LE MAUVAIS FILM

Ce qu’on ne savait pas sur la drôle de saison des Rouches, du départ cochonné jusqu’au match catastrophique du week-end passé à Malines. Plongée dans les coulisses, états d’âme, confidences, révélations sur des moments clés, indiscrétions de vestiaire, matches références. Une reconstruction.

Dès le mois d’août, ça s’anime. Comme s’il était écrit que le Standard vivrait une saison chahutée. Il y a la présence régulière d’EricGerets en tribune officielle. Slavo Muslin ne veut pas trop en parler mais on remarque bien que ça le gonfle. Et il y a un gros boulot pour le service communication. Olivier Smeets, son responsable, témoigne :  » Gerets n’avait aucun lien officiel avec le club, il venait simplement en spectateur, mais on recevait quand même des demandes d’interview. Dès le départ, il a été clair : il ne voulait pas s’exprimer. A ceux qui insistaient, on signalait qu’il n’y avait aucune raison pour que le Standard gère la communication d’Eric Gerets ! On ne passe quand même plus par nous pour demander une interview de Philippe Léonard ou de Vedran Runje…  »

C’est quand même via le club que l’icône finira par s’exprimer publiquement. A l’occasion d’un meeting de la CCI, la chambre de commerce qui regroupe près de 2.000 entreprises dans les régions de Liège, Namur et Verviers. La CCI organise chaque mois une rencontre au stade du Standard et va d’ailleurs y installer ses bureaux prochainement. Fin janvier, c’est la rencontre de Michel Lecomte et Eric Gerets. Ce soir-là, le Lion de Rekem se déboutonne enfin et évoque son avenir.  » Mon rêve ultime était d’entraîner le Standard.  » Mais ce n’est plus possible.  » Il a avoué que ses soucis de santé l’en empêchaient « , se souvient Olivier Smeets.  » Il a dit qu’il devait choisir entre d’un côté entraîner le Standard et risquer des problèmes encore plus sérieux, de l’autre s’accorder le droit de bien vivre quelques années de plus !  » Rideau sur le vieux rêve de tout un stade.

POUR ÉRIC DEFLANDRE, UN COUP DE FIL PUIS DES EXCUSES

Jeudi 27 août : Standard – Molde, 3-1 mais l’Europe, c’est déjà fini pour cette saison. Vendredi matin : décrassage avec Muslin. Vendredi 14 heures : la direction appelle EricDeflandre. Il se souvient :  » On m’a dit que Slavo Muslin avait été licencié et on me demandait d’assurer l’intérim. C’était une idée commune de Bruno Venanzi, Bob Claes et Axel Lawarée. Je n’étais pas très motivé. Je n’avais pas rejoint le staff avec l’ambition de devenir T1 dans un futur proche. Mais j’ai réagi comme un employé du club. On a bien convenu qu’il y aurait très vite un remplaçant. Mais là, il y avait urgence, on jouait à Bruges le dimanche.  »

L’ancien Diable appelle Muslin.  » Je lui ai dit que ça avait été un vrai plaisir de travailler avec lui.  » Le samedi, il doit directement regonfler les joueurs.  » Je leur ai dit un truc du style : -On vient de prendre une grosse claque, maintenant il faut rebondir. Je sentais du respect par rapport à moi. On avait juste un entraînement pour préparer Bruges, on a surtout travaillé le bloc défensif et la finition. Ce match, finalement, je ne le sentais pas trop mal.  » Verdict : 7-1.  » J’en ai été malade pendant deux jours. Le week-end suivant, il n’y avait toujours pas de nouveau coach et pas de journée de championnat.

On est partis jouer un amical en Allemagne contre Duisburg. On a gagné, 3-1. C’était une équipe de D2, il n’y avait pas d’enjeu… mais ça m’a fait du bien au moral. Subitement, je me sentais déjà beaucoup mieux. En revenant vers Liège, je me suis dit que ce serait bien si je pouvais encore être coach pour le match suivant, chez nous, contre Lokeren. Si on avait pris les trois points avec moi comme T1, ça m’aurait évité de quitter ce job sur une mauvaise impression. Mais j’avais juste envie de rester en place pour ce rendez-vous. Pas plus loin.  »

Eric Deflandre finit sur cette confidence :  » Après Bruges, le club s’est excusé pour m’avoir lancé au feu dans une situation aussi compliquée. L’équipe avait raté son début de championnat, elle avait raté ses missions européennes, elle était vraiment malade. Ce n’était pas un cadeau.  »

 » ON EST LE STANDARD DE LIÈGE  »

Le Standard a perdu Slavo Muslin mais gagné Daniel Van Buyten, dont la future arrivée dans l’organigramme a été annoncée en direct à la télé par Bruno Venanzi, juste après le retour face à Molde. Les médias n’espèrent plus trop choper Gerets pour une interview mais ils voudraient maintenant Big Dan. Sans plus de succès. Aujourd’hui encore, il se fait désirer.  » On reçoit des demandes de partout « , signale Olivier Smeets.  » De Belgique, d’Angleterre, d’Allemagne, de France. On relaie vers lui mais il veut rester dans l’ombre. Il préfère que d’autres personnes s’expriment.  »

Lokeren, Gand, Louvain, Genk, Westerlo : un point sur quinze pour les débuts de Yannick Ferrera. Il y a le feu à la baraque. Feu rouche. Lanterne rouche. Rouches de honte. Déchaînement médiatique et gros titres qui font mal à Liège. Adrien Trebel revient aujourd’hui sur cette période historique :  » C’était un peu bizarre de rater tous ces matches alors que tout se passait si bien en semaine. Les entraînements étaient meilleurs qu’avec Muslin, le discours était clair et direct, il y avait une grosse envie de révolte.

Mais on n’arrivait toujours pas à prendre des points. Le coach a multiplié les entretiens individuels. Il revenait régulièrement avec les mêmes formules, style -Dominer n’est pas gagner ou -Un match de foot se gagne dans les deux rectangles ou encore -On est le Standard de Liège, on ne peut pas rester là. Encore une fois, ça peut paraître étonnant, mais ça n’a jamais paniqué dans le groupe. Il n’y avait pas d’abattement. Simplement une énorme déception.  »

Puis, il y a la victoire à Charleroi, qualifiée par certains, à l’époque, de victoire du hooliganisme.  » Quand tu gagnes un match comme celui-là alors que tu n’es pas bien du tout, c’est tout bon ça… « , continue Trebel. Cinq mois plus tard, Yannick Ferrera savoure toujours :  » C’était la première victoire en championnat depuis mon arrivée, la première victoire du nouveau Standard. C’est surtout la manière qui a fait du bien. Il faut bien prendre conscience que ce soir-là, les joueurs se sont battus jusqu’à la dernière minute comme des morts de faim.  »

 » OUILLE, QU’EST-CE QUE LES SUPPORTERS VONT NOUS FAIRE ?  »

C’est parti, du moins on croit que ça a définitivement décollé. Novembre : Standard – Anderlecht, 1-0. Décembre : Standard – Bruges, 2-0. En plus de qualifications en Coupe contre Saint-Trond et Courtrai.  » La victoire à Charleroi nous a complètement reboostés « , résume maintenant Matthieu Dossevi.  » Ce soir-là, on a eu comme un déclic : -Finalement, on est capables de battre tout le monde. Ça a ramené de la joie dans le groupe. Parce qu’au moment où on était à la dernière place, ce n’était plus du tout joyeux dans le vestiaire.

On s’entraînait dur et on n’arrivait pas à recopier le week-end, alors ça devenait très dur, physiquement et psychologiquement. On revenait de très loin et, après Charleroi, on s’est calés dans une spirale ascendante. Contre Anderlecht, c’était loin d’être parfait techniquement. Mais on osait déjà plus de choses que les semaines précédentes. Contre Bruges, c’était très bon à beaucoup de points de vue.  »

De la période très creuse, le Togolais retient aussi l’attitude du public.  » Quand j’ai signé ici, on m’a dit que les supporters du Standard étaient très chauds, très durs, très exigeants. Le soir où on s’est retrouvés à la dernière place, je me suis dit : -Ouille, ça va être de la folie, qu’est-ce qu’ils vont nous faire ? Mais ils ont été irréprochables, ils sont toujours restés derrière nous. Evidemment, il y avait des milliers de mécontents, mais c’étaient des gens fâchés qui restaient corrects. Ils ont joué un rôle dans notre redressement, c’est certain.  »

 » ON A RATÉ QUELQUE CHOSE ICI  »

Pour égayer début 2016, heureusement qu’il y a la qualification pour la finale de la Coupe. Parce qu’il y a aussi des couacs monstres. La gifle à domicile contre un Gand au sommet de son art à l’époque, passe encore. Par contre, des affronts contre Saint-Trond et Westerlo, ça ne passe plus du tout. On a rarement vu des Liégeois aussi défaits qu’au moment de quitter la Campine. Direction, staff, joueurs, tout le monde semblait avoir fait son deuil des play-offs 1. La position au classement et la lourdeur du calendrier restant, ça semblait décidément trop infernal.

Le directeur, BobClaes, revient sur l’état d’esprit de ce moment particulier.  » En remontant dans ma voiture, je me suis dit : -On a raté quelque chose ici. Ce match a été une illustration de notre côté volatile toute cette saison. A Lokeren, pour la reprise en janvier, c’était la première fois que j’avais vu un vrai bon match de foot du Standard, avec un vrai fonds de jeu.

Contre Saint-Trond et Westerlo, c’était complètement différent. Je peux te dire que, sur un plan très personnel, les deux défaites contre Saint-Trond m’ont fait encore plus mal que les autres. Je viens de cette région, j’ai pas mal d’amis là-bas et j’ai encore plus envie de gagner contre eux que contre d’autres adversaires… Alors, quand on fait un non-match pareil…  »

Mot d’ordre après Westerlo : calme dans la boutique.  » On devait rester derrière l’entraîneur et ne pas tomber dans la panique « , continue le directeur.  » Beaucoup de gens ont fait des calculs savants dès ce soir-là, on a évalué les chances qu’il nous restait de participer aux play-offs. Je n’ai jamais joué à ça, tellement il y a des scénarios possibles. Une centaine de nouveaux scénarios chaque week-end, peut-être…

Tout le monde pointait que le Standard n’avait plus son sort entre les mains, mais tout le monde devait quand même savoir que nos concurrents n’avaient aucune garantie de tout gagner jusqu’à la fin de la phase classique, quand même ? Dans mon esprit, rien n’était perdu après Westerlo. Je connais par coeur toutes les implications pour un club comme le Standard qui doit jouer les play-offs 2, la différence de recettes est énorme par rapport aux play-offs 1, mais je n’ai pas commencé à faire des pronostics financiers à ce moment-là.  »

 » ON A 90 MINUTES POUR RESTER VIVANTS  »

Olivier Renard débarque quatre jours après Westerlo. Et deux jours avant Charleroi.  » On a directement décidé que je ne ferais ma conférence de presse de présentation qu’après le match contre Charleroi. Il fallait consacrer toute l’énergie au derby wallon. Finalement, la gifle à Westerlo a peut-être été une bonne chose. Elle a peut-être réveillé le groupe pour la dernière ligne droite. Il y a clairement eu une réaction d’orgueil de joueurs qui se sont dit : -Ne pas prendre un point contre Saint-Trond et Westerlo, c’est inadmissible.

Je crois aussi que le fait d’affronter Charleroi à ce moment-là était une bonne chose. J’ai l’impression que les joueurs ne pensaient plus trop au classement mais se focalisaient plutôt sur la rivalité entre les deux clubs. Idem pour le match suivant à Anderlecht. Ils savaient qu’après Saint-Trond et Westerlo, les supporters n’allaient pas accepter des nouvelles défaites contre les deux ennemis jurés.  »

Après le 3-0 bien tassé face aux Zèbres, il faut encore aller à Anderlecht. Et carrément y prendre trois points pour entretenir la flamme. Ça se prépare comment, un clasico qu’il faut gagner ?…  » J’ai tenu le même discours avant Charleroi, Anderlecht, Genk et Malines « , raconte Yannick Ferrera.  » Je leur ai dit : -Les gars, on a 90 minutes pour rester vivants. Dans 90 minutes, on saura si on vit encore. On ne peut pas changer le passé mais on peut écrire le futur. Une façon de leur faire comprendre que ça ne servait plus à rien de s’encombrer la tête avec tous les points perdus en chemin dans des matches soi-disant moins difficiles.

Les données étaient claires avant chaque match. Charleroi avait quatre points d’avance et pouvait nous éliminer définitivement chez nous. Genk voulait sa revanche après les matches de Coupe, et dans ce club, ils n’avaient pas oublié que le Standard les avait empêchés de participer aux plays-offs l’année dernière. Quand tu vas à Anderlecht, la motivation est évidemment naturelle. Mais bon, de la motivation, j’en ai vu tout au long de la saison. Je peux même te dire que la semaine avant Westerlo a été notre meilleure semaine d’entraînement depuis mon arrivée.

Simplement, il peut y avoir des faits de jeu, le brin de chance ou le coup de malchance, des décisions arbitrales qui font que tu réussis un résultat ou pas. A la mi-temps à Anderlecht, c’est 1-2 et on se dit qu’on est les plus forts, qu’on va tout donner, aller les chercher haut. Le fonds de jeu est excellent. Mais finalement, le nul est logique sur l’ensemble du match.  »

Olivier Renard fut un personnage remarqué du match décisif à Malines, le week-end passé. Au départ, il n’était pas prévu qu’il y soit d’office présent.  » Mais j’ai adapté mon scouting pour pouvoir y assister. Et montrer que je suis droit dans mes bottes. Que je n’ai pas peur des réactions. Je n’ai pas quitté Malines pour aller au Standard, j’ai quitté Malines parce que j’estimais que je devais partir. Ma décision était prise depuis le premier match de janvier.  »

 » On était prévenus de ce qui nous attendait à Malines « , lâche Yannick Ferrera après la déroute.  » On termine à la septième place, on mérite malheureusement d’être là. Ce match est à l’image de notre saison, on a su être très forts à certains moments et on a manqué de constance à d’autres. En étant aussi inconstant, tu ne peux pas espérer beaucoup mieux.  » En remontant dans le bus, les Rouches signalaient qu’ils étaient déjà focalisés sur la finale de la Coupe. Il faudra être meilleur que la meilleure équipe du pays pour éviter que cette saison se finisse sur un flop absolu.

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Eric Gerets a dit qu’il devait choisir entre, d’un côté, entraîner le Standard et risquer des problèmes de santé encore plus sérieux et, de l’autre, s’accorder le droit de bien vivre quelques années de plus !  » – OLIVIER SMEETS, RESPONSABLE COMMUNICATION

 » On s’entraînait dur et on n’arrivait pas à recopier le week-end. Il n’y avait plus de joie dans le vestiaire.  » – MATTHIEU DOSSEVI

 » Contre Charleroi et Anderlecht, les joueurs ne pensaient plus trop au classement, plutôt à la rivalité avec ces deux clubs.  » – OLIVIER RENARD

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