LE MASSACRE

Les scouts belges sont revenus soulagés d’Allemagne. Comme la Pologne, la Serbie a cruellement déçu au Mondial. En cause, trop de tensions et de mollesse.

S avo Milosevic, l’avant géant d’Osasuna, capitaine de l’équipe nationale serbe, a été clair avant le deuxième match de la Serbie. Les supporters argentins étaient prévenus. Si la Serbie & Monténégro voulait survire au premier tour, elle devait se battre pied à pied à Gelsenkirchen.  » Ce sera à la vie, à la mort « .

Par rapport au premier match, contre les Pays-Bas, scellé par une défaite 1-0, Ilija Petkovic avait modifié son équipe à deux places. Pendant une semaine, la presse avait mené une virulente polémique à propos du flanc droit. Contre les Pays-Bas, Petrovic y avait posté Nenad Djordevic au détriment d’ Ognjen Koroman. Selon les journalistes, cette option défensive n’avait pas fonctionné, Djordevic n’ayant pu neutraliser ArjenRobben. Ce n’est qu’à l’entrée au jeu de Koroman que l’équipe avait rétabli l’équilibre. Plus le sélectionneur s’échinait à expliquer que ce n’était pas là que le bât avait blessé, plus les journalistes affûtaient leurs plumes. Finalement, Petrovic a cédé face aux critiques. Koroman a été titularisé contre l’Argentine. Le deuxième changement n’était pas prévu : Ivica Dragutinovic a déclaré forfait après l’échauffement. Une catastrophe car la sélection ne compte pas de véritable alternative à gauche, hormis Mladen Krstajic. Celui-ci a certes joué à domicile à Gelsenkirchen mais il est meilleur dans un poste central. Donc, cette défense serbe si solide, qui n’avait encaissé qu’un seul but en dix matches de qualifications, s’est écroulée. Et pour couronner le tout, durant la semaine, son meilleur défenseur axial, Nemanja Vidic, s’était blessé au genou. Or, Vidic avait été si impressionné au Spartak Moscou qu’en janvier passé, Manchester United l’avait embauché.

Ces changements n’ont rien valu de bon au sélectionneur, au point qu’à l’issue du match, il a déclaré n’avoir qu’un regret : avoir prêté attention à ses critiques, qui l’avaient soumis à une telle pression qu’il n’avait guère eu le choix. Or, ces personnes avaient oublié la façon dont la Serbie & Monténégro s’était qualifiée pour le Mondial : en soignant son organisation, qui n’avait été prise en défaut qu’à une seule reprise, par l’Espagne. Mais cela ne comptait plus, voilà qu’il fallait attaquer, contre les Pays-Bas puis, comme cela n’avait pas assez bien fonctionné à Leipzig, contre l’Argentine.

Champ de bataille

L’offensive s’est fait au détriment de l’organisation. Petrovic, qui avait participé au Mondial 1974 comme médian offensif, a bien dû constater qu’il y a une énorme différence entre les éliminatoires et un tournoi. Vendredi dernier, son organisation était plus que lacunaire. Sur le premier but de l’Argentine, tout le flanc droit a été balayé et Koroman, par-dessus le marché, n’a pas empêché son adversaire direct Maxi Rodriguez de foncer vers le but. La Serbie n’a pas réagi puis, à la 32e minute, l’Argentine a doublé le score, d’un but sublime, des £uvres d’ EstebanCambiasso. L’élaboration de ce but peut désormais figurer dans tous les DVD à destination des entraîneurs et des jeunes, en guise d’illustration sur la façon de jouer en un temps en possession du ballon et de réaliser une ou deux accélérations pour marquer. Le commentateur radio argentin situé derrière nous a parlé de 25 toques successives, des touches de balle. Il y eut plutôt 17 passes et nous avons rarement eu une telle envie de nous lever et d’applaudir la beauté d’une phase. Ce qui a suivi est typiquement yougoslave : plus la moindre agressivité, plus de double ligne défensive, plus de conviction dans les duels. DejanStankovic et Cie ont baissé les bras, comme en quarts de finale de l’EURO 2000 face aux Pays-Bas, qui étaient aussi nettement plus forts. A l’époque, le score final était de 6-1, cette fois, ce fut 6-0.

Le coach argentin, JoséPekerman, qui avait déjà retiré ses attaquants du match contre la Côte d’Ivoire pour assurer la victoire, a même pu répondre aux souhaits du public, DiegoMaradona en tête, en gréant des minutes de jeu à LionelMessi (qui fête ses 19 ans samedi prochain) et à CarlosTevez (22 ans). Ils l’en ont remercié en inscrivant chacun un but.

Après la défaite contre les Hollandais, Mateja Kezman avait fait remarquer que le problème, c’est qu’après une guerre, tous les généraux sont plus malins et peuvent proposer une parade.  » Mais c’est avant d’aller au combat qu’il faut avoir une bonne tactique. Je ne puis que constater que des quatre attaquants alignés contre les Pays-Bas, tour à tour, aucun n’a vraiment été en mesure d’étaler ses qualités. Qui en est responsable ? »

L’offensive a coincé contre l’Argentine aussi. Kezman a livré un tournoi particulièrement médiocre, au point d’y mettre fin prématurément en sollicitant l’exclusion par un violent ciseau. Il n’a pas été le seul à décevoir. Beaucoup d’autres sont passés à travers leur tournoi, comme Milosevic, le capitaine, qui approche de la retraite, à 33 ans. Ou Stankovic, qui n’était que l’ombre de l’homme si redoutable à l’Inter, et source de bien de frictions au sein de la sélection. PredragDjordevic (34 ans en août) n’a jamais pu effectuer la liaison avec l’attaque et derrière, Mladen Krstajic a été bien pâle. Quand en plus l’esprit de groupe et l’organisation défensive s’écroulent, suite à des changements, les Serbes ne font plus le poids. C’est un phénomène fréquent chez les Slaves : lorsqu’ils ne sont pas portés par leurs supporters fanatiques, ils s’écroulent.

La relève

La Serbie était absente des grands rendez-vous depuis six ans. La raclée encaissée à Gelsenkirchen n’en est que plus douloureuse. Elle a encore encaissé six buts, un chiffre qui la poursuit. Après l’EURO 2000, la Serbie & Monténégro a raté un Mondial et un EURO. Elle a traversé des temps difficiles, agités, elle a manqué de cohésion et a souffert de scandales et de drames, comme en mars 2004, quand Branko Bulatovic a été abattu en pleine rue à Belgrade. D’origine monténégrine, Bulatovic était secrétaire général de la Fédération de football yougoslave depuis treize ans. On a soupçonné la mafia du football d’avoir organisé cet attentat. Auparavant, le chef de guerre Arkan, tué à Belgrade en janvier 2000, avait sali l’image du football serbe avec son FK Obilic.

Tous ces problèmes seraient désormais résolus. On a amélioré l’encadrement et mis en place une autre structure financière. Tous ces efforts devaient atteindre leur point culminant au Mondial, même si cela ne signifiait pas que le football serbe avait retrouvé définitivement sa place, comme le président de la fédération TomislavKaradzic ne manquait pas de le souligner  » Nous ne pourrons parler d’une restructuration réussie que quand nous aurons en poche notre deuxième qualification, en 2008 et 2010 « . On verra alors si Gelsenkirchen 2006 n’est qu’un som- bre nuage isolé dans l’histoire du football serbe « .

Comme la Pologne, l’équipe serbe, qui affronte la Belgique le 7 octobre à Belgrade, va subir un lifting. Elle aura certainement un nouveau sélectionneur et une nouvelle génération de joueurs. Le gaucher Danijel Ljuboja (Stuttgart, 27 ans) a effectué une bonne entrée au jeu en attaque, contre l’Argentine. Mirko Vucinic (Lecce, 22 ans), qui a effectué ses débuts il y un an contre la Belgique mais a raté le Mondial à cause d’une blessure (ce dont a profité Petrovic pour sélectionneur son propre fils..) peut constituer une alternative à Kezman. Dusan Basta (Etoile Rouge, 21 ans) n’a pas joué mais il fait impression en Espoirs tandis que Vladimir Stojkovic (Etoile Rouge, 22 ans) est considéré comme le gardien de l’avenir. Sur base de cette Coupe du Monde, les Belges ne devraient quand même pas sous-estimer leurs prochains adversaires car la relève est prête.

PETER T’KINT, ENVOYÉ SPÉCIAL EN ALLEMAGNE

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