LE MARTIEN

Il roule en Nissan Micra ou en mobil-home, parcourt souvent les rues de Paris avec des Reebok aux pieds et a dormi à la belle étoile sur la route de Saint-Jacques de Compostelle. Non, le patron de la défense du Standard n’est pas vraiment un footballeur comme les autres. La preuve.

« Je sais que je n’ai pas le body language et les attitudes du footballeur moyen.  » Alexander Scholz est aussi lucide à l’interview qu’au coeur de la défense du Standard. En un peu moins d’un an, le Danois est parvenu à se rendre indispensable à l’équilibre défensif des Rouches, entre son règne dans le jeu aérien, son sens de l’anticipation et sa justesse à la relance. Un défenseur presque classique, la froide élégance du jeu nordique en plus, qui dissimule un personnage détonnant dans un monde du football qu’on juge souvent trop formaté.

Scholz n’est pas comme les autres, c’est une certitude. Et pas seulement parce que sa coupe de cheveux, autrefois un peu travaillée avec cet alliage  » rasé sur les côtés – long au-dessus  » inexplicablement à la mode, est devenue une sorte d’amas capillaire négligé qui le place à mi-chemin entre son modèle footballistique Carles Puyol et Tahiti Bob dans les Simpson.

Il n’a pas fallu longtemps à la Belgique pour découvrir que le Danois était un homme à part. Dès son arrivée à Lokeren, Scholz est apparu comme un  » original « . Le genre de joueur qui se complaît avec son vieux téléphone portable quand la plupart de ses coéquipiers se ruent sur chaque nouvelle mouture de l’iPhone. Pour emménager dans le pays de Waes, Alexander a dû emprunter le minibus d’un membre du staff lokerenois.

Parce que, pour faire un bon déménagement, il vaut mieux avoir une voiture. Et à l’époque, Scholz n’en avait pas :  » Je vais essayer de vivre le plus longtemps possible sans voiture, car je n’en vois pas l’utilité « , raconte alors celui qui habite assez près de Daknam pour aller s’entraîner à pied, et qui prend le train quand ses jambes ne suffisent plus.

Cette philosophie de vie ne résistant pas aux horaires parfois imprévisibles du chemin de fer national, Alex est bientôt contraint d’investir dans un carrosse. Si vous voyez traîner une Nissan Micra qui vaut moins de 10.000 euros au milieu des bolides du parking de l’Académie du Standard, inutile de vous demander qui est son propriétaire.

Devenu plus mobile malgré un véhicule trop peu confortable pour lui épargner des maux de dos, Scholz s’adonne dès que possible à sa passion du voyage. Lors des rares jours de congé offerts à ses troupes lokerenoises par Peter Maes, le Danois part sur les routes pour découvrir sa patrie d’adoption… et ses spécialités gastronomiques. Grand amateur de bières spéciales, le défenseur aime la diversité belge en la matière et ne manque jamais une occasion de découvrir de nouvelles saveurs à base de malt, d’orge et de houblon.

INDE ET HIMALAYA

Et quand ses papilles sont comblées, c’est au tour des pupilles de réclamer leur dû. Scholz a le city-trip facile, et n’a besoin que de quelques heures de congé pour assouvir sa soif de découverte. Le Danois est, par exemple, tombé amoureux des paysages parisiens. Du coup, il ne manque jamais une occasion de rejoindre la Ville Lumière pour y passer quelques heures.

En train (jusqu’au jour où il a manqué un PSG-OM à cause des horaires) ou en Micra, le Danois n’hésite pas à s’enfiler les 300 bornes qui séparent Lokeren de Paris après un entraînement, avant de revenir le plus tard possible sans pour autant manquer la séance suivante. C’est sa façon à lui de rester libre.

Dès son adolescence, Alexander Scholz a été frappé en plein coeur par cet irrésistible besoin de voyager. International espoir pour le compte du Danemark et titulaire dans son club, il décide de laisser le football derrière lui pour partir à la découverte du monde qui l’entoure. Le vase clos promis par le métier de footballeur professionnel est étouffant, et Alex en sort pour s’abreuver de liberté.

Une fois ses études terminées, il s’offre donc une première parenthèse pour déambuler sur les chemins sacrés qui mènent à Saint-Jacques de Compostelle, et passe même une nuit à la belle étoile. De retour au Danemark, le coeur de Scholz n’est plus au football, et la plupart des entraînements se déroulent sans lui. Privé de salaire et donc d’appartement, le défenseur reprend son sac à dos et chemine vers l’Allemagne, où il vit chez son oncle tout en travaillant dans la construction pour remplir son portefeuille.

 » On ne parlait que de bière, de femmes et de sexe « , se souvient-il. Pas franchement dépaysant par rapport aux vestiaires laissés de côté quelques semaines plus tôt. Un travail avec des enfants et quelques centaines d’euros gagnés plus tard, Alexander reprend sa découverte du monde.

La suite, c’est un voyage de deux mois en Inde sans autre partenaire que son éternel sac à dos, puis un transfert vers l’Islande négocié sur Skype lors d’une escale dans les montagnes de l’Himalaya.  » À force de marcher, j’ai eu envie de rejouer au foot.  » Scholz signe un contrat dans le club de Stjarnan :  » J’étais semi-professionnel et, le matin, je remplissais des congélateurs dans des grandes surfaces. Toutes les semaines, nous avions quelques jours de libre et j’en profitais pour aller marcher en montagne.  »

Les époustouflants paysages islandais seront finalement mis dans la balance quand le football professionnel, le vrai, viendra frapper à sa porte. Celui pour qui le métier de footballeur professionnel a toujours été un plan B réorganise ses objectifs de vie quand Lokeren lui offre un test, puis un contrat.

Au fil des semaines, Daknam découvre alors un personnage original en même temps qu’un défenseur de grand talent. Aux côtés d’un Georgios Galitsios toujours au courant des dernières tendances vestimentaires, Scholz s’affiche avec un chapeau sur la tête, une longue veste noire sur le dos et des combat shoes aux pieds. Dans les rues de Lokeren, certains le croisent même en vieux pantalon de training sur le chemin de la piscine, voire au supermarché.

Scholz est à la fois un joueur professionnel et un Lokerenois comme les autres, qui n’hésite pas à passer de longs moments à discuter avec les supporters sur le parking de Daknam après les rencontres à domicile.

ANDERLECHT-STANDARD

Vous l’aurez compris : Alexander Scholz ne fait rien comme les autres. Pendant quelques mois, il étudie la philosophie à la KUL en marge des entraînements, avant de se rendre compte de l’incompatibilité de ces études avec le quotidien de professionnel :  » C’est parce que j’étais trop critique envers ce milieu que j’ai abandonné les études. Pas envers le jeu en lui-même, mais par rapport à tout ce qui tourne autour. Quand j’ai quitté l’Islande, je me suis placé devant un choix important : si je partais à Lokeren, c’était pour vivre comme un footballeur professionnel, avec tout ce que cela implique.  »

Depuis que le plan B est devenu son objectif principal, Scholz s’habitue donc tant bien que mal aux contraintes de son nouveau métier à plein temps. Pendant le voyage européen de Lokeren dans la magnifique Varsovie pour affronter le Legia, il est frustré de ne pas pouvoir quitter l’hôtel pour aller découvrir la ville.

Il s’installe donc à la vitre du bus lors de chaque trajet entre l’hôtel et le stade pour ne pas manquer une miette de ces petits morceaux de Varsovie qui se présentent furtivement sous ses yeux. Après son but victorieux en finale de la Coupe de Belgique, il fait la fête jusqu’au bout de la nuit avec ses amis danois venus pour l’occasion, et l’un des membres de la bande finit même son périple par un saut dans la Lys.

Finalement, le seul moment où Scholz sera un footballeur comme les autres, c’est le mercato hivernal de l’an dernier. Courtisé par Anderlecht et le Standard, le Danois sèche les entraînements, ou fait seulement acte de présence au point que Denis Odoi affirmera qu’il s’entraîne à 3 % de ses capacités.

 » Ça a été une période difficile, c’était la toute première fois que deux clubs me voulaient en même temps « , se souvient Scholz.  » Et pendant ce temps-là, je devais continuer à m’entraîner avec Lokeren. C’est vrai que parfois, des coéquipiers m’ont demandé si ma tête était toujours là-bas. Moi, je ne voulais pas être sur le terrain avec les idées ailleurs.  »

Roland Duchâtelet et son sens des affaires emportent finalement la mise scandinave, et c’est au tour de Sclessin de découvrir le martien de Copenhague.

Liège n’a pas tellement changé Alexander Scholz. Certes, on ne l’a pas encore vu discuter avec les supporters aux alentours du stade après les matches. Par contre, il n’est pas rare de le croiser dans les galeries de la Médiacité, où il fait son shopping en toute simplicité avec de vieilles Reebok démodées en guise de chaussures de ville.

Les rêves de voyage n’ont pas non plus été rangés au placard, puisque après la Nissan Micra, le Danois poursuit ses investissements automobiles avec l’acquisition d’un  » mobil-home  » ou d’une  » caravane « , selon l’interlocuteur.  » C’est un super gars, mais il est sur une autre planète « , explique-t-on dans les couloirs de Sclessin.

SURDOUÉ

Un air déconnecté qui tranche avec l’implication du joueur sur la pelouse. Dès son retour de blessure, Scholz a posé sa griffe sur la défense du Standard en coachant énormément la ligne défensive, que ce soit en match ou à l’entraînement. Sa voix se fait entendre sur le terrain, tandis qu’elle se confine dans des conversations avec Ivan Santini, Jelle Van Damme ou Eyong Enoh une fois dans le vestiaire.

Avide de progrès permanents, Scholz est passionné par l’analyse du jeu et adore décrypter et comprendre toutes les phases de son match avec une grande méticulosité. Depuis qu’il a décidé de faire du football l’objectif de sa vie, il s’est impliqué totalement dans sa progression. Et évidemment, il apprend vite. Très vite.

Sa vivacité d’esprit et son intelligence au-dessus de la moyenne amènent même certains membres du staff à penser qu’ils ont affaire à un surdoué. Le genre d’homme qui pourrait leur permettre de retrouver la Coupe d’Europe en fin de saison. Ça tombe bien, Scholz ne serait certainement pas contre quelques city-trips aux quatre coins du Vieux Continent.

PAR GUILLAUME GAUTIER – PHOTOS BELGAIMAGE

 » C’est un super gars, mais il est sur une autre planète.  »

Alexander Scholz est passionné par l’analyse du jeu et adore décrypter et comprendre toutes les phases de son match.

 » Je sais que je n’ai pas le body language et les attitudes du footballeur moyen.  »

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