LE MARTIEN DE VILVORDE

Estampillé milieu défensif, le Belgo-Franco-Congolais dribble avec son pied gauche, ses épaules et beaucoup de culot. La Belgique pourrait bientôt découvrir cette armoire normande chaussée de pantoufles de verre.

« Ce soir, avec Imbula, ils avaient un extraterrestre.  » Philippe Hinschberger, coach d’une équipe de Laval terrassée par le talent du jeune Giannelli, semble avoir du mal à croire en l’origine terrestre du phénomène. Imbula est pourtant né sur notre planète. Plus précisément à Vilvorde. Quelques années passées en Belgique avant de grandir à l’ombre de la Tour Eiffel. Juste assez pour placer un petit drapeau belge sur son passeport. Et pour garder les Diables Rouges en ligne de mire.

Repue de milieux de terrain, la Belgique regarde pourtant la rumeur d’une naturalisation de l’enfant prodige du football français d’un oeil distrait.  » Votre pays doit prendre le temps de le découvrir « , affirme cependant Cédric Fauré, l’attaquant de l’Union Saint-Gilloise qui a côtoyé Giannelli en Ligue 2 sous le maillot de Guingamp.  » Les gens se rendront rapidement compte qu’il est très fort. Ce serait une vraie valeur ajoutée pour les Diables rouges.  »

EN AVANT GIANNELLI

Pour en savoir plus sur le talent de Giannelli Imbula, c’est vers sa Bretagne adoptive qu’il faut se tourner. Après un passage avorté au PSG et un tour des clubs de la capitale, l’enfant de Vilvorde trouve en effet refuge à Guingamp. Au stade du Roudourou, il brûle les étapes au point de devenir le plus jeune joueur de l’histoire de la Ligue 2 quand à 17 ans, 1 mois et 4 jours, il monte sur la pelouse face à Dijon au mois d’octobre 2009.

Trois saisons plus tard, Giannelli s’en ira par la grande porte. Promu en Ligue 1, l’En Avant voit son talent s’envoler vers Marseille avec un trophée de Meilleur Joueur de Ligue 2 sous le bras et une étiquette de  » nouveau Matuidi  » collée sur le front par son président Noël Le Graet. Cette année-là, Imbula s’est littéralement assis sur le toit de l’antichambre de l’élite française.  » Il était largement au-dessus du lot « , se souvient Frédéric Duplus, ancien défenseur de Zulte Waregem qui a évolué avec  » Gia  » en Bretagne. Cédric Fauré va même plus loin :  » Il était tellement au-dessus de la moyenne que quand il décidait de gagner un match, il le faisait.  »

Une expérience vécue par les Havrais d’Erick Mombaerts, littéralement balayés par la tornade Imbula :  » Ce soir, ce n’est pas Guingamp qui nous a gênés, c’est Imbula. Il a marqué la rencontre de sa classe. C’est un joueur exceptionnel.  »

DRIBBLES À L’ÉPAULE

Giannelli n’est pas un joueur comme les autres. De loin, il ressemble pourtant follement à ces  » nouveaux milieux français  » qui font du box-to-box plus énergétique que technique. Mais la différence avec les Matuidi, Kondogbia ou autre Sissoko, c’est le ballon. Chez Imbula, prise de balle rime avec prise de risques.  » Même s’il avait trois joueurs autour de lui, il n’hésitait pas à percuter balle au pied « , se souvient Duplus, qui affirme sans détour que  » potentiellement, il est au-dessus de Matuidi ou de Kondogbia « .

Fauré en remet une couche :  » Quand il prend le ballon, qu’il se retourne vers le but et qu’il décide de percuter, il faut faire une faute pour l’arrêter. Son mélange de puissance et de technique est impressionnant.  » Giannelli est le fruit d’une improbable alchimie entre les épaules d’un déménageur breton et les pieds racés d’un joueur de la banlieue parisienne.

Les comparaisons avec Yaya Touré n’ont d’ailleurs pas tardé à voir le jour. Mais dans cette façon de dribbler avec les omoplates en traînant le ballon au bout d’un pied gauche élastique, on ne peut s’empêcher de voir un peu de Moussa Dembélé. Les statistiques de dribbles des deux joueurs sont d’ailleurs très proches, signe de milieux de terrain dont la provocation balle au pied est la marque de fabrique.  » En Ligue 2, il a littéralement fait tomber des joueurs avec ses dribbles, je l’ai vu de mes propres yeux « , raconte un Cédric Fauré encore halluciné par les prouesses techniques d’Imbula.

Des prouesses hebdomadaires, selon Duplus :  » Ces incroyables percées balle au pied, il les faisait à chaque match. Il cassait une, voire deux lignes de l’organisation adverse. Et si ça ne passait pas, il envoyait une passe surpuissante au sol.  »

Parce qu’en plus, le pied gauche de Giannelli est puissant et précis. Ses lignes de passes sont soignées, avec une volonté permanente (et parfois trop prononcée) de faire la différence à chaque fois qu’il entre en possession du ballon. La conséquence, irrémédiable, c’est qu’Imbula perd un ballon sur dix. Pour un joueur installé devant la défense, ça fait beaucoup de possibilités de reconversion offertes à l’adversaire. Mais souvent, il est également là pour rattraper ses erreurs. Là, l’élégance parisienne disparaît pour faire place au Breton musculeux : 2,4 tacles et 1,1 interception par match pour sa dernière saison marseillaise, où le marquage individuel instauré par Bielsa l’amenait souvent à être surpris dans son dos par le numéro 10 adverse.

 » IMBOULARD  »

Marcelo Bielsa, pourtant avare en compliments, ne lui a jamais reproché ses excès aventureux :  » Il est capable de faire tout ce qu’on attend d’un milieu défensif pur, mais s’il était cantonné dans ce rôle, ses qualités de créateur ne seraient pas exploitées « , expliquait El Loco.  » Il est capable de faire des choses qu’un 6 classique ne fait pas.  »

 » Ce qu’il faisait en tant que numéro 6, c’était incroyable « , confirme Frédéric Duplus.  » Offensivement, il apportait autant qu’un numéro 10, sans pour autant oublier son travail défensif.  » Le sens tactique en perte de balle reste pourtant le talon d’Achille de Giannelli, actuellement plus à l’aise en milieu relayeur, protégé par un milieu défensif qui limite ses prises de risque parfois indécentes. Car sur le terrain, Imbula est sûr de lui. Presque arrogant. Une réputation qui l’a suivi en dehors des stades. D’aucuns n’hésitent pas à le surnommer  » Imboulard « .

En cause, une embrouille avec un kiné de l’équipe de France espoirs après son remplacement face à l’Islande. Mécontent, Giannelli affiche sa colère en public, et ternit une image qui sera définitivement salie après une sombre histoire de débarquement d’un avion d’Air France avant le décollage pour avoir perturbé une hôtesse de l’air pendant qu’elle donnait les consignes de sécurité.

Traumatisée par Knysna, la Fédération française de football gère donc le cas Imbula avec des pincettes.  » La FFF est assez rancunière « , affirme Duplus, qui voit là l’explication de l’absence de son ancien équipier des sélections de Didier Deschamps  » parce qu’il est déjà plus fort que deux ou trois joueurs qui sont actuellement en équipe de France « .

D’autant plus frustrant pour l’enfant de Vilvorde que cette réputation serait faussée :  » C’est vrai qu’il a un caractère fort sur le terrain, mais c’est un gars humble « , poursuit Duplus.  » Il n’est pas du tout prétentieux, c’est une image qu’on lui donne et c’est dommage parce que ça ralentit son envol.  » Certes, Imbula a des idées bien arrêtées et n’hésite pas à les partager quand elles sont différentes de celles du staff,  » mais le temps lui donne souvent raison « .

 » Les critiques sur son ego, c’est très français ça ! « , confirme Cédric Fauré.  » Ce sont des gens qui ne le connaissent pas qui parlent. Moi, j’ai connu un garçon à l’écoute des conseils des plus anciens, qui acceptait toujours la critique quand on avait quelque chose à lui dire.  »

Le père et homme de confiance du Belgo-Français, Willy Ndangi, n’a pas non plus oeuvré en la faveur de l’image d’un fils modeste. Cet été, alors que sa progéniture était proche d’un transfert chez les Nerazzurri, l’homme a ainsi déclaré que son rejeton allait  » ressusciter l’Inter « . Rien que ça. Quelques mois plus tard, Giannelli a pourtant toutes les peines du monde à se faire une place au milieu du terrain des Dragons de Porto, malgré une prestation majestueuse en Ligue des Champions face à Chelsea.

UN DEMBÉLÉ PLUS RÉGULIER ?

Visiblement barré par la densité de la concurrence en équipe de France, le milieu de terrain qui est devenu cet été le transfert le plus cher de l’histoire du FC Porto pourrait-il apporter quelque chose aux Diables Rouges ?

Très répandu en France, son profil n’existe en tout cas pas vraiment de notre côté de la frontière. Un temps incarné par un Moussa Dembélé ralenti par sa nonchalance naturelle et ses blessures, le personnage du  » dribbleur athlétique  » a disparu du casting de Marc Wilmots. Auteur de six dribbles réussis contre Chelsea, sorti de Ligue 1 avec une moyenne proche des trois dribbles par match, Imbula surclasse largement Axel Witsel (moins d’un dribble tous les deux matches) ou Radja Nainggolan (un dribble par rencontre) dans ce registre de  » casseur de lignes  » balle au pied. Une spécificité qui manque cruellement aux Diables rouges à l’heure de créer des surnombres au milieu du terrain pour libérer des espaces.

En France, d’aucuns s’étonnent d’ailleurs que ce dribbleur plus académique que Matuidi et plus fin que Kondogbia n’ait pas encore fait craquer Didier Deschamps. Cédric Fauré, pour avoir côtoyé le phénomène Imbula de près, est l’un de ceux-là :  » Mon passage à Guingamp coïncidait avec l’éclosion de Paul Pogba à la Juventus. Et franchement, ma pensée à ce moment-là, c’était que Giannelli et Pogba seraient indéboulonnables côte-à-côte en équipe de France d’ici cinq ans.  »

Si la trajectoire du nouveau numéro 10 de la Vieille Dame l’a déjà emmené en finale de la Ligue des Champions et à la Coupe du Monde, Imbula, lui, a manqué le train bleu pour le Brésil. Plus question, maintenant, de passer à côté de l’EURO 2016. Quitte à devoir fredonner la Brabançonne avant de percuter balle au pied sur les pelouses françaises.

PAR GUILLAUME GAUTIER – PHOTO EPA

 » Potentiellement, il est au-dessus de Matuidi ou de Kondogbia.  » FRÉDÉRIC DUPLUS (EX-ÉQUIPIER À GUINGAMP)

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