« Le leadership est inné »

Les confidences du président belge du Comité international olympique sur son mode de fonctionnement.

Le second mandat de Jacques Rogge à la présidence du CIO s’achève en 2013. Depuis son élection à ce poste en 2001, il a encouragé la lutte contre le dopage, il a combattu la corruption au sein du CIO, a mis un terme au gigantisme des Jeux et a assaini les finances du CIO. Cet ancien sportif de haut niveau, chirurgien orthopédiste, est surnommé Mister Clean et Lord of the Rings, allusion aux cinq anneaux olympiques. Grâce à ses nombreux contacts avec des personnalités de premier plan, Rogge offre à la Belgique une image positive en ces temps particulièrement sombres.

Vous interpelle-t-on fréquemment, à l’étranger, sur la situation de la Belgique ?

Jacques Rogge : Depuis des années, on me parle de l’image parfois tronquée que les étrangers ont de nos problèmes communautaires. Les gens s’interrogent sur l’avenir de la Belgique et la cohabitation difficile des communautés. Globalement, ils sont plus pessimistes que nous, même si l’avenir de notre pays me tracasse beaucoup. J’éprouve pourtant beaucoup de respect pour les politiciens. Ils sont face à un problème : ils doivent prendre les décisions nécessaires, risquant ainsi d’être pénalisés aux élections. La difficulté du dialogue entre les communautés ne facilite pas non plus le dialogue entre les ligues sportives, même si on ne remarque aucun problème entre les athlètes. C’est au niveau des organes de décision, avec cette structure rigide d’ailes flamande et francophone coiffées d’une coupole nationale, que cela peut poser problème.

Cela diminue-t-il nos chances d’organiser de grands événements sportifs ?

Une condition de base est requise : les deux côtés de la frontière linguistique doivent conclure un pacte sacré. L’EURO 2000, organisé avec les Pays-Bas, a été un succès, notamment grâce au soutien du monde politique. Si nous voulons réussir à organiser le Mondial de football 2018 ou, un jour, les Jeux olympiques, il faut rétablir ce pacte.

Vous êtes l’homme le plus puissant du monde sportif. Comment jouez-vous votre rôle de leader ?

On attend de moi que je résolve les problèmes de l’association que je dirige mais je reste moi-même. Je ne me lève pas en me disant :  » Aujourd’hui, je dois afficher mon autorité « . Je fais ce que j’ai à faire. Le leadership est inné, on ne l’apprend pas. C’est aussi une question de sens des responsabilités. Je ne dirai pas qu’il faut s’inscrire à la faculté de médecine pour devenir président du CIO (il rit), mais la médecine vous apprend à prendre vos responsabilités. On apprend à écouter les plaintes des patients. On doit poser un diagnostic clair et analytique du problème et prendre des mesures. On doit veiller à ce que le patient accepte ces mesures et collabore. Dans beaucoup de domaines, on impose des décisions sans que les autres les acceptent vraiment. On apprend aussi à être humble. Les maladies vous confrontent à vos limites.

On vous considère comme le père d’un CIO financièrement sain. Pourtant, vous n’avez aucun passé financier. Où avez-vous puisé vos connaissances ?

C’est très simple. Il faut engager les bonnes personnes. Le siège du CIO se trouve en Suisse. Nous avons embauché un excellent expert pour le poste de directeur financier. Nous appliquons aussi les techniques bancaires les plus sûres, en optant pour des placements sans risque. Le bon sens doit primer dans ces matières. J’ai toujours £uvré en bon père de famille, en fonction de nos avoirs, sans jamais investir dans des produits complexes, même si on nous en a proposés. Nous n’avons donc pas rencontré de problème, même en pleine crise financière.

Si les banques avaient un CEO comme vous…

Oui et non. Mon objectif est tout simplement de placer le patrimoine du sport en sécurité. Les banquiers, eux, doivent faire du bénéfice. C’est là-dessus qu’on les juge. Nos objectifs diffèrent donc. En tant que CEO, je ne suis pas important, je suis le patron d’une PME mondiale. Le CIO génère un budget important, un milliard d’euros par an, mais nous répartissons 94 % de nos revenus entre les comités nationaux. Je ne suis donc pas un grand CEO. Considérez-moi plutôt comme un missionnaire du sport. Me faut-il des talents diplomatiques pour ce poste ? Je travaille avec 205 pays différents, avec le monde politique et avec le milieu des entreprises. Ce n’est pas si difficile quand on est passionné par son travail ? Or, le sport me passionne, de même que sa valeur éducative.

Quelle est votre plus belle réalisation ?

Etre resté moi-même, sans attraper le gros cou. A la maison, ma femme et mes enfants m’aident à rester les pieds sur terre. Je suis aussi capable de relativiser. De manière saine, car on peut s’y prendre avec cynisme aussi. C’est inné. Je ne dois pas faire d’effort. Je comprends aussi que ma fonction est temporaire. Dans trois ans, c’est terminé. Je ne suis que le dirigeant d’un groupe. J’aurais pu mieux faire certaines choses. Est-ce que j’éprouve des regrets à propos d’une décision importante ? Non, parce que chacune faisait l’objet d’un consensus. On ne risque pas grand-chose en étant soutenu dans une décision. Par contre, les décisions importantes qu’on prend seul sont souvent sources de problèmes.

Quel est le meilleur conseil qu’on vous a jamais prodigué ?

Rester soi-même. Mes entraîneurs me le conseillaient déjà quand j’étais sportif. Rester soi-même implique aussi de tenter de développer au maximum ses talents. Il faut aussi réaliser qu’on n’est pas superman, même quand on atteint son objectif. D’ailleurs, sportif, j’ai perdu plus de compétitions que je n’en ai gagnées. La défaite est inhérente au sport.

Vous le dites vous-même, vous êtes un alcoolique du travail. Que ferez-vous au terme de votre mandat présidentiel ?

Je resterai un alcoolique du travail ! (Rires) C’est dans ma nature. Je suis un travailleur. Mais je vais pouvoir refaire du sport de manière active, ce qui m’est pratiquement impossible à cause de mes nombreux voyages. J’essaie de rester en forme en m’adonnant au vélo ou à la course et en effectuant du power-training, avec modération J’aimerais reprendre la voile. Et j’adore lire. J’ai aussi une passion pour l’art. Où que je sois dans le monde, j’essaie de visiter des galeries et je vais pouvoir donner libre cours à mon intérêt pour l’art moderne et contemporain. J’ai aussi une famille et comme ancien président du CIO, je vais rester impliqué dans les Jeux mais on n’attendra heureusement plus de moi que je règle les problèmes. Je profiterai donc mieux du sport.

Comment aimeriez-vous qu’on se souvienne de vous ?

Ma gestion s’appuie sur quelques grands piliers. J’ai surtout voulu rétablir les valeurs du sport, lutter contre le dopage et les paris illégaux. Nous avons aussi sensiblement amélioré les règles destinées aux athlètes et aux jurys et veillé à ce que les Jeux soient bien organisés. Les finances se portent bien. J’ai innové en mettant sus pied les Jeux olympiques juniors. Reste à voir si je pourrai suivre tout ça du paradis ou de l’enfer.

Ce sera sans doute du paradis ?

(Rires) Je l’ignore. Je ne suis pas pressé d’opérer le bilan de ce que j’ai fait. Je me concentre sur les trois prochaines années. Je ne vais pas achever mon mandat en roue libre ni devenir un lame duck (canard boiteux) comme le président des Etats-Unis durant son second mandat. Jusqu’au dernier jour, j’assumerai mes responsabilités et je transmettrai à mon successeur le meilleur CIO possible.

PAR BERT LAUWERS – PHOTOS: REPORTERS

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