Le MALAISE brésilien

Le 24 juillet 2010, il a pris la tête de la Seleçao suite à l’élimination contre les Pays-Bas à la Coupe du Monde. Où en est sa promesse de réintroduire un football chatoyant, en lieu et place du style contre-attaque de Dunga ?

L’Espagne et l’Allemagne sont les meilleures équipes nationales et le FC Barcelone a déchiré Santos en finale de la Mondial des Clubs. Quel est votre constat ?

Mano Menezes : Le Brésil doit revenir au concept O Jogo Bonito. Ces dernières années, nous avons emprunté une route qui s’écarte des caractéristiques du foot brésilien. Aujourd’hui, on voit certaines équipes représentatives reprendre à leur compte les recettes des succès passés de la Seleçao. Il est temps de retrouver notre identité et de nous la réapproprier.

Envisagez-vous éventuellement de reprendre les recettes qui ont fait le succès de Guardiola d’ici à 2014 ?

Tout le monde aimerait jouer comme le Barça. Mais ce n’est qu’après des années de travail que les Catalans ont réussi à regrouper des joueurs aussi talentueux les uns que les autres. Des joueurs qui une fois sur le terrain transforment les idées en football brillant. Avec dans leurs rangs le meilleur joueur du monde, Barcelone est la référence ultime. A mes yeux, le Brésil ne doit pas être meilleur que Barcelone. Les joueurs brésiliens ne doivent pas être meilleurs que les Barcelonais. Le Brésil et ses joueurs doivent tout simplement jouer avec leurs qualités.

Vous constatez que tout baser sur la contre-attaque et aligner des arrières latéraux virevoltants dans une défense comportant des défenseurs centraux longilignes mais limités était devenu obsolète. Avez-vous constaté un changement de mentalité dans votre pays ?

Le duel entre Barcelone et Santos fut un véritable choc pour le foot brésilien. Les coaches, les techniciens et les gens qui sont liés de près ou de loin au foot savaient que cela pouvait arriver, mais pas dans ces proportions-là, pas sur un 4-0. La différence du niveau de jeu et le style d’une des meilleures équipes du monde dans tous les secteurs de jeu est bien entendu en contraste avec notre niveau d’aujourd’hui au Brésil. On ne peut pas changer cela ou retrouver notre identité footballistique en un coup de cuiller à pot. Mais ce fut un signal important du chemin qu’il reste à parcourir d’ici au Mondial 2014.

 » On sent que le Brésil manque de confiance « 

Comment évaluez-vous la progression de votre Seleçao jusqu’ici ? Comme vous l’avez dit en septembre face au Ghana, il semble y avoir un déséquilibre entre les objectifs du Brésil et ses résultats.

Le Brésil a derrière lui la première phase de changement, soit la Copa America 2011 (NDLR : élimination par le Paraguay en quarts aux tirs au but), et nous devons encore travailler pour améliorer sensiblement notre niveau. Nos adversaires lors de la Coupe du Monde au Brésil nous laisseront peu d’espaces et tenteront d’étouffer nos offensives, notamment en contre-attaque. Nous serons sans doute forcés de faire le siège de l’adversaire dans sa moitié de terrain et de diriger la man£uvre. C’est bien entendu un style de jeu plus difficile à mettre en place et cela exige plus de risques et un changement de mentalité. C’est ce que je suis en train de faire avec un groupe talentueux mais très jeune. Logique que des gamins, aussi doués soient-ils, apportent quelque part un plus haut degré d’instabilité. Ils ne réussissent pas encore à imposer leur jeu contre tous les adversaires, et certainement pas contre les équipes qui effectuent un pressing très haut. Lors du match amical contre l’Allemagne, perdu 3-2 le 10 août 2011, nous avons éprouvé d’énormes difficultés. La Mannschaft constitue un paramètre fiable et sera certainement un adversaire redoutable en 2014. On sent que le Brésil manque de confiance, mais c’est normal : on doit traverser cette phase le mieux possible. Les Jeux olympiques nous donnent la chance de travailler à un objectif et de conférer à l’équipe sa colonne vertébrale. La confiance finira bien par revenir et les supporters se regrouperont derrière nous.

Cela vous inquiète-t-il qu’en 21 matches sous votre règne, le Brésil ait perdu tous ses gros matches amicaux ? Contre l’Argentine, la France et l’Allemagne…

Non. C’est clair que l’Allemagne fut le seul adversaire à nous affronter avec ses meilleurs éléments. Contre l’Argentine, nous avons bien joué mais après 90 minutes le ballon parvient à un génie (Messi), qui dribble trois de nos joueurs avant de mettre la balle au fond. Quant à la rencontre face aux Français, elle a été influencée par le carton rouge montré à Hernanes après 30 minutes en première mi-temps, ce qui nous a mis à 10 pendant une heure. Je considère notre partie contre l’Allemagne comme un match-étalon : le onze de Joachim Löw forme une équipe cohérente qui se situe déjà à un stade de progression plus avancé que nous. Ce fut une défaite logique. On ne perd jamais avec le sourire mais moi, j’analyse d’abord les causes de nos défaites.

Vous êtes Messi ou Neymar ?

Comment situez-vous Messi et Neymar par rapport à Pelé ?

Messi est le joueur qui se rapproche le plus de Pelé. Il en a toutes les caractéristiques : son jeune âge, un palmarès déjà très fourni, et encore de nombreuses années pour étoffer une carrière déjà impressionnante. Donc il viendra certainement titiller Pelé dans les livres d’histoire, mais ne le dépassera sans doute pas au niveau de la légende sportive. A 20 ans, Neymar est encore plus jeune que Messi et étincelle de mille feux dans le championnat brésilien. Il a déjà effectué un beau parcours au niveau national et en Amérique du Sud et cherche désormais à s’affirmer en Seleçao. J’espère qu’il continuera sur cette voie, en restant sérieux, appliqué et en considérant toujours le foot comme la priorité n°1. Ce sont les ingrédients pour devenir aussi bon que Messi.

Vous avez déclaré que Neymar devait aller en Europe pour passer de l’état de diamant brut à celui de diamant poli. Quand doit-il franchir l’Atlantique ?

Le foot brésilien ne peut rivaliser avec le niveau de certains championnats européens. Notre compétition doit adapter ses systèmes tactiques et sa tradition pour que Neymar puisse encore se développer tout en restant au pays. Un jeu basé sur un passing court au lieu de longs ballons, apprendre à nos attaquants à jouer dans des petits espaces plutôt que de bénéficier de grands boulevards, etc. Je suis partisan du changement. Un autre aspect à ne pas négliger dans l’évolution de Neymar, ce sont toutes les sollicitations hors du terrain s’il reste au Brésil : les contacts avec les médias, les gros contrats de sponsoring et les obligations qui y sont liées lui demandent pas mal de son temps. Cela pèse sur sa condition physique, ses entraînements et ses facultés de récupération. Jusqu’à présent son évolution est positive, mais il pourrait stagner. Il doit y faire très attention.

Qu’est-ce qui ne va pas bien chez lui ?

Ce n’est pas correct pour un entraîneur de parler d’un joueur avec lequel il travaille et qui évolue encore. Je préfère le lui dire entre quatre yeux lorsque l’occasion se présentera. Sinon, il deviendrait la proie des médias et des critiques. C’est un plaisir de bosser avec Neymar et je suis convaincu qu’il sera d’un grand soutien à la Seleçao dans un futur proche. C’est un talent naturel encore très jeune. Et bien entendu qu’il va devoir s’appliquer les deux années et demie à venir pour être au top en été 2014, lorsque le Brésil organisera la Coupe du Monde.

Le défi olympique

2012 est une année charnière pour vous avec les JO. Quel sera votre plus grand obstacle à Londres ?

Le problème que le Brésil rencontre toujours : la préparation ! Notre calendrier de championnat diffère de celui du Vieux Continent et les joueurs doivent prendre congé de leur club en pleine compétition. Cela nous vaut les réclamations des clubs et ce n’est pas une sinécure. Je veux toujours dégager une période de temps la plus longue possible pour s’entraîner et cette fois le timing de la préparation aux JO me paraît satisfaisant. L’avantage, c’est que les joueurs de moins de 23 ans ont déjà évolué en équipe fanion lors des matches amicaux.

Quels seront vos adversaires les plus coriaces ?

Nous respectons chaque équipe mais l’Espagne est très forte. Le Mexique aussi a livré du bon boulot. Et l’Uruguay domine pour l’instant sur le continent sud-américain. L’équipe britannique aura l’avantage de jouer à domicile. Mais une équipe de champions grandit au fil d’une compétition. Lors du prochain match amical, en mai contre le Danemark, même si nous alignerons des joueurs de plus de 23 ans, l’équipe comportera davantage d’Olympiens potentiels. Ensuite viendront les matches amicaux contre les Etats-Unis à Boston, l’Argentine à New Jersey et le Mexique à Dallas.

Ronaldinho est au centre des débats : toujours un grand sourire sur son visage mais on ne voit plus le génie à l’£uvre, ni d’actions intelligentes ou de dribbles sensationnels. On a difficile à s’imaginer quelle valeur ajoutée il peut encore apporter à l’équipe du Brésil. Mais vous l’avez présélectionné !

En juin nous réduirons la liste à 35 éléments, en juillet nous communiquerons les noms des 18 joueurs appelés à défendre nos couleurs dans la capitale anglaise. Un entraîneur ne fait jamais ce que les gens veulent. La critique publique et ouverte fait partie de la société. Les entraîneurs ont pour tâche de garder leurs critiques pour l’interne et de parler directement à un joueur. Je suis ici pour les mettre en confiance, pas pour les abandonner. Je ne veux pas anticiper par le biais de déclarations intempestives. La critique sur Ronaldinho et son trajet en équipe nationale est importante et j’en tiens compte. Lorsque nous approcherons de la CM 2014, je prendrai les décisions concernant les Kaká, Robinho, Julio César et d’autres qui faisaient partie du Brésil de Dunga. Mais on peut toujours attendre quelque chose d’un grand joueur, peu importe son âge.

Qui sont les 3 joueurs de plus de 23 ans que vous prendriez aujourd’hui ? Thiago Silva, Dani Alves et Ronaldinho ?

Ces 3 joueurs doivent apporter de l’expérience et de l’assurance au groupe. En ce moment, rien n’est décidé. Nous sommes en pourparlers avec les joueurs et les clubs, qui doivent accepter de céder leurs joueurs pendant la durée du tournoi. Lorsque ces discussions auront abouti, le choix des 3 joueurs sera fait. Nos défenseurs centraux posent actuellement problème, c’est un fait. Mais en ce moment c’est une présélection et donc pas un choix définitif.

L’avenir poste par poste

Concernant Kaká, vous avez indiqué que son évolution au Real Madrid serait importante, mais en même temps vous avez dit craindre que sa situation n’évolue pas favorablement d’ici à 2014. Kaká a-t-il encore un futur en sélection ?

La prochaine avant-saison sera déterminante pour lui. On verra alors s’il satisfait aux conditions pour évoluer devant son public en 2014. C’est pourquoi je ne l’ai pas repris dans la présélection des Jeux olympiques, car la préparation de sa saison avec le Real Madrid – qui exige de gros efforts de sa part – tombe au même moment que les Jeux. Cette saison, il n’a retrouvé son niveau qu’après quelques mois. Cela ne peut plus se reproduire, sinon ce serait dangereux. Je lui en ai parlé et il a bien compris le message.

Vous avez dit que Julio César ne disputera pas les JO. Qui sera votre gardien n° 1 dans le futur ?

En principe, le gardien de l’équipe olympique n’aura pas 23 ans. Les jeunes gardiens disponibles ont assez d’expérience. Il ne faut donc pas sacrifier un joueur de champ de plus de 23 ans. Rafael, du FC Santos et Neto de la Fiorentina sont candidats. Ils ont déjà été appelés en équipe fanion. Leur personnalité et leur bagage ont été observés de près. Maintenant, c’est l’idée, s’il devait par malheur leur arriver quelque chose, cela pourrait changer.

Le poste d’arrière-gauche pose problème : Michel Bastos a joué à la Coupe du Monde 2010, André Santos à la Copa America, Marcelo et Alex Sandro furent essayés pendant les amicaux. Mais quels sont les progrès ?

Marcelo m’a vraiment bien plu lors des derniers matches amicaux. Il a bien évolué au Real Madrid sous l’impulsion de José Mourinho. Marcelo a mûri sur le plan tactique et en couverture, ce qui lui posait des problèmes auparavant. Nous n’avons jamais douté de son talent en devenir. Marcelo est un joueur qui apporte des solutions dans un match grâce à ses actions individuelles. Il le fait très bien et j’en suis le premier satisfait. J’ai également déjà fait appel à Alex Sandro du FC Porto. Il fait partie des moins de 23 ans et devrait normalement figurer dans la sélection pour les JO. Pour l’instant, Andre Santos est out sur blessure, mais a réalisé une belle saison. Après avoir joué aux Corinthians et à Fenerbahçe, il évolue désormais à Arsenal. Depuis que j’ai repris l’équipe je lui ai donné sa chance en Seleçao mais je ne l’ai plus aligné récemment, parce que j’estime que Marcelo est meilleur à ce poste. André Santos continue donc son petit bonhomme de chemin et je continuerai à le suivre.

 » Pato est un joueur plus complet que Leandro Damião « 

Dede fait parler de lui à Vasco da Gama et pourrait bien être le prochain arrière central du Brésil. Il est relativement inconnu en Europe, comment décririez-vous ses qualités ?

Un défenseur central costaud, avec de bonnes qualités techniques et très fort physiquement. Il se débrouille très bien en homme contre homme. En peu de temps, il est devenu l’un des meilleurs défenseurs, même au niveau international. L’avenir lui permettra certainement de démontrer ses qualités au service du Brésil. Je l’ai déjà convoqué à quelques reprises, entre autres pour le Superclassico das América, la double confrontation amicale contre l’Argentine. Il inspire beaucoup de confiance à ses partenaires.

Considérez-vous Ganso comme le successeur naturel de Ronaldinho ?

Ils ont des caractéristiques différentes. Ronaldinho est davantage un médian offensif, alors que je qualifierais Ganso de médian plutôt défensif. En général, l’un des deux entame le match. La rencontre contre le Ghana, en septembre dernier, a constitué une exception à la règle puisque je les avais alignés tous deux d’entrée, mais Ganso s’est blessé. Il n’est jamais bon de prévoir qu’un joueur succédera à un autre, certainement pas eu égard aux états de service de Ronaldinho ou d’autres grands joueurs qui ont défendu les couleurs brésiliennes. Ganso doit travailler à sa carrière, il a déjà fait un arrêt en Seleçao mais on attend de lui qu’il devienne un tout grand, qui portera fièrement le maillot jaune.

En attaque, vous avez récemment opté pour Leandro Damião plutôt que pour Alexandro Pato. Dans votre système de prédilection en 4-2-3-1, un n°9 classique dans la forme que Damião détient actuellement convient-il mieux ?

Avec toutes ses qualités, Pato est un joueur plus complet que Leandro Damião, mais Pato a peu joué ces deux dernières années pour cause de blessures à répétition. Lorsqu’un joueur n’entre pas en action avec son club, il perd forcément sa place au profit d’un autre : Leandro Damião. Et il saisit de fort belle façon les opportunités qui lui sont offertes. C’est un voleur de buts, un peu moins mobile que Pato, mais très utile et il pèse de tout son poids dans les 16 mètres. Il confère à notre équipe nationale plus de possibilités au centre de l’attaque.

PAR SAMINDRA KUNTI – PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » On ne perd jamais avec le sourire mais moi, j’analyse d’abord les causes de nos défaites. « 

 » Si Neymar reste au Brésil, toutes les sollicitations hors du terrain risquent de gêner son évolution. « 

 » Ronaldinho ? On peut toujours attendre quelque chose d’un grand joueur, peu importe son âge. « 

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