» Le meilleur pilote mondial est peut- être taximan »

 » Je reste chez McLaren mais il y a très peu de chances que je roule en F1 l’année prochaine « , observe Stoffel Vandoorne (23), qui ne perd pas complètement espoir pour autant.

Le rideau sur la saison de sport automobile est tombé le week-end dernier mais les quelques sièges vacants en vue du prochain exercice sont pour ainsi dire déjà attribués. Max Verstappen, 17 ans, deviendra le plus jeune pilote F1 de l’histoire. Le Hollandais, né à… Hasselt, remplacera au sein de l’écurie Toro Rosso Daniil Kvyat, qui sera chargé de faire oublier Sebastian Vettel chez Red Bull. Le quadruple champion du monde allemand passe en effet chez Ferrari, où Fernando Alonso, poussé vers la porte de sortie, est de plus en plus cité chez McLaren, l’écurie de… StoffelVandoorne.

 » En principe, je reste mais il y a très peu de chances que je roule en F1 l’année prochaine « , dit Vandoorne.  » Je devrais donc refaire une saison en GP2 Series. Je suis sans doute un des meilleurs jeunes pilotes mais cela ne veut pas dire que je roulerai un jour au plus haut niveau. C’est impossible à dire et ça ne me préoccupe guère. J’essaye de me concentrer sur mon métier, de rouler le plus vite possible et de remporter un maximum de courses. La seule chose que je maîtrise, ce sont les résultats mais ils ne garantissent absolument rien. C’est peut-être dommage ou ennuyeux mais ça fait partie du jeu.  »

Cette année, le jeune pilote de Rumbeke (22 ans) a fait la navette entre Wolking, où est établi le McLaren Technology Centre, et Villeneuve-la-Guyard, au sud-est de Paris, le quartier général d’ART Grand Prix.  » J’ai beaucoup appris, ce fut certainement l’année la plus difficile de ma carrière, surtout sur le plan technique. Heureusement, mes études d’électromécanique m’ont permis d’avoir de bonnes bases et ça m’a aidé.  » (voir encadré).

 » En début de saison, ART a connu des problèmes d’équilibrage et j’ai dû transmettre aux ingénieurs la sensation que j’avais dans la voiture. C’est très important, surtout en F1, où chaque détail technique compte. Tout le monde peut rouler en voiture mais il faut aussi pouvoir collaborer avec les ingénieurs et le team. Au cours des dernières années, je n’avais pas toujours les meilleurs pilotes à mes côtés et je devais donc veiller à bien m’entourer. McLaren et ART sont-ils satisfaits de mes services ? Je le pense, sans quoi ils m’auraient déjà viré. Car c’est un monde impitoyable.  »

Le kart, une passion

La vie de Stoffel Vandoorne ressemble à un conte de fées. Fils de Patrick Vandoorne et Marleen Delabie, il a grandi à Rumbeke, un village de la commune de Roulers.  » Quand j’étais petit, j’ai fait un peu de tout puis, à six ans, j’ai été fasciné en découvrant un karting indoor « , dit-il. Un hasard car c’est son père qui avait dessiné les plans du Flanders Indoor Karting de Courtrai et le propriétaire, Joost Boxoen, avait autorisé le petit Stoffel à faire quelques tours.  » Ce fut le coup de foudre « , dit-il.

Ceux qui le virent à l’oeuvre ne tardèrent pas à remarquer qu’il avait du talent, même s’ils durent adapter les pédales à ses petites jambes. De plus, il avait envie d’apprendre. A chaque tour, il recherchait la meilleure trajectoire et demandait dans quel domaine il pouvait progresser. Pour la plupart des enfants, le kart est un divertissement mais pour Vandoorne, c’était une passion à laquelle il consacrait tout son temps libre.  » Je ne connaissais rien de plus chouette « , dit-il.

Très vite, il disputa ses premières courses, remporta ses premiers succès, pris part à ses premières 24 heures. Mais il lui fallut du temps avant de passer au kart outdoor.  » Le niveau y est beaucoup plus élevé et j’avais déjà 15 ans lorsque j’ai participé à ma première compétition sur un circuit en plein air, alors que la plupart des autres pilotes avaient débuté bien plus jeunes. Mais nous n’avions pas les moyens et je devais donc rester à l’intérieur.  »

Lorsqu’il finit par franchir le pas, en 2008, il est immédiatement sacré champion de Belgique KF2. Et l’année suivante, il est vice-champion du monde. A 17 ans, il est obligé de faire un choix : ou il signe un contrat de pilote d’usine avec un team de karting ( » Ce qui m’aurait rapporté un peu d’argent « ) ou il s’engage avec le Royal Automobile Club de Belgique (RACB) qui finance sa saison en F4 Eurocup 1.6, la catégorie la moins élevée des monoplaces.  » J’ai très longuement hésité « , dit-il.

Un apprentissage rapide

Mais cette décision fut déterminante pour la suite de votre carrière, non ?

StoffelVandoorne : Oui et non. Si je n’avais pas opté pour la F4, je serais devenu pilote d’usine et je le serais resté, il n’y aurait pas eu de suite. J’ai tout de même décidé d’essayer mais je me suis mis beaucoup de pression. Le RACB n’avait pas les moyens de financer l’étape suivante – la Formule Renault 2.0 – et je devais donc amasser un maximum de prize-money. J’étais obligé de faire des résultats, même si cette pression ne m’a jamais paralysé. Ce n’est d’ailleurs toujours pas le cas mais je n’ai guère le temps de gamberger, je suis toujours occupé. Avec la voiture, avec les ingénieurs, avec le team…

Pour vos débuts, en 2010, vous avez été champion en F4. Deux ans plus tard, vous l’emportiez en Formule Renault 2.0. Vous êtes-vous alors mis à rêver de F1 ?

Rêver… A ce moment-là, j’étais déjà en contact avec McLaren. Je sentais donc que j’avais une chance mais dans ce milieu, on peut difficilement tirer des plans sur la comète. Il faut suivre le mouvement… Mon intention était de gagner de l’argent grâce aux World Series by Renault, de façon à pouvoir chaque fois monter de catégorie. Jusqu’ici, j’y suis arrivé. Jusqu’à l’échelon inférieur à la F1, il est encore possible de définir sa trajectoire mais après, c’est fini. Cette victoire en 2.0 (il a terminé devant Daniil Kvyat, qui roulera pour Red Bull la saison prochaine, ndlr) m’a rapporté 500.000 euros, ce qui m’a permis de rouler pour une grande équipe – Fortec Motorsport – en Formule Renault 3.5.

Et là aussi, vous avez immédiatement terminé deuxième, derrière Kevin Magnussen. On peut dire que vous apprenez très vite.

Oui. JolyonPalmer, qui s’est imposé dans ma catégorie cette saison, en était déjà à sa quatrième année en GP2 Series. La première année, il n’avait pas pris le moindre point alors que j’ai lutté avec les meilleurs dès la première course. Tous les coureurs n’ont pas cette capacité et c’est un atout important, surtout en F1, où il y a chaque année des changements au niveau technique, du moteur ou de l’aérodynamique. Il faut apprendre à connaître très rapidement la voiture, on n’a pas beaucoup de temps pour s’adapter.

Une question de philosophie

Ceux qui mettent trop de temps sont-ils irrémédiablement écartés ?

Dans mon cas, c’est différent car McLaren paye tout mais dans la plupart des teams, ce sont les pilotes qui payent leur volant. Ceux qui sont prêts à payer pendant quatre ans peuvent rester mais les autres pas. C’est comme ça que ça marche dans ce sport. C’est pour cela que de nombreux talents se perdent mais le nombre de places disponibles est limité. Il est donc très possible qu’en ce moment, le meilleur pilote du monde soit chauffeur de taxi. (il rit).

La saison prochaine, on retrouvera de nombreux jeunes pilotes en F1 : Max Verstappen (17) et Felipe Nasr (22) effectueront leurs débuts, Daniil Kvyat (20), Kevin Magnussen (22) et Marcus Ericsson (24) se verront accorder une nouvelle chance. C’est une tendance positive ?

Il y a une bonne levée et certaines équipes n’optent plus nécessairement pour des pilotes expérimentés mais c’est avant tout une question de philosophie. Red Bull et McLaren ont voulu former leurs propres pilotes, ce qui est une bonne chose. Et je sais que je ferais aussi bien que Kvyat. Si les équipes constatent que les jeunes obtiennent des résultats, elles auront envie de rajeunir les cadres.

Sam Michael, le directeur sportif de McLaren, déclarait l’an dernier qu’il ne suffisait pas d’être rapide, que son écurie ne recherchait pas seulement des pilotes d’essai mais des jeunes avec qui elle pouvait collaborer à long terme et qui pouvaient être un jour champions du monde. C’est mettre la barre très haut.

C’est leur philosophie. Ils ne soutiennent que quelques jeunes mais ils pensent qu’il s’agit de pilotes qui, un jour, monteront dans la voiture pour gagner.

En 2012, vous avez battu Kvyat en Formule Renault 2.0 mais l’an prochain, il entamera sa deuxième saison en F1. Ça ne vous fait pas mal ?

Je ne peux rien y faire. S’il n’y a pas de volant disponible… Seules quatre ou cinq écuries sont saines financièrement : McLaren, Mercedes, Red Bull et Ferrari. Les autres comptent sur l’apport de leurs pilotes. Si, demain, je débarque avec une somme de dix ou quinze millions d’euros, j’aurai de bonnes chances de rouler en F1. Mais je n’ai pas cet argent et je n’ai pas envie de payer.

A plus de 330 à l’heure

Vous voulez arriver en F1 uniquement sur base de votre talent ?

Cela me procurerait plus de satisfaction, en effet. Mais je n’y suis pas, hein.

Vous avez des modèles ?

Pas vraiment mais j’ai du respect pour de nombreux pilotes. Je sais combien le chemin est difficile et parsemé d’embûches. Les gens pensent que la F1, c’est juste du glamour mais c’est bien plus que seulement rouler en voiture. Dix-neuf Grands Prix en huit mois, des voyages incessants, des journées entières à discuter avec des ingénieurs et à s’asseoir dans un simulateur, des débriefings d’après-course, des obligations médiatiques et contractuelles…

Entre Sochi et Abu Dhabi, il n’y a pas eu de course pendant six semaines mais j’ai travaillé davantage pour le team F1. J’ai fait constamment l’aller-retour entre Paris et Wolking, où j’ai fait beaucoup de simulateur, j’ai fait du race support pendant les essais libres du GP d’Austin, j’ai testé des choses que les ingénieurs n’avaient pas le temps de tester sur circuit. Chaque journée était différente mais c’est aussi ce qui fait le charme de ce métier.

Est-ce un sport dangereux ?

Oui mais quand on est dans la voiture, on n’y pense pas. Ce ne serait pas bon pour les résultats (il rit). Il y a toujours des accidents mais la FIA a tout fait pour améliorer la sécurité. Cette année, j’ai piloté la voiture avec laquelle EmersonFittipaldi a été champion du monde en 1974. Le réservoir d’essence était à côté du pilote. Aujourd’hui, c’est impensable. Mais à l’époque, il y avait beaucoup d’ignorance tandis que nous avons grandi dans un univers où les mesures de sécurité sont importantes.

En mai dernier, à Barcelone, vous avez parcouru pour la première fois 136 tours dans un bolide de F1. Richard Goddard, votre manager, a dit que les ingénieurs avaient été impressionnés par votre prestation. Et vous ?

J’ai trouvé ça relativement normal mais j’avais été bien préparé sur le simulateur. Là, on peut faire des accidents, ça arrive à tous les pilotes. On peut prendre des risques, tester ses limites et même les dépasser (il rit). Ce fut une belle expérience. Pour la première fois de ma vie, j’ai roulé à plus de 330 km/h. De la puissance pure même si, question vitesse, la différence avec les GP2 Series n’est pas si importante. Nous roulons également à plus de 300 km/h.

Cette vie vous plaît ?

Absolument ! Je fais ce que j’aime, peu de gens peuvent en dire autant.

PAR CHRIS TETAERT

 » Si demain, je débarque avec une somme de dix ou quinze millions d’euros, j’aurai de bonnes chances de rouler en F1.  »

 » Jusqu’à l’échelon inférieur à la F1, il est encore possible de définir sa trajectoire. Après, c’est terminé.  »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire