Zizou, champion du monde, une des légendes de la planète foot, une icône pour des milliers de gens, sur le même pied que Vinokourov, héros déchu et honni du cyclisme. S’agit-il d’une erreur ? D’un cas isolé qui aurait échappé à la FIFA ? Il y a en tout cas de bonnes raisons de penser que la FIFA n’a pas joué un jeu clean dans la gestion du dopage…

Le dopage peut aider un footballeur

5 février 2007, conférence internationale de l’UNESCO contre le dopage. Le docteur Jiri Dvorak, directeur médical en chef de la FIFA, prend la parole :  » En football, il y a peu de sens à vouloir améliorer les performances par des moyens artificiels comme le dopage. (…) Nous pouvons actuellement conclure qu’il n’y a pas de preuves scientifiques attestant l’organisation d’un système de dopage en dépit de l’existence de certains cas individuels. Depuis 1994, dans les 32 tours finaux des compétitions FIFA, à savoir 4 Coupes du Monde et 3 compétitions olympiques, nous avons seulement été confrontés à 4 cas positifs tandis que, durant les JO de Sydney, 27 cas positifs d’athlètes individuels étaient recensés « .

En clair : le football lave plus blanc que les autres sports ! Un footballeur n’a aucun intérêt à vouloir se doper et le dopage n’existe pas en football. En septembre 2006, Sepp Blatter, le président de la FIFA avait déjà commencé à enfoncer le clou en déclarant que  » la pratique du dopage dans les sports collectifs en général n’existe pratiquement pas puisqu’elle ne serait d’aucune utilité « .

Des déclarations ridicules selon plusieurs médecins spécialisés dans la lutte contre le dopage tels que Jean-Pierre de Mondenard, auteur de plusieurs livres références comme Le dossier noir du dopage ou Le dictionnaire des substances et procédés dopants en pratique sportive.

De Mondenard :  » La lutte antidopage, c’est du marketing réalisé pour que le public continue de suivre le sport, que les politiques puissent dormir tranquillement et que les sportifs passent entre les mailles du filet. La politique est inefficace depuis 50 ans. Si une véritable volonté de débusquer les tricheurs existait, aucun coureur n’aurait pris le départ du dernier Tour de France « .

Pour de Mondenard, des déclarations comme celles de Dvorak ou de Blatter relèvent de la plus pure ineptie :  » Le football est un sport de haut niveau où les qualités physiques dominent beaucoup plus que les qualités techniques. Un footballeur prendra des anabolisants pour lutter contre la douleur, pour prendre du muscle ou sauter plus haut. L’EPO lui servira pour terminer son match. Regardez Nicolas Anelka lors de la rencontre match France-Slovaquie. Je ne dis pas qu’il est dopé. Mais, en deuxième mi-temps, il était toujours aussi frais et capable de produire les mêmes accélérations « .

 » Seul deux types d’EPO sont décelables « 

Les tests antidopage sont pourtant nombreux. La FIFA se retranche derrière l’argument des résultats négatifs pour prétendre à grands cris que le football est un sport propre, si pas le plus propre. Encore faut-il analyser ce qui se cache derrière la politique de contrôle antidopage. La FIFA a longtemps misé sa stratégie de dépistage sur le test urinaire. En théorie, celui-ci est capable de détecter l’EPO et des substances comme les anabolisants. En théorie… Car dans la pratique, plusieurs rapports médicaux ont déjà mis en cause la fiabilité des tests. Les tricheurs ont depuis longtemps acquis un temps d’avance sur la recherche. Face au danger, le sportif qui se dope est comme un animal qui s’adapte au risque et change ses habitudes. L’EPO est décelable dans les urines ? Pas de problème. Au lieu de fonctionner par grosses doses, les tricheurs s’injectent des doses moins importantes et donc moins longtemps décelables dans l’organisme. Pareil pour les gels et les patches de testostérone qui sont à peine détectables pendant quelques heures.

 » Il y a assez d’arguments pour affirmer que la lutte antidopage, c’est du bidon « , explique Jean-Pierre de Mondenard.  » Premièrement, dans les produits dopants, il y a toujours des substances qu’on ne connaît pas encore et qui sont donc indécelables. Ensuite, il y a des substances dopantes qu’on connaît mais qu’on ne sait pas encore déceler. L’hormone de croissance, la CTH ou l’EPO générique par exemple. En tout cas, le test urinaire ne détecte que deux types d’EPO… « 

Football, médicaments et dopage

La question du dopage par transfusion de sang demeure aussi. Les transfusions homologues (par le sang réoxygéné d’un donneur du même groupe, comme l’exemple de Vinokourov) sont décelables par un test sanguin… que la FIFA n’a jamais pratiqué, sauf durant la Coupe du Monde 2002 avant de l’abandonner. Alors que ce type de dopage est attesté depuis les années 70 (voir le cadre et les déclarations de Franz Beckenbauer), Jiri Dvorak, toujours lui, déclarait lors du Mondial 2006 :  » Nous considérons la probabilité de cette pratique dans le football tellement faible que ce serait une perte de temps, d’argent et d’énergie que de faire des contrôles sanguins « .

L’exemple de Johnny Hallyday suivant les conseils de Zidane ou celui d’Antonio Conte et d’Alessio Tacchinardi, convaincus de dopage à la transfusion sanguine lors du procès de la Juventus (voir cadre) sont pourtant des faits avérés.

 » Et puis, il y a la transfusion autologue, celle qu’on réalise avec son propre sang réoxygéné. Une forme de dopage impossible à déceler « , explique Jean-Pierre de Mondenard. Une pratique n’est toutefois pas sans risques : il y a quelques années, un jeune footballeur de Turnhout était décédé après qu’un médecin ait joué à l’apprenti sorcier en tentant de lui réoxygéner le sang…

Dans certains cas, pas besoin de franchir les frontières. Certains médecins prescrivent des médicaments border line, à savoir des produits équivalents à du dopage mais qui ne figurent pas dans la liste des substances interdites, le Neoton par exemple. Ce produit est devenu célèbre depuis la finale de la Coupe de l’UEFA entre Parme et Marseille en 1999. Une vidéo montra le défenseur Fabio Cannavaro s’en injecter via perfusion.

De Mondenard :  » Le Neoton est un produit notamment utilisé pour la réanimation cardiaque. Il est prescrit à des gens qui ont subi un infarctus. Si Cannavaro doit effectivement prendre ce produit pour sa santé, c’est qu’il est cardiaque. Alors il ne doit pas disputer la finale. Ce que fait Cannavaro est clairement une conduite dopante car il consomme des médicaments sans raison valable « .

Les tests négatifs ne prouvent rien

Dans tous les sports, on peut distinguer deux types de dopage : celui pendant les compétitions et celui hors compétitions. Le premier type permet à un sportif de récupérer plus facilement d’un effort ou d’une défaillance. Exemple ? Floyd Landis. Au Tour 2006, l’Américain écrase l’étape de Morzine après avoir s’être littéralement écroulé la veille. Par la suite, on détecte un taux anormal de testostérone. Les contrôles après une étape ou un match de football ont pour but de traquer ce type de tricherie.

Quant au dopage hors compétition, il consiste pour un sportif d’utiliser des produits à l’entraînement qui disparaissent après un certain temps mais produisent de l’effet sur le long terme. Conséquence : l’athlète arrive en forme pour la compétition et en apparence propre. C’est pour lutter contre ces pratiques que les instances ont mis en place des contrôles inopinés. Si le cyclisme connaît actuellement une période noire, c’est justement parce que les tests à l’improviste repèrent de plus en plus de tricheurs. Par exemple, durant le dernier Tour de France, 211 contrôles sanguins inopinés ont eu lieu entre le samedi 7 juillet, jour du départ et le mardi 24, jour de l’étape de repos à Pau. En comparaison, l’UEFA est fière d’annoncer avoir procédé à…51 tests inopinés pendant un an sur les 32 équipes de la dernière Ligue des Champions. Et seule l’urine a été prélevée…

Pour justifier l’absence de tests inopinés, l’excuse de la FIFA a longtemps été la suivante :  » Les contrôles en dehors des compétitions n’ont pas été réalisés dans le football, principalement parce que le joueur professionnel est en compétition pendant presque l’année entière, excepté les brèves pauses saisonnières ou en se remettant après de graves blessures « .

Donc pas parce qu’on avait la preuve scientifique que le footballeur ne se dopait pas. Mais parce qu’on supposait que le footballeur n’avait pas de raisons de tricher. La même excuse encore et toujours utilisée.

 » Seuls des contrôles inopinés peuvent mettre la pression sur les athlètes et changer quelque chose « , affirme pourtant Jean-Pierre de Mondenard.  » Le reste, c’est une vaste mascarade, une hypocrisie à vaste échelle. Il faut être soit maladroit ou stupide pour se faire prendre en pleine compétition. Les contrôles pendant les compétitions sont juste une façon de labelliser les athlètes. Un footballeur ou un athlète suspecté avancera toujours l’argument suivant : – J’ai été contrôlé des dizaines ou des centaines de fois et on n’a rien trouvé. Donc je ne me dope pas. Mais quand un athlète ou un dirigeant parle de la sorte, c’est un faux argument. On utilise paradoxalement des tests négatifs pour dire qu’on maîtrise la situation alors qu’on ne maîtrise rien du tout. Les tests ne valent rien ! A aucun moment, on ne peut affirmer qu’une compétition est propre « .

Peu de raisons d’espérer

Pendant longtemps, la FIFA a ignoré les consignes de l’Agence Mondiale Antidopage (AMA). Les dirigeants organisaient les tests et donnaient les sanctions comme ils l’entendaient. En 2001, Edgar Davids est contrôlé positif à la nandrolone : le Hollandais prend cinq mois de suspension. Pour le même délit, le tennisman Guillermo Coria est suspendu 2 ans par l’AMA. Mais, depuis un an, la FIFA s’est alignée sur les principes de l’AMA. Cela n’a pas été sans heurts : il a fallu que l’agence mondiale menace d’exclure le football des prochains Jeux Olympiques. La FIFA est donc tenue d’appliquer une politique plus stricte.

Fin juin, le président de l’UEFA Michel Platini a heureusement déclaré que des tests sanguins seraient effectués lors de l’EURO 2008 en Suisse et en Autriche. Mais le retard est grand. A l’heure où des spécialistes s’interrogent sur la pertinence des tests, de nouveaux produits et de nouvelles techniques apparaissent sur le marché. Le moyen de tricher de demain ? Le dopage génétique qui modifie le patrimoine génétique d’un athlète pour augmenter ses performances.

En 2004, Gérard Dine, autre médecin spécialiste du dopage, s’exprimait de la sorte :  » Les fédérations sportives nationales ou internationales n’ont pas les moyens humains, scientifiques et technologiques de faire face à ce dopage biotech, qui dépasse leurs compétences. Il faut passer d’un dépistage a posteriori à un concept de traçabilité permanente, avant et après les épreuves, avec des contrôles toxicologiques, inopinés et obligatoires, sur les cheveux, les poils, le sang et les urines « .

Trois ans plus tard, ce constat est toujours valable. Pas grand-chose n’a changé. Les braconniers gardent une longueur d’avance sur les gardes-chasses. Et rien ne permet d’affirmer que la situation va changer.

par simon barzyczak

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