Le main du maître

Lorsque Pep Guardiola a débarqué à Manchester City durant l’été 2016, il a directement rassemblé les jardiniers. Il voulait leur parler du gazon. Il a précisé de manière très détaillée tout ce qu’il attendait d’eux, comment la pelouse devait être tondue. Dans le stade, a-t-il expliqué, le gazon ne devait pas dépasser 19 millimètres, comme il l’avait exigé précédemment à Barcelone et au Bayern Munich.

Les jardiniers lui ont gentiment signalé qu’à Manchester, il fallait quand même tenir compte du climat, qui n’est pas aussi doux qu’en Catalogne et qui peut parfois se révéler très humide. Pour cette raison, estimaient-ils, il était préférable que l’herbe soit un peu plus haute.

Un compromis a été trouvé : durant les mois d’hiver, les brins d’herbe de l’Etihad Stadium pourraient atteindre 23 millimètres. Sur les terrains d’entraînement, qui sont plus souvent utilisés, ils sont de toute façon plus hauts. En ce qui concerne l’arrosage des terrains, Guardiola s’est montré inflexible.

Pour développer le football de combinaison ultra-rapide qu’il préconise, la pelouse doit forcément être humide. Les jardiniers ont donc dû l’arroser plus fréquemment qu’à l’habitude. Parfois, les appareils d’arrosage n’entraient en action que lorsque les joueurs montaient sur la pelouse pour s’entraîner.

Sa devise : plutôt mourir au combat que se rendre

Ce n’est que l’une des nombreuses anecdotes illustrant le fait que Pep Guardiola s’intéresse à chaque aspect du club où il travaille. Rien ne lui échappe. Lorsqu’il a débarqué en Premier League, il avait déclaré  » que ce serait arrogant d’arriver dans le pays qui a inventé le football en pensant qu’il faut changer certaines choses « . Pourtant, c’est bien ce qu’il a fait.

Au terme de sa première saison à la tête des Citizens, il est cependant resté les mains vides. Gary Neville, ancien joueur de Manchester United et désormais analyste, s’est demandé ouvertement si Guardiola parviendrait à devenir champion d’Angleterre avec sa manière de jouer.

Il trouvait que City n’avait pas de ‘colonne vertébrale’, ne dégageait pas assez de puissance et ne témoignait pas d’un grand esprit d’entreprise. Un an plus tard, il a dû complètement revoir son point de vue. City a remporté le titre et la Coupe de la League. Et Guardiola a réussi cet exploit sans modifier son style.

Longtemps, il a dû subir des remarques à propos de son gardien censé participer au jeu. On a voulu lui faire croire que cela ne pouvait pas marcher en Angleterre. Mais le Catalan, têtu comme pas deux, a répondu qu’il n’abandonnerait pas ses principes ‘aussi longtemps qu’il était entraîneur’.

Guardiola préfère mourir avec eux. César Luis Menotti, le légendaire coach argentin, l’a un jour qualifié de ‘Che Guevara du football.’ Plutôt mourir au combat que se rendre. Il lui a fallu du temps pour le trouver, mais aujourd’hui, Guardiola possède enfin avec

Ederson un gardien qui a de bons pieds. Jadis, au Bayern Munich, il avait fait de Manuel Neuer son onzième joueur de champ.

Et à Barcelone, alors qu’il était encore un coach débutant, il en avait fait de même avec Víctor Valdés. Aujourd’hui, on sait que c’est l’une des marques de fabrique des équipes que Guardiola entraîne, mais à l’époque, ce n’était pas aussi évident.

Partout où il va, il rend les joueurs meilleurs

Après avoir entendu pour la première fois les projets de son entraîneur, Valdés a douté. Il a demandé à voir Guardiola et les deux hommes ont tenu la conversation suivante :

Valdés : ‘Puis-je vous parler, coach ? ‘

Guardiola : ‘Ma porte est toujours ouverte…’

Valdés : ‘Je dois tout de même vous poser une question. Tout ce que vous dites, semble très intéressant en théorie, mais cela ne peut fonctionner que si les défenseurs centraux demandent le ballon.’

Guardiola : ‘Je ferai en sorte qu’ils demandent le ballon.’

Cette dernière anecdote en dit long sur l’énergie que Guardiola veut transmettre à ses joueurs. Il l’a fait au Barça, au Bayern et aujourd’hui aussi à City. Il considère toujours que convaincre ses joueurs de croire en lui et en ses principes est l’un des plus grands défis auxquels il est confronté dans son boulot.

Il n’y est pas toujours parvenu, dans le passé. De fortes personnalités comme Zlatan Ibrahimovic, Samuel Eto’o et Yaya Touré n’ont pas toujours été tendres envers Guardiola, à la fin de leur collaboration. Selon eux, il serait trop froid, et Touré a même accusé son ancien coach de racisme.

Cela semble peu probable, vu que Dani Alves, Seydou Keita, David Alaba et Raheem Sterling ont complètement explosé sous la direction du Catalan. C’est aussi l’un des mérites de Guardiola : partout où il va, il rend les joueurs meilleurs. L’histoire de Philipp Lahm, qu’il a converti d’arrière latéral en milieu défensif, est connue.

Le sélectionneur Joachim Löw s’est, dans un premier temps, gratté le nez, puis a acquiescé et a finalement aligné six joueurs du Bayern de Guardiola en finale de la Coupe du monde 2014 au Brésil. Et même si, contre l’Argentine, Lahm a joué à sa position de prédilection comme arrière droit, Löw l’a parfois aligné dans l’entrejeu lors de certains matches également.

Il corrige la poignée de main molle de De Bruyne

Le fait que Guardiola a aligné Kevin De Bruyne dans une position plus centrale à City, a aussi donné des idées à Roberto Martínez. Guardiola aurait longuement discuté de football avec le Belge. Mais ils ne discutent pas uniquement du jeu, comme l’a expliqué l’entraîneur l’an passé lorsqu’il a fait acte de présence à la KDB Cup à Tronchiennes, près de Gand.

Il a confié, en riant, à la maman De Bruyne : ‘Les poignées de main de Kevin sont souvent molles, mais je le corrige ! Je lui explique comment il faut faire.’ De Bruyne est un joueur avec lequel Guardiola aime travailler : un mot suffit pour qu’il comprenne tout et il n’est jamais avare d’efforts. ‘C’est toujours plus facile lorsque l’un de vos meilleurs joueurs travaille dur et court plus que les autres. Ses coéquipiers ne peuvent invoquer aucune excuse, dans ce cas.’

Lorsqu’un footballeur est à l’écoute, Guardiola le prend sous son aile protectrice et lui donne la chance d’apprendre au contact du maître. Ce sont souvent des leçons prises avec enthousiasme. Javier Mascherano l’a expliqué de belle manière lorsqu’il a évoqué la manière dont a été préparée la finale de la Ligue des Champions 2011 entre le Barça et Manchester United :

‘Lorsqu’il parlait, on n’avait pas l’impression qu’il évoquait un match que nous étions sur le point de disputer, mais plutôt que nous étions en train de jouer. Il gesticulait devant le tableau noir et, lorsqu’on fermait les yeux, on se croyait en plein milieu de l’action. Tout ce qu’il disait se réalisait exactement comme il l’avait prédit. Pendant le match, je me disais constamment : mais j’ai déjà vécu ce scénario ! Simplement, parce que Pep l’avait expliqué au préalable.’

Sous son costume élégant se cache l’ombre d’un fils de maçon

A l’entraînement, on voit souvent Guardiola discuter avec les joueurs, mais son influence ne se limite pas à cela. Il tente d’instaurer un état d’esprit positif. Dans son travail aussi, il est toujours positif, car il se sent privilégié. C’est lié à son passé. David Trueba, l’écrivain et réalisateur qui connaît Guardiola par coeur, affirme à ce propos :

‘Personne n’a jamais prêté une très forte attention au fait, pourtant fondamental, que Guardiola est le fils d’un maçon. Pour Pep, son père est un exemple d’intégrité et de dur labeur. La famille dans laquelle il a grandi à Santpedor lui a inculqué des valeurs anciennes, datant d’une époque où les parents n’avaient pas d’argent ou de terre à léguer à leurs enfants. Si l’on veut analyser Guardiola, on ne peut pas oublier que sous son costume élégant ou sa veste en cachemire, se cache l’ombre d’un fils de maçon.’

Guardiola ne manque jamais de rappeler à ses joueurs qu’ils sont des privilégiés. Pablo Zabaleta, qui était encore l’arrière droit titulaire à City durant la première saison de Guardiola, s’en souvient : ‘Il nous a montré une vidéo très émouvante. J’étais au bord des larmes. D’autres joueurs ont carrément pleuré. La vidéo évoquait des gens de Barcelone qui travaillaient avec des immigrants, ils sortaient ces personnes de la rue.

Il a aussi montré cette vidéo aux kinés et à d’autres membres du staff, et a dit : ‘Je veux que vous preniez tous conscience de la chance que nous avons de faire ce que nous faisons. Nous habitons dans les plus belles villas, nous avons le plus beau centre d’entraînement et nous séjournons dans les meilleurs hôtels. »

En étant conscient d’être un privilégié, Guardiola se montre également très exigeant envers ses joueurs. L’Islandais Eidur Gudjohnsen, a raconté une anecdote à ce sujet. Il s’est demandé comment faire pour recevoir plus de temps de jeu et ce qu’il devait donner pour cela. ‘Ta vie’, a répondu Pep.

Ses amendes pour retard sont établies en fonction du salaire

Durant ses premières années comme entraîneur, Guardiola n’était pas encore très à l’aise dans son rôle de people manager et il éprouvait des difficultés à faire la différence entre l’homme et le footballeur, mais à Manchester City, il semble avoir changé. Lorsque le fils de David Silva est né prématuré, Guardiola a directement réagi : ‘David, dis-moi à quel moment tu devras te rendre en Espagne et nous nous adapterons.’

D’un autre côté, il ne passe rien aux vedettes. Les amendes pour retard, par exemple, sont établies en fonction du salaire. Si Phil Foden s’assoupit, il devra payer moins que si c’est Sergio Agüero qui n’arrive pas à l’heure au rendez-vous.

La différence entre Guardiola et un autre entraîneur, est que le Catalan transforme les clubs dans lesquels il passe. En ce qui concerne le FC Barcelone, on ne doit pas faire un dessin. Mais c’était aussi le cas au Bayern Munich.

L’héritage qu’il a laissé, ce ne sont pas les trois titres qu’il a remporté, mais la manière dont il a rendu tout le monde meilleur au sein du club. Il y a aussi, naturellement, l’impact qu’il laisse sur la culture footballistique du pays dans lequel il travaille.

Thiago Alcántara, le milieu de terrain que Guardiola a fait venir à Munich, a affirmé que son coach avait ‘changé la conception du football allemand’. Alors que celui-ci était traditionnellement basé sur la puissance et l’efficacité, Pep a mis l’accent sur la possession du ballon. C’est une philosophie que d’autres clubs de Bundesliga ont désormais adoptée, à l’image du Borussia Dortmund de Lucien Favre, un adepte de Guardiola.

A City également, on prie pour que le travail de Guardiola ne reste pas sans lendemain. La direction du club espère que l’entraîneur, dont le contrat court encore jusqu’en 2021, acceptera de s’établir définitivement à Manchester. Il aime la ville, il se rend régulièrement à des concerts et au restaurant avec sa femme Cristina et ses enfants Valentina, Marius et Maria.

Mais l’histoire nous enseigne que sa longévité est généralement limitée dans le temps. Précisément parce qu’il est très exigeant et travaille intensivement, ses collaborateurs sont souvent contents lorsqu’il part. Mais ils se rendent compte par la suite qu’il a changé énormément de choses, dans un sens positif.

Il deviendra un jour le président du Barça

En outre, il y a l’appel de son pays, de sa Catalogne. Il est écrit dans les astres qu’il deviendra un jour le président du FC Barcelone, le club qui restera éternellement dans son coeur. Et avec lequel il a remporté à deux reprises la Ligue des Champions.

Il n’a pas réussi à ramener la coupe aux grandes oreilles à Munich, mais peut-être y parviendra-t-il avec City. Ce serait le triomphe de son football.

L’amour du toro

Partout où Pep Guardiola passe, il introduit le toro, la technique d’entraînement qu’il utilise le plus souvent. Pour beaucoup de footballeurs, il s’agit d’un petit jeu d’échauffement ludique, mais pour le Catalan, c’est bien plus que cela : cela représente la vitesse d’exécution, le maniement de ballon et la tactique défensive.

Trois éléments qu’il considère comme cruciaux pour pouvoir mettre en place son football total. Le principe de base est très simple : sept joueurs se trouvent dans un cercle et font circuler le ballon. Deux ‘défenseurs’ exercent un pressing dans le cercle afin de conquérir le ballon ou forcer une mauvaise passe. Si l’un d’eux y parvient, il prend la place de celui qui a commis l’erreur.

Faire des passes en un temps, maintenir le ballon au sol ou dans les airs : il existe différentes variantes. Il a utilisé cette méthode tant à Barcelone qu’au Bayern ou à Manchester City. Lorsque les joueurs maîtrisent parfaitement ce petit exercice, c’est impressionnant à voir. C’est simple, mais c’est agréable. Et les footballeurs apprécient également.

Ce petit jeu illustre la philosophie de Guardiola dans sa forme la plus pure : de nombreuses passes rapides et simples, faire courir le ballon et ne pas laisser à l’adversaire la possibilité de s’emparer de celui-ci.  » On doit être amoureux du ballon, mais aussi vouloir s’en débarrasser le plus vite possible. Comme une patate chaude « , explique le Catalan.

Pep Guardiola donne ses instructions à Kevin De Bruyne. Le Catalan et le Belge parlent souvent football ensemble.
Pep Guardiola donne ses instructions à Kevin De Bruyne. Le Catalan et le Belge parlent souvent football ensemble.© belgaimage & Getty images

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