Le livre d’Eli

De Dakar à Oostakker, de gardien de but à attaquant, le Sénégalais de Gand a multiplié les grands écarts dans sa carrière. Rencontre.

C’est ce qu’on appelle un echte Gentenaar. Quand Elimane Coulibaly reçoit, c’est chez lui, dans sa ville, là où il a débarqué du Sénégal il y a près de douze ans. Cet environnement, il ne l’a jamais réellement quitté ou alors pour se poser comme aujourd’hui dans la banlieue gantoise. Elimane connaît tout de Gand, du café branché du centre où se déroule l’entretien jusqu’aux petites buvettes des séries provinciales.

 » Je n’ai par exemple jamais mis les pieds à Matongé, je ne connais quasiment rien de Bruxelles. Ou alors la gare du Midi puis son métro qui m’amenait à mes cours d’électricité. Mais dès qu’ils étaient finis, je retournais directement chez moi, à Gand. « 

Elimane n’a jamais eu pour habitude de faire comme les autres. Le personnage est lui-même fait de contradictions. Guerrier démonstratif sur le terrain, il se transforme en force tranquille en dehors. Quant au parcours, il ne ressemble à quiconque chez les footballeurs de l’élite. Son itinéraire est à mille lieux de celui répété du footballeur africain doué balle au pied qui arrive en Europe pour fuir la pauvreté.  » Je suis issu d’une famille plutôt aisée où tout le monde est instruit. L’Europe c’était pour moi le moyen d’être mieux que mon père, c’était l’Eldorado. « 

Famille aisée

Quand Elimane atterrit sur le sol belge, il a 19 ans. Il part rejoindre sa famille  » blanche  » installée à Gand et se met rapidement à la recherche d’un boulot.  » En débarquant en Belgique jamais je ne m’imaginais devenir footballeur. Mon but c’était de travailler et de décrocher mon diplôme d’électricien, que j’ai d’ailleurs obtenu au bout de deux ans. Je n’avais jamais travaillé jusque-là. J’ai quitté une famille où l’on vivait bien, qui m’avait inscrit dans une école privée. Mes deux dernières années en Afrique ont été plus compliquées, je filais du mauvais coton. C’était les filles, les sorties qui m’obnubilaient. Et pour cela, il me fallait les plus beaux habits et les bêtises qui vont avec… « 

En Belgique, le décor est moins rose. Au-delà des hivers glacials, le Sénégalais comprend rapidement qu’il n’est pas le bienvenu pour tous.  » Quand j’ai pris pour la première fois le bus, je n’ai vu que des Blancs. Je m’asseyais à un endroit, je voyais aussitôt les gens s’éloigner de moi. Quand tu as 19 ans, tu ne comprends pas ce qui se passe. Les insultes, tu ne les saisis pas au départ, mais quand c’est le cas, tu dérapes. Je me suis bagarré plusieurs fois à cause de ça. J’ai même perdu un job car j’ai répondu physiquement à des insultes racistes qui visaient des collègues rwandais. Le clin d’£il de l’histoire, c’est que la société d’où j’ai été viré est sponsor de Gand. Le big boss est aujourd’hui un pote. « 

Ses premières payes, ce n’est pas le football qui les lui offre mais un job dans le bâtiment avant d’intégrer une société de nettoyage :  » Quand je voyais un Européen revenir au pays, bien habillé, avec cette image de réussite sociale, j’avais envie de faire pareil. Seulement on décrypte vite la réalité en arrivant en Europe. On s’aperçoit que pas mal d’Africains souffrent, qu’ils vivent dans des conditions difficiles. Je connais l’histoire de beaucoup d’entre eux, de personnes qui n’ont pas de papiers, pas de travail et donc pas d’argent. D’Afrique, on a une image faussée de l’Europe. Désormais, quand je retourne au bled, je suis en short, sans marque : je ne veux pas que mes compatriotes soient aveuglés par une réussite financière qui ne touche finalement que peu de personnes.  »

La mort de son frère

Le foot n’arrivera que sur la pointe des pieds.  » J’ai véritablement démarré à Oostakker, dans la deuxième réserve de l’équipe première qui évoluait en P1. J’étais avec des gars de 40 ans, j’en avais 19. J’avais d’abord tenté ma chance au Racing Gand mais physiquement j’étais à la ramasse. En Afrique, j’ai été formé comme libéro dans mon équipe de quartier. Mais vers 15 ans, j’ai arrêté pour me tourner vers le basket ou j’évoluais avec mon frère de deux ans mon aîné. Malheureusement, il s’est noyé. Le jour de sa mort, j’aurais dû l’accompagner mais assez bizarrement j’avais choisi de jouer avec des copains au foot. Je n’ai plus jamais rejoué au basket, j’associe ce sport à mon frère. J’ai donc repris le foot et mon poste de défenseur avant de passer gardien avec les grands pendant deux ans. Avant de débarquer en Belgique, je n’avais donc jamais joué à l’attaque… Et même à mes débuts à Oostakker, on m’a placé au back droit…  »

Le colosse de Dakar va connaître pendant cinq ans le milieu du foot provincial.  » Une belle période durant laquelle je gagnais bien ma vie puisque je combinais foot et travail. Et je ne m’entraînais qu’une fois par semaine… « 

L’été 2005, il décide de répondre à l’appel de Deinze (D2) et devient à 24 ans, joueur de foot pro pour la première fois de sa vie.  » Malgré l’écart entre la 1re Provinciale et la D2, mon début de saison était parfait. Jusqu’à ce que je me blesse gravement au genou après seulement quelques matches de championnat. Les médecins pensaient que ma carrière était finie, voire que je ne pourrais plus marcher normalement. Ma vie a totalement changé, j’étais devenu pro depuis quelques mois et tout s’écroulait. J’ai dû réapprendre à marcher, les fins de mois devenaient très difficiles, des amis ont dû m’aider à payer le loyer. S’il y a bien une constance dans ma carrière c’est le fait d’avoir toujours dû me battre pour réussir. Aujourd’hui, je travaille plus que les autres. J’ai par exemple un entraîneur privé que je paie de ma poche. Je travaille avec lui la finition, pied gauche, pied droit, les enchaînements. J’ai des défauts techniques ; je dois travailler pour les atténuer. Ma musculature est par contre naturelle. Je fais parfois des pompes pour m’entretenir : 300 le matin ou 300 le soir. Mais j’essaie de ne pas trop développer le haut car ça peut restreindre ma mobilité sur un terrain. « 

Sale caractère

Son mètre 90 lesté de 88 kilos a souvent fait dégâts dans les 16 mètres mais pas seulement.  » Je m’énerve beaucoup et je suis imposant. Je sais que la combinaison des deux peut faire peur. Quand je me regarde à la télé, je me dis – Houlà ! Et la tv flamande sait très bien que je peux m’exciter et n’hésite pas à me coller une caméra sur le dos. Je ne dois pas non plus oublier que c’est cette volonté qui m’a permis d’arriver là où j’en suis alors que je n’avais aucune qualité au départ. Dans la vie, je n’ai pas un mauvais caractère mais sur le terrain, oui. Je déteste perdre, même à l’entraînement. Je me bagarre tous les jours, je vais gueuler sur les autres parce qu’on a perdu un simple démarquage. Si on me voit sur un terrain de foot avec Yassine El Ghanassy, tout le monde va penser que je le déteste. Et pourtant je l’adore et il le sait. Je suis le seul qui lui gueule dessus au sein de l’équipe, et c’est tous les jours, tout le temps. Et pourtant il se met toujours à côté de moi, ça veut dire qu’il y a une complicité.

Si je me mets une telle pression, c’est parce que je sais que pas mal d’amis me regardent, qu’ils sont contents quand ça marche pour moi. A l’inverse quand je me frotte avec Carl Hoefkens (voir cadre), quand on me critique à la télé, je me remets en question. Je ne peux plus me permettre d’avoir une image négative. Sur un terrain, c’est dorénavant plus difficile pour moi, je ne vais plus au duel à 100 % car on me regarde différemment depuis l’épisode Hoefkens. Je reçois des coups, pas de problèmes, mais si moi j’y vais un peu trop fort, je sais que je vais prendre un carton. Et pourtant, les duels c’est mon jeu. Avant de monter sur la pelouse, des arbitres me disent :- Eli, calme aujourd’hui.  »

Fin de contrat

En fin de contrat un juin prochain, il se pourrait que l’enfant de Dakar dispute sa dernière saison à Gand.

 » Je n’aurais logiquement déjà plus dû être à Gand mais en Turquie. J’avais trouvé un accord cet été avec Gençlerbirligi où entraîne le Belge Fuat Capa. Vu que je ne faisais plus partie des plans de Trond Sollied qui pensait me voir partir, j’ai loupé toute la préparation, je n’ai pas disputé de match amical. Psychologiquement, ça n’a pas été facile pour moi d’autant que mon image s’est un peu brisée auprès de supporters et de certaines personnes dans le club.

L’hiver dernier, j’avais déjà failli partir et me retrouver au Standard. Mais là, c’est moi qui ai fait capoter la transaction. On m’avait demandé de faire un test médical alors qu’on ne m’avait pas encore parlé de mon contrat. J’ai quand même fini par le passer. Mais lors des négociations, j’ai dit stop. Le Standard voulait un attaquant mais j’ai compris qu’il ne désirait pas en priorité Coulibaly. J’étais une sorte de bouche-trou. Et pourtant, tout était réuni pour que je signe au Standard, j’y aurais perçu un beau contrat. Pour ne rien arranger, il y a aussi ce manager que je ne connaissais pas qui s’est immiscé dans les négociations. J’ai souvent été trahi, dans la vie, mais dans le foot c’est pire que tout. Y a beaucoup de menteurs, les personnes fausses sont monnaie courante. Exemple : il ne m’arrivera jamais de casser quelqu’un que je n’aime pas auprès d’un autre journaliste et pourtant, il y en a beaucoup qui jouent à ce petit jeu. Quand un coéquipier me vise dans la presse, je n’hésite pas à me faire entendre. Parfois, c’est Louwagie qui doit me calmer. Le foot est un sale milieu, bourré d’hypocrites. Pour avoir une image positive, malheureusement il vaut mieux l’être. Mais je ne veux non plus noircir le tableau : j’ai aussi fait la connaissance de coéquipiers super. Comme Luigi Pieroni notamment qui était pourtant un concurrent direct. Malgré ses problèmes privés, malgré son statut de réserviste, il est toujours resté droit dans ses bottes. KarimBelhocine fait aussi partie de cette trempe-là. Et pourtant, la première fois que je l’ai rencontré, lors d’un Courtrai-Virton en D2, on s’est embrouillé sur le terrain. Mais ça fait partie du sport.  »

Actes racistes

Le racisme, par contre…  » Je dois reconnaître que je le ressens beaucoup moins qu’avant. La dernière fois que j’y ai été confronté c’était avec Jelle Van Damme qui m’avait fait le geste que je puais. C’est Romelu Lukaku, un gamin, qui avait dû me calmer ce jour-là. Après coup, j’ai tendance à croire que c’est davantage de la provocation afin de me mettre hors du match. Même si je n’aime pas la manière, je ne crois pas que c’était méchant. Van Damme est d’ailleurs venu me saluer quand je l’ai rencontré lors des play-offs. En Provinciale, c’était bien pire, bien plus direct, du type – Y a un arbre là-bas,vas-y !, qu’on me balançait en pleine face. Et là tu exploses mais j’attendais tout le temps la fin du match pour m’expliquer… Aujourd’hui, si ça devait se reproduire, je regarderais la personne avec pitié. Je ne me vois plus me battre dans la rue comme ça pouvait m’arriver plus jeune.  »

Elimane Coulibaly a aujourd’hui passé la trentaine. Si ce Lion de la Teranga se dit plus en forme que jamais, il estime ses chances minimes de jouer un jour pour la sélection sénégalaise.  » Il faut voir ce qu’il y a devant. Pape Cissé, Demba Ba, Moussa Sow ou encore Mamadou Niang, c’est du costaud.  »

Sa contribution au pays passe plutôt par un centre de formation à Dakar qui porte son nom et qu’il autofinance, avant des projets plus importants encore.

 » La Belgique ? Je serais fier de jouer pour les Diables si on m’appelait, je ne vais pas le cacher. Ce serait une fierté pour moi. J’adore ce pays. « 

PAR THOMAS BRICMONT

 » J’ai des défauts techniques : je dois travailler pour les atténuer. C’est pourquoi je paye un coach personnel. « 

 » Le Standard voulait un attaquant mais j’ai compris qu’il ne désirait pas en priorité Coulibaly. « 

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