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« Le Mémorial doit être une apothéose »

Revenu au meilleur de leur forme au moment idoine, les frères Borlée ont fait le plein de confiance au Championnat d’Europe de Berlin. Et confirmé que le moteur de l’athlétisme belge avait encore de beaux restes. Et même un appétit certain.

Les années qui passent ne donnent pas vraiment l’impression d’avoir une quelconque influence sur les frères Borlée. Peut-être parce que les résultats ne sont pas leurs seuls moteurs. Sans doute par ce qu’ils se soucient avant tout de ce qu’ils pensent d’eux-mêmes et moins de ce que l’on peut penser d’eux.

Et certainement parce qu’ils ont appris à relativiser tout ce qui a pu leur arriver, en bien ou en mal, ces dernières saisons. Ainsi va la vie quand on court depuis plus de dix ans derrière son rêve.

Au sortir d’une saison éprouvante à tous points de vue, avec quelles ambitions vous présenterez-vous ce vendredi au Mémorial Van Damme ?

Kevin Borlée : On sera là avant tout pour profiter. Cela ne veut pas dire qu’on n’a pas continué à s’entraîner, après Berlin, mais les championnats étant réussis, il y a logiquement une décompression énorme qui s’est installée ces derniers jours.

Dylan Borlée : Personnellement, j’ai eu une longue saison, donc je suis vraiment fatigué. Cela ne m’empêche pas d’avoir envie de bien faire, mais sans me mettre trop de pression. Ce qui est sûr, c’est qu’on voudra prendre du plaisir. Et on verra bien ce que ça donnera en termes de performance.

Jonathan Borlée : Oui, l’idée, c’est clairement de faire de cette soirée une apothéose plus qu’autre chose.

 » On avait besoin des résultats de Berlin  »

Kevin et Dylan, c’est sur la piste du Mémorial que vous avez battu votre record personnel. Dylan, c’est aussi là qu’en 2016 vous avez battu pour la première fois Kevin. Ça reste donc, on l’imagine, toujours particulier de courir à Bruxelles ?

KB : Oui, mais c’est surtout parce que grâce à son design, c’est une piste très rapide. C’est quand même ici que Yohan Blake a fait le deuxième meilleur temps de l’histoire sur 200 m ( 19,26 sec, en 2011, ndlr).

JB : Pour autant, il ne faut pas s’attendre à des miracles. Chaque année, c’est la même chose. Le Mémorial est placé tellement tard dans la saison que le pic de forme est déjà passé. On ne l’aborde donc jamais avec des objectifs de records. À la limite, on essaie surtout de ne pas s’effondrer.

La médaille d’or dans le relais à Berlin, votre podium à vous, Jonathan et Kevin, en individuel, c’était l’adjuvant mental qu’il vous faillait pour aborder la préparation pour les Jeux de Tokyo avec la niaque requise ?

JB : C’était important, oui, parce qu’à force de se prendre des claques, à un moment, on aurait fini par avoir envie d’arrêter. C’est toute l’importance de voir un résultat ou un objectif se réaliser. Il y a beaucoup de gens que j’admire pour leur capacité à garder cette envie extrême de performer malgré les désillusions.

Ce n’est pas toujours facile et c’est peut-être même le plus dur dans notre métier. Avec les années compliquées qu’on a derrière nous, on avait besoin de résultats comme ceux-là pour remplir à nouveau cette jauge de motivation si importante.

DB : C’est sûr que si on s’était tous plantés cette fois-ci, mentalement ça aurait été dur de repartir dans deux mois à l’entraînement. Là, on va pouvoir prendre un bon break, bien en profiter et repartir à bloc.

 » Performer à 30 ans, c’est plus beau qu’à 20  »

Reste que pour toi, Jonathan, cette première médaille individuelle à Berlin, ça doit être un soulagement immense. Ça devait te démanger de montrer que tu pouvais répondre présent au meilleur moment, dans une grande finale ?

KB : Lui demander ça, c’est faire comme s’il n’avait jamais performé en finale. En 2009, il gagne quand même le championnat américain. Prenez aussi la finale des Mondiaux à Moscou en 2013, il y fait son deuxième chrono de tous les temps ( 44,54 sec, ndlr) au couloir 8.

Malheureusement, ce jour-là, il y en a trois qui courent plus vite. On ne gère pas toujours la concurrence. Moi, je n’étais même pas en finale cette fois-là.

JB : C’est toujours bon de réussir à sortir la course qu’il faut au bon moment. Et c’est peut-être encore plus beau de le faire à 30 ans qu’à 20 ans parce qu’il n’y a plus cette insouciance que tu peux avoir plus jeune. À 20 ans, on se met dans les blocks, on court, on enchaîne. À la limite, on ne réfléchit pas. Ici, c’est beaucoup plus le succès de la réflexion, de la maturité.

DB : C’est marrant, moi, l’insouciance des débuts, je ne l’ai jamais connue. J’ai toujours su ce que c’était un  » chrono « . Je n’ai pas pu commencer le 400 en me disant :  » on verra bien ce que ça va donner « . Je connaissais déjà trop de choses pour ça.

Ça m’a certainement aidé de grandir avec deux athlètes du top mondial, mais je regrette parfois de ne pas avoir pu découvrir certaines choses par moi-même.

 » On est tous les trois introvertis  »

Jonathan et Kevin, beaucoup ont été surpris de vos réactions mitigées en demi après vos qualifications respectives pour la finale du 400. Pourtant, vous sortez des chronos canon (45,07 pour Kevin, 44,87 pour Jonathan) et matérialisez du même coup ce regain de forme qu’on sentait venir. Si vous n’êtes pas dans l’euphorie, c’est parce qu’il manque Dylan ?

JB : Il y a plusieurs choses qui expliquent cela. La première, c’est simplement qu’on a tous les trois des personnalités assez introverties, pas trop du genre à faire les beaux dans les médias. Et puis, c’est sûr qu’on avait envie d’être à trois en finale. Même si Dylan a fait un super championnat, on sait qu’il avait envie de plus. C’est un de nos points faibles. On s’entraide tous les jours et ça nous pousse. Mais quand l’un de nous est un peu moins bien, c’est d’autant plus difficile à gérer.

KB : Oui, et le concept de l’interview après un 400 m, c’est quelque chose aussi…

DB : Moi, je ne regrette rien. J’ai tenté un truc en demi en partant vite, mais j’étais obligé de le faire. Avoir trois Belges en finale, ça aurait été un truc de fou, mais alors trois frères, rendez-vous compte, ça aurait été dingue. C’est pour ça qu’on était déçu.

Ce caractère introverti qui vous définit tous les trois, ce n’est pas tellement dans la mouvance d’un athlétisme en recherche de leaders charismatiques capables de faire le show à la Bolt ou à la Pierre-Ambroise Bosse, dans un autre style. On a souvent une impression de retenue chez vous…

DB : Les coureurs de 400, en général, ils ne font pas trop le show avant la course. Parce que tu ne sais jamais comment tu vas réagir à la dernière ligne droite. Mais c’est vrai qu’on nous a déjà dit qu’après une victoire, on ne donnait pas toujours l’impression d’être content. On l’est pourtant, mais on ne le montre peut-être pas assez au public. Ce n’est pas intentionnel, c’est juste notre caractère. Mais rassurez-vous, on n’est pas des moines, non plus, on sait faire la fête.

 » Sacoor n’avait rien à perdre  »

JB : On ne lève pas les bras pendant 20 minutes, mais on sait se réjouir. Ce qui est vrai, c’est qu’on est tous les trois des éternels insatisfaits.

DB : Parfois, on est peut-être trop dur avec nous même, c’est vrai. Et je remarque que depuis que je suis rentré de Berlin, je ne parle déjà que du futur, rarement de la médaille.

Tout le monde était évidemment conscient de votre potentiel, pas forcément de celui de Jonathan Sacoor. Vous avez été surpris par sa performance, notamment lors de la finale du relais ?

JB : Surpris, non, parce qu’on connaît tous sa maturité. Tous les trois, on se doutait qu’il n’était pas du genre à passer à côté de sa finale. Après, ne faisons pas l’erreur de le brûler trop vite. Je connais des athlètes qui, à 15 ans, couraient en 45 secondes.

D’autres courent en 49 secondes au même âge et sont dans les 44 secondes 4 ans plus tard. Donc, tout ce qu’on peut dire à ce stade-ci, c’est qu’il est bien entouré et qu’il court vite. C’est déjà pas mal (il rit).

KB : On ne connaît pas les équipes quand on définit l’ordre des coureurs. On ne savait donc pas qu’il se retrouverait face à Hudson-Smith, mais à la limite, c’est ce qui pouvait lui arriver de mieux dans le sens où il n’avait rien à perdre.

DB : D’autant qu’on savait qu’on pouvait le mettre en bonne position avant ça pour qu’il aborde son relais dans les meilleures circonstances.

 » Une année sabbatique, c’est pas évident  »

Quand Kevin prend le relais en deuxième position derrière l’Espagnol, vous étiez conscients de ce qui allait se passer ?

DB : Moi, j’étais certain qu’il allait remonter quand j’ai vu l’Espagnol partir comme une flèche.

JB : On avait tous conscience qu’il était parti beaucoup trop vite, mais il y a toujours un doute. On sait que lui ne va pas tenir, mais on ne sait pas comme Kevin va réagir avec plusieurs courses dans les jambes.

KB : Je ne me suis pas dit que j’allais le bouffer. Sinon, j’aurais fait ce que l’Espagnol a fait : une connerie. Moi, j’ai fait ma course, sans penser à rien d’autre. Heureusement quand même qu’à 30 ans, j’arrive à prendre les bonnes décisions (il rit).

JB : C’était très risqué de la part des Espagnols de mettre un mec qui n’a pas l’habitude du relais en dernière position. Partir si vite sur un 400, c’est du rarement vu, franchement. Mais honnêtement, je pense que même s’il avait couru différemment, Kevin l’aurait battu dans la dernière ligne droite.

Nafissatou Thiam a évoqué l’idée de prendre une année sabbatique après les Jeux de Tokyo. C’est un concept qui ne vous a jamais effleuré l’esprit ?

KB : On a quand même bien freiné après 2016. On avait besoin de changer d’approche au niveau de l’entraînement. Mais ce n’est pas toujours simple en athlétisme de prendre une vraie année sabbatique.

JB : À la limite, c’est la chance que certains athlètes ont à un moment en se blessant. Évidemment, sur le moment, c’est très frustrant, mais ça permet parfois au corps de se régénérer et de repartir avec un mental d’acier pour les saisons d’après. Nous, finalement, cette fois-ci, ce sont les médailles qui nous serviront de boost en vue de Tokyo. On ne va pas s’en plaindre.

Une performance de choix au Championnat d'Europe, avec Jonathan Sacoor comme quatrième homme cette fois.
Une performance de choix au Championnat d’Europe, avec Jonathan Sacoor comme quatrième homme cette fois.© BELGAIMAGE-ERIC LALMAND

 » On ne facilite pas la création en Belgique  »

L’éclosion d’un Jonathan Sacoor, c’est l’un des premiers fruits du travail d’influence que vous avez effectué depuis une décennie maintenant sur l’athlétisme en Belgique. C’est une fierté pour vous de voir que c’est un peu grâce à vous qu’un gars comme ça s’est tourné vers le 400 ?

Jonathan Borlée :Nous, on aurait tendance à dire que ça a commencé avec Cédric Van Branteghem. Ce qui est sûr, c’est que ce succès, c’est la réussite d’un projet, celui du relais en l’occurrence. Ce n’est pas étonnant vu les performances du 4×400, de voir de jeunes athlètes avoir envie de se tourner vers le 400 plutôt que le 100 ou le 200. Ils viennent parce qu’ils ont envie de faire partie d’un projet. C’est la base.

Kevin Borlée : À l’époque de Cédric, des 49 secondes passaient en finale. On pouvait monter sur le podium avec un 48 sec. Ça, ce n’est plus possible aujourd’hui. Ce n’est pas parce qu’il y a les Borlée que les gamins courent plus vite, c’est parce qu’il y a un projet. Et celui-ci ne doit pas reposer sur des individualités. Ça peut bien sûr aller dans les deux sens, mais si on veut avoir une vraie densité dans l’athlétisme en Belgique, il faut que, majoritairement, ce soient les projets qui servent l’athlète, pas l’inverse.

Jonathan Borlée : C’est aussi vrai en gymnastique. Ils ont créé une équipe et on a vu que ça a rendu toutes les filles meilleures. En Belgique, on aime bien attendre les résultats pour se bouger. Non, il faut se bouger pour avoir des résultats. C’est cette mentalité-là qu’il faut changer.

À cet égard, la création d’un relais féminin sur 400 ne peut être qu’un nouvel accélérateur de performances…

JB : Encore une fois, c’est un projet qui vient de l’extérieur. Mais, elles se sont battues et y sont arrivées. Chapeau à elles, mais ça prouve qu’on ne facilite pas la création en Belgique.

KB : Le projet du 4X400 masculin, c’est la même chose. C’est à l’initiative de Cédric Van Branteghem, Patrick Himschoot et notre père qu’il est né à l’époque. Je me souviens qu’ils ont dû pousser pour envoyer une équipe en Coupe d’Europe en 2006 et c’est seulement là que la fédé a vu le potentiel. La suite allait prouver que les meilleures idées viennent trop souvent de l’extérieur.

JB : J’aimerais bien m’investir un jour pour aider les jeunes à sortir de ces difficultés propres au sport en Belgique. Mais j’aurai vraiment envie de le faire quand la première question qu’on me posera, ce ne sera plus quelle langue je parle, mais quelles sont mes compétences. Mon père l’a rappelé dernièrement, mais je crois que ce serait vraiment une bonne chose de fédéraliser à nouveau le sport pour augmenter les moyens et travailler avec les meilleurs.

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