» LE MANQUE DE PASSION ME REND MALADE « 

Le 13 juin, la Belgique dispute son premier match de l’EURO contre l’Italie d’Antonio Conte. Rencontre avec le sélectionneur de la Squadra.

Il est sept heures du soir à Coverciano, le siège de la fédération italienne de football à Florence. Antonio Conte (46 ans) arrive en survêtement et s’installe. Il va parler jusqu’au dîner. Il est décontracté. Au mur de la cafétéria, on a accroché une énorme photo de Fabio Cannavaro brandissant la coupe du monde à Berlin. A côté, la liste encadrée des joueurs comptant le plus grand nombre de sélections et de buts pour la Nazionale, comme les Italiens appellent leur équipe nationale.

A l’issue du championnat d’Europe, Conte va rejoindre Chelsea. La fédération a tenté de nous dissuader de l’interroger sur son avenir ainsi que sur le procès des paris et son éventuelle implication. Le parquet requiert une peine de prison avec sursis de six mois et une amende de 8.000 euros. Le jugement devrait être rendu le 10 mai.

Vous avez signé à Lecce, votre premier club, pour… huit ballons.

ANTONIO CONTE : Huit ballons et 150.000 lires. Je suis fier qu’on m’ait payé quelque chose à l’époque.

Quelle différence avec les chiffres actuels !

CONTE : Oui, les prix et les salaires sont gonflés. Avant, il fallait déjà avoir accompli un fameux bout de chemin avant de gagner sa vie. Mon premier contrat en Serie A valait 15.000 euros. Tout était plus difficile et on était plus vite content.

C’est vrai que vous disiez à vos parents quand vous aviez brossé l’école ?

CONTE : Oui, je leur disais quand je n’avais pas été en classe. Je ne voulais pas leur mentir. Je ne l’ai jamais fait.

Vous avez déjà enfreint des règles ?

CONTE : Non, je n’ai même jamais chipé de sucreries. C’est grâce à l’éducation que j’ai reçue. Je me rappelle avoir un jour trouvé l’équivalent d’un euro dans un centre commercial. Je l’ai ramassé et j’ai accéléré le pas comme si j’avais volé quelque chose.

Arturo Vidal dit qu’il vous emmènerait s’il devait partir à la guerre.

CONTE : De même que je prendrais Arturo Vidal. C’est un joueur incroyable. Je dois reconnaître qu’il était déjà engagé quand j’ai entamé mon mandat d’entraîneur à la Juventus. Dans ma tête, j’envisageais un 4-2-4 ou un 4-4-2 mais quand j’ai vu à quel point Vidal déterminait l’intensité du jeu, je suis passé au 4-3-3, que j’ai fait évoluer en 3-5-2. Il possède des qualités physiques et techniques exceptionnelles. S’il parvenait à se maîtriser un peu mieux, il serait formidable. Je le voudrais dans toutes mes équipes.

 » LA PROSPÉRITÉ A CHASSÉ LES TALENTS DES RUES  »

Vous trouvez que le football, c’est la guerre ?

CONTE : Le football est un sport, donc une lutte. Il s’agit d’être le meilleur. Je n’aime pas la devise du baron Pierre de Coubertin (L’important n’est pas de vaincre mais de participer, ndlr). Je suis très compétitif, je ne cherche pas le seul plaisir. Quand je décide de faire quelque chose, c’est pour retirer le maximum de moi et des autres, car je suis perfectionniste.

Que faut-il faire pour gagner votre confiance ?

CONTE : Etre courtois et faire preuve de respect. Je ne ferai jamais confiance à quelqu’un de malpoli.

Qui ne sélectionnerez-vous jamais ?

CONTE : Celui qui se place au-dessus du collectif. Une équipe n’est pas un élément individuel. Evidemment, plus elle a de talent, plus elle a de chances de gagner mais je veux que ce talent soit au service de l’équipe. Elle a toujours été ma priorité. Joueur, je devais beaucoup courir et je le faisais avec plaisir quand je remarquais que les cracks avec lesquels je jouais se battaient pour l’équipe. Je veux transmettre mon vécu.

Quel message transmettez-vous systématiquement avant un match ?

CONTE : Donnez tout et vous n’aurez rien à vous reprocher. Je ne veux pas que nous rentrions dans le vestiaire en nous disant : si on avait fait ça ou ça…

Qu’est-ce qui vous fâche le plus ?

CONTE : Le manque de passion. Le football est un sport dont on doit être amoureux. Il faut beaucoup de passion et d’enthousiasme pour le pratiquer. Quand je vois quelqu’un qui n’a pas de feu, qui se traîne sur le terrain ou arrive fatigué à l’entraînement, je sors de mes gonds.

Y a-t-il moins de passion maintenant que de votre temps ?

CONTE : Nous étions des enfants des rues. Nous apprenions à survivre. Plus maintenant. Il y a beaucoup d’écoles de football et de beaux terrains bien soignés. Nous jouions sur un terrain plein de trous mais c’était San Siro, pour nous. Un ballon nous suffisait. Nous nous tirions d’affaire. La prospérité a chassé les talents des rues. Nous apprenions à grimper aux arbres, à tomber, à nous casser le bras. Si je demandais maintenant à dix enfants qui sait grimper à un arbre, je pense que la réponse serait : aucun. Nous étions de vrais écureuils. Nous nous amusions à collectionner les bouchons de bouteilles pour jouer au football avec eux, en les faisant avancer du doigt sur un terrain dessiné au préalable. Nous nous amusions avec le peu que nous avions. Quand, en rentrant à la maison, nous disions à nos parents que le professeur nous avait punis, nous prenions une claque en plus. Maintenant, les parents se retournent contre l’enseignant. C’est pour ça que je dis toujours que le rôle des parents est fondamental. Il faut surveiller ses enfants, bien sûr, mais il faut aussi les laisser se casser la figure de temps en temps.

 » MON NOYAU ABSORBE TOUT COMME UNE ÉPONGE  »

Devenu sélectionneur, vous avez invité les journalistes à prendre place derrière un tableau. Que vouliez-vous leur faire comprendre ?

CONTE : Il y a eu deux leçons de deux heures et demie. On nous juge souvent de manière superficielle. Ça change en fonction de celui qui marque ou qui fait marquer. Je voulais introduire les journalistes dans mon univers, pour qu’ils se sentent impliqués dans mon travail. Je me suis bien amusé.

Vous avez déclaré que voir un footballeur et l’entraîner étaient deux choses différentes. Que cherchez-vous dans un joueur ?

CONTE : Chacun cherche des aspects qui correspondent à sa philosophie. Certains aiment un joueur qui abaisse le rythme en possession du ballon, d’autres recherchent intensité et agressivité. Notre sélection a besoin de joueurs polyvalents, susceptibles d’être alignés à différents postes. Si j’ai un blessé, j’ai un problème.

Alessandro Florenzi, le médian de l’AS Rome, estime que la sélection comporte assez de joueurs pour changer facilement de système.

CONTE : C’est exact. Mon noyau absorbe tout comme une éponge. Il n’est pas facile de changer un système de jeu du jour au lendemain. En ce sens, je suis agréablement surpris.

En quoi la sélection a-t-elle changé sous vos ordres ?

CONTE : L’intérêt du maillot. J’ai voulu transmettre ce message : ce maillot bleu doit devenir votre seconde peau.

Souder une équipe qui se retrouve tous les trois mois ne doit pas être facile ?

CONTE : C’est très difficile. J’essaie de mettre chaque seconde à profit. J’enregistre les entraînements pour pouvoir montrer aux joueurs ce que j’attends d’eux. Ils ont compris ma tactique. L’aspect mental est plus ardu mais pour le changer, je devrais passer 320 jours par an auprès d’eux.

Quelle a été la principale difficulté de votre mandat ?

CONTE : Le fait de voir peu mes joueurs et de ne pas pouvoir travailler avec eux. Mais même dans ces conditions, ça a été une expérience incroyable.

Les footballeurs supportent-ils mal la critique ?

CONTE : Oui mais les entraîneurs aussi, surtout quand ils ont fait de leur mieux. J’utilise la vidéo. Ils ne peuvent rien objecter aux images. Je dispose de matériel didactique pour leur expliquer ce qui se serait passé s’ils avaient tenu leur position. C’est une manière de les responsabiliser et de les inciter à réfléchir en entraîneurs. Il faut connaître les footballeurs, savoir qui a besoin d’un encouragement ou pas. Il faut pouvoir lire dans leurs pensées. De nos jours, un entraîneur doit maîtriser plusieurs domaines : la tactique, la technique, la psychologie. Il doit beaucoup lire et étudier. Ceux qui affirment qu’on ne peut plus rien inventer en football profèrent une fameuse bêtise. Ils disent ça parce qu’ils n’ont plus envie de faire quelque chose.

 » NOUS SAVONS QUE NOUS NE SERONS PAS FAVORIS EN FRANCE  »

Mario Balotelli vous déçoit ?

CONTE : Je n’ai pas encore pu l’évaluer. Il ne s’est présenté qu’une seule fois.

Vu de l’extérieur, il est difficile de comprendre qu’un joueur aussi doué que Lorenzo Insigne ne soit pas un titulaire incontesté.

CONTE : Lorenzo a vraiment fait parler de lui cette année. Il possède un énorme talent et il a mûri. Il est jeune et doit devenir plus régulier. Nous avons beaucoup de talents sur les flancs.

Qui vous a le plus surpris ces deux dernières années ?

CONTE : Alessandro Florenzi. Il a énormément progressé en l’espace d’un an. Je peux l’aligner à différents postes, il a un gros moteur et des qualités. En plus, il est modeste et travailleur. Je ne sais pas ce que nous allons faire à l’EURO mais ce dont je suis sûr, c’est que nous avons un bon groupe qui joue collectivement.

Andrea Pirlo fera encore partie du groupe ?

CONTE : Je l’aime bien. Je réfléchis. Nous avons encore le temps.

L’Italie n’a pas été représentée en quart de finale des coupes d’Europe. A quoi est-ce dû ?

CONTE : Au tirage au sort. Nous n’avons pas eu beaucoup de chance. La Juventus a tiré le Bayern, la Fiorentina Tottenham et Naples a joué contre Villarreal…

Qu’espérez-vous de l’EURO ?

CONTE : J’espère que nous pourrons penser au seul sport durant ce tournoi, sans plus connaître l’angoisse des attentats. J’espère de tout mon coeur que l’EURO se déroulera sereinement car il est aussi synonyme de fraternité.

Jusqu’où ira l’Italie ?

CONTE : J’ai une seule certitude : notre groupe est soudé et harmonieux. Nous savons que nous ne sommes pas favoris. L’Allemagne, la France, l’Espagne, la Belgique et l’Angleterre sont les favoris. Mais nous développerons notre football, avec audace. Je préfère encaisser un but en contre que mettre le verrou. Nous prendrons en mains les rênes du match et imposerons notre jeu. Nous donnerons tout, sans crainte.

PAR ELEONORA GIOVIO – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Le maillot bleu doit être une seconde peau pour mes joueurs.  » ANTONIO CONTE

 » Ceux qui affirment qu’on ne peut plus rien inventer en football profèrent une fameuse bêtise.  » ANTONIO CONTE

 » Je préfère encaisser un but en contre que mettre le verrou.  » ANTONIO CONTE

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