Le mal-aimé?

Bruno Govers

Aux dires de son homme de confiance, Tomasz Radzinski n’est pas estimé à sa juste valeur à Anderlecht.

Partira, partira pas? La question était toujours de mise, dimanche passé, en ce qui concerne Tomasz Radzinski, pour qui aucune offre n’était encore parvenue au RSCA, malgré la cour assidue dont il fait prétendument l’objet depuis de très nombreux mois. Selon Karl Mortelmans, son homme de confiance et futur beau-père, que nous avons contacté en l’absence du joueur, en vacances au Portugal, cette situation est toutefois appelée à bouger. Pour autant, même, qu’elle ne se soit pas concrétisée entre-temps. Au début de cette semaine, à savoir lundi ou mardi, Everton était, en tout cas, censé faire une première proposition au Sporting bruxellois. Et pour peu qu’aucun terrain d’entente ne soit trouvé entre les trois parties, l’exemple du club anglais pourrait être suivi, ces jours-ci, par les Espagnols de Majorque. Reste à voir si les 500 millions exigés par les Mauves pour la liberté de leur Canadien ne dissuaderont pas les candidats-acheteurs…

Que vous inspire le demi-milliard réclamé par Anderlecht pour le transfert de votre protégé?

Karl Mortelmans: C’est un montant de départ, fixé par le Sporting pour montrer sa résolution dans ce dossier. Mais tout porte à croire que le club intéressé par les services du joueur et la direction des Mauve et Blanc mettront de l’eau dans leur vin afin d’aboutir à un consensus. Il n’en demeure pas moins qu’Anderlecht devra se contenter de moins d’argent, ce coup-ci, que s’il avait consenti à la cession de « Tommy » au cours de la défunte campagne. Car si le RSCA l’avait réellement voulu, mon futur gendre aurait pu être avant Didier Dheedene, Bart Goor ou Jan Koller le tout premier footballeur à quitter le Parc Astrid ces derniers mois. Le FC Valence était prêt, en effet, à mettre le paquet pour s’assurer ses services au cours de la récente trêve hivernale. Michel Verschueren avait cependant réfuté l’offre, car il estimait qu’à ce moment-là, le club avait davantage à perdre qu’à gagner en cas de vente du joueur. A l’époque, il est vrai, l’équipe marchait le tonnerre et venait de créer une nouvelle sensation après ses exploits précédents contre Manchester United, le Dynamo Kiev et le PSV Eindhoven, en battant la Lazio Rome, au Stade Constant Vanden Stock, à l’occasion de son match d’entrée au deuxième tour de la Ligue des Champions. Nonobstant sa défaite au Real Madrid, dans la foulée, elle était en position de force dans la mesure où les Italiens, battus par Leeds United sur leurs terres, n’avaient toujours pas pris le moindre point après la seconde journée. En haut lieu, à Anderlecht, beaucoup estimaient qu’un exploit similaire au premier était dans les cordes du groupe. Pour ce faire, il incombait tout simplement d’engranger quatre unités sur six face aux Anglais, qui allaient se dresser sur la route des Mauves à deux reprises, coup sur coup, au mois de février. Le manager du Sporting croyait dur comme fer en cette issue et était d’avis qu’une accession en quarts de finale de l’épreuve ainsi que la contribution de Tommy dans la course au titre représentaient plus, au point de vue financier, que ce que les Espagnols pouvaient déposer sur la table des négociations. C’est pourquoi la mutation n’avait pas eu lieu.

Six mois plus tard, Tomasz Radzinski se trouve toujours au même point. Comment expliquer que sa situation n’ait pas évolué?

Pour deux motifs. L’un est d’ordre purement sportif. Par un incroyable concours de circonstances, le Sporting a perdu, ces dernières semaines, deux éléments qui avaient franchement valeur d’incontournables sur le flanc gauche: Didier Dheedene ainsi que Bart Goor. Dès qu’il fut acquis que le premier allait quitter le Sporting, certaines voix s’élevèrent au Parc Astrid afin de mettre tout en oeuvre pour conserver les deux autres joueurs qui évoluaient sur la même aile, à savoir Bart Goor et Tomasz Radzinski. Quand, à son tour, le passage du médian international au Hertha Berlin fut entériné, quelques personnes, dont Jean Dockx, firent savoir qu’un troisième partant, dans la même zone, était tout à fait exclu. Voilà qui explique pourquoi la tête de Tommy a été mise à prix pour 500 millions de francs. Cette somme, au demeurant, constitue l’autre raison pour laquelle les premiers contacts n’ont jamais abouti. Pour ne citer qu’un seul exemple, le Stade de Rennes était, à un moment donné, très intéressé par le joueur. Mais les responsables sportifs de ce club n’étaient pas disposés à franchir la barre des 120 millions de nos francs en vue de son acquisition. A ce tarif-là, nous n’avons pas même soumis la proposition à leurs homologues du Sporting car ils nous auraient ri au nez. Bon nombre de clubs ont été échaudés par les exigences pécuniaires de la direction anderlechtoise, comme Tenerife par exemple. D’autres voulaient attendre la fin de la saison avant de s’orienter sur le marché des transferts. C’est le cas du Celta de Vigo, notamment. A présent que le championnat est terminé en Espagne, il faut s’attendre à du mouvement de ce côté. Pour l’heure, toutefois, c’est en Angleterre, surtout, que Tommy est plutôt bien en cour. Entendu qu’Everton a vendu son attaquant Francis Jeffers à Arsenal, tout porte à croire que ses dirigeants prendront langue avec nous. Car eux aussi avaient mon protégé dans le collimateur depuis un bon bout de temps.

Quel est, d’après vous, le pourcentage de chances que Tomasz Radzinski quitte Anderlecht?

Avant que le Sporting ne mette la barre à un demi-milliard, comme il l’a fait en cours de semaine dernière, un départ me semblait pour ainsi dire sûr à nonante-neuf pour cent. Compte tenu de cette nouvelle donne, je pense, à présent, que la tendance est tombée à septante-cinq. C’est dommage pour Tommy, qui était tout près du but à un moment donné mais qui risque, peut-être, d’être la principale victime de l’exode qui a eu lieu sur la portion de terrain qu’il occupe et du départ, aussi, de Jan Koller. C’est d’autant plus dur à vivre, pour lui, qu’il en allait là, précisément, de ses trois meilleurs potes au Parc Astrid. Didier Dheedene et lui s’entendent comme larrons en foire depuis leurs années communes au Germinal Ekeren. Tous deux sont d’ailleurs partis ensemble en Guadeloupe, récemment. Bart Goor, quant à lui, était le plus proche de Tommy par son incroyable sens de l’humour. Car sous des dehors de garçon sérieux, le Limbourgeois n’avait pas son pareil pour mettre de l’ambiance, à l’image de mon futur gendre. Enfin, tout le monde sait à quel point l’estime était grande entre Jan Koller et Tommy. Le Tchèque a d’ailleurs mis tout en oeuvre pour que son complice à la pointe de l’attaque anderlechtoise termine premier au classement des buteurs. Une attitude qui en dit long, évidemment, sur leurs rapports et qui remonte au Soulier d’Or. Tommy se rendait bien compte qu’il ne devait pas se bercer d’illusions quant au verdict final. Mais à force d’entendre les journalistes et d’autres personnes du milieu dire que son heure sonnerait peut-être, il nourrissait quand même un petit peu d’espoir. Sa sixième place, à ce referendum, fut dès lors une petite gifle pour lui. C’est à partir de ce moment-là, en tout cas, qu’il a songé pour la première fois à quitter Anderlecht. Il estimait tout bonnement ne pas être estimé à sa juste valeur, ni par les suiveurs, ni par ceux qu’il fréquentait au quotidien. La preuve: à la trêve, il avait déjà été remplacé onze fois en dix-huit matches. Je suis fort bien placé pour le savoir puisque je tiens ses statistiques. Au bout de la compétition, ce chiffre est en définitive passé à vingt. Aucun joueur n’a été substitué davantage que lui cette saison. C’est un record dont il se serait volontiers passé. Et qui atteste, une fois encore d’après moi, qu’il ne jouit pas de la considération qu’il mérite.

Les chiffres vous donnent raison puisque nous avons nous-même procédé à leur vérification. Votre conclusion paraît cependant hâtive. Car qui fut donc le footballeur anderlechtois le plus souvent rappelé prématurément au vestiaire un an plus tôt? Un certain Pär Zetterberg, sorti à douze reprises avant terme. Or, on ne peut quand même pas dire que le Suédois n’était pas prisé par Aimé Anthuenis?

Il n’en est pas moins parti alors qu’Anderlecht était le club de sa vie. Pour Tommy, le même crève-coeur va se poser. Car, au fond de lui-même, il est très attaché à la Belgique et au Sporting en particulier. L’idéal, pour lui, serait de poursuivre sa carrière au Parc Astrid, dans la mesure où ma fille, Ellen, a encore une année d’études à accomplir, en tourisme, et qu’elle désire à tout prix obtenir ce diplôme avant d’être libre de mouvement. A cet égard, Tommy aurait intérêt à jurer fidélité à Anderlecht et lui-même en est parfaitement conscient. Mais il ne veut pas courir le risque, après une année formidable, de se retrouver subitement laissé pour compte. Et cette possibilité existe à Anderlecht. Depuis le début de la campagne des transferts, Aimé Anthuenis ne cesse de frapper sur le même clou: il lui faut absolument encore un avant. Avec Ode Thompson, Nenad Jestrovic, Joris Van Hout, Cheryl Mc Donald et le jeune Russe Guerk, il possède pourtant deux joueurs de plus, déjà, que la saison passée puisque, outre Jan Koller, Frédéric Pierre et Elos Ekakia manqueront à l’appel. Comme le profil du forward que le Sporting a en vue épouse celui de Tommy- il suffit de songer au Néerlandais Ali Elkhattabi ou encore à l’Estonien Andres Oper-, je me dis que l’avenir de Tommy ne se présente pas sous les meilleurs auspices au Sporting. Quoiqu’on puisse penser aussi, évidemment, que ces gars-là doivent servir de solution de rechange en cas de départ de mon joueur. Mais je penche plutôt pour le premier cas de figure.

Franky Vercauteren a-t-il tort, d’après vous, quand il observe que Tomasz Radzinski a livré une saison honnête, sans plus?

Je trouve, effectivement, que c’est faire très peu de cas des mérites du garçon. Tommy a inscrit vingt-trois buts en championnat, un en Coupe de Belgique et cinq en Ligue des Champions. Il a délivré neuf assists et une demi-douzaine de coups de réparation ont été accordés suite à des interventions fautives sur lui. Dès lors, je pose la question: que faut-il de plus pour trouver grâce aux yeux du staff technique?

Un peu plus de régularité dans les prestations, peut-être. Car il convient quand même d’avouer qu’avec lui, c’est souvent tout ou rien: soit il est étincelant, soit il est complètement méconnaissable.

La constance n’est pas son maître-atout, c’est vrai. Mais je reste persuadé qu’un Tomasz Radzinski à cinquante pour cent de ses moyens se révèle encore plus utile au collectif que tout autre joueur. Un exemple parmi d’autres: Westerlo-Anderlecht, où il avait effectivement loupé pas mal d’occasions avant de scorer enfin à la septantième minute. Peu après, il fut remplacé par Souleymane Youla. Dans un forcing effréné, le Sporting bénéficia d’un penalty. Comme Tommy, qui n’avait pas loupé la conversion d’un seul d’entre eux, jusque là, n’était plus sur le terrain, c’est Bertrand Crasson qui se chargea de cette tâche. Et qui le loupa. Ce qui m’autorise à dire que si mon protégé était resté entre les lignes jusqu’au bout, non seulement ce jour-là mais à dix-neuf autres reprises, jamais les Mauves n’auraient dû attendre la fin du championnat avant de se parer du vingt-sixième titre de leur histoire.

Bruno Govers

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