Le kop et la tête

L’ancien attaquant israélien des Rouches accorde 30 % de chances de qualification aux Liégeois lors de leur déplacement à Anfield.

Seul joueur à avoir défendu à la fois les couleurs du Standard et de Liverpool, l’Israélien Ronny Rosenthal était, mercredi passé, à Sclessin, un spectateur attentif du clash entre ses deux anciens employeurs. S’il prévoit une qualification des Reds, il avoue avoir été enthousiasmé par les Rouches, qu’il juge beaucoup plus saignants qu’à son époque.

Ronny Rosenthal : Autant Anderlecht m’avait déçu lors de son double affrontement avec Liverpool en 2005-06, autant le Standard m’a séduit ce coup-ci. Comparaison n’est, pour autant, pas raison, dans la mesure où le Sporting avait dû composer, en son temps, avec un team déjà bien en jambes alors que les hommes de Rafael Benitez étaient encore en pleine période de rodage lors de leur visite à Sclessin. Il n’empêche qu’il y avait très longtemps que je n’avais plus vu une formation belge aussi sémillante sur la scène européenne. Le nouveau coach des Liégeois, Laszlo Bölöni, a eu le bon goût de jouer crânement son va-tout face aux joueurs anglais. La malchance, dans le chef de Marouane Fellaini, ainsi que la maladresse de Dante et Igor de Camargo, surtout, ne lui ont malheureusement pas permis de se forger un viatique suffisant avant le retour à Anfield Road. Mais, en soi, le nul vierge réalisé à l’aller n’est pas un mauvais résultat. Si les Principautaires évoluent à nouveau sans complexe chez les Reds, je suis même d’avis qu’ils sont capables de réussir au-delà des espérances là-bas.

Quels éléments vous ont tout particulièrement marqué à l’occasion de ce match aller ?

En tout premier lieu, j’ai apprécié l’approche de l’entraîneur roumain du Standard qui, nonobstant la valeur de l’opposition, a choisi d’imposer sa propre griffe au lieu de s’adapter aux insulaires. En l’absence d’Oguchi Onyewu, bon nombre de mentors auraient sans doute opté en faveur d’une titularisation de Fellaini dans l’axe central de la défense. L’ancien coach de l’AS Nancy a préféré, à raison à mes yeux, ne pas modifier ses batteries afin de tabler tant et plus sur les automatismes forgés par Michel Preud’homme en 2007-2008. Il a eu l’immense mérite aussi de se prononcer résolument en faveur d’une inclination offensive alors que d’autres, confrontés aux mêmes Reds, auraient vraisemblablement redoublé de prudence. C’est plus facile à dire qu’à faire, sans doute, mais si on veut franchement titiller les gars de la Mersey, il convient de jouer résolument la fleur au fusil. Par les flancs, surtout, où Liverpool est vulnérable car ni Andrea Dossena ni Alvaro Arbeola n’y règnent en maîtres. C’est d’ailleurs là que le Standard a fait la différence, en tout début de partie surtout, par l’entremise de Wilfried Dalmat. Celui-là, honnêtement, je ne le connaissais pas, contrairement à des garçons comme Steven Defour, Fellaini, Mohamed Sarr ou encore Dieumerci Mbokani, que j’avais vus à l’£uvre par le passé et qui ne recelaient plus le moindre secret pour moi. Eu égard à son incroyable facilité de geste ainsi qu’à ses qualités à la percussion, je me demande réellement ce qu’un joueur de ce calibre pouvait bien faire à Mons. C’est la preuve, s’il en est, que la Belgique, même dans ses clubs les moins huppés, possède toujours l’un ou l’autre footeux des plus intéressants. Comme cet arrière latéral de Beveren, Emmanuel Eboué, qui s’est épanoui pleinement à Arsenal entre-temps. Ou encore Yaya Touré au FC Barcelone.

 » Le football belge est riche en profondeur « 

Vous suivez toujours assidûment le football belge ?

Pour avoir évolué tour à tour au Club Bruges et au Standard, il tombe sous le sens que le sport-roi, chez vous, ne m’a jamais laissé totalement indifférent après ma carrière active. Je dois toutefois avouer qu’au lendemain de la Coupe du Monde 2002, j’ai quelque peu décroché. La Belgique est rentrée dans le rang à ce moment-là et j’ai plutôt focalisé mon attention sur d’autres compétitions. A partir de 2005, je me suis à nouveau intéressé de près à ce qui se passait chez vous, suite à l’avènement d’une jeune classe au potentiel intéressant, articulée autour de joueurs comme Vincent Kompany, Anthony Vanden Borre, de même que le blé en herbe du Standard, que je viens de mentionner. Sans oublier tous les autres, qui viennent de contribuer au superbe parcours des Diablotins aux Jeux Olympiques de Pékin. Mine de rien, le football belge est riche en profondeur avec des garçons tels que Moussa Dembélé, Tom De Mul, Maarten Martens et j’en passe. Le seul bémol, c’est que les formations de club profitent trop peu des qualités de ces footballeurs. La majorité d’entre eux s’épanouit à l’étranger. En cause l’argent, d’une part, mais aussi, un problème de post-formation évident. Je puis bien sûr me tromper mais je n’ai pas l’impression que des éléments comme Kevin Mirallas ou encore Sébastien Pocognoli figureraient aujourd’hui dans le viseur de clubs comme Saint-Etienne ou l’Olympique Lyonnais s’ils étaient restés en Belgique au lieu de tenter l’aventure à Lille ou à l’AZ Alkmaar. Idem pour Moussa Dembélé d’ailleurs.

Fellaini et Defour ont choisi de rester au Standard. A raison ?

Ils ont 20 ans à peine et évoluent dans un club au sommet, ce qui n’était pas le cas d’un Pocognoli ou d’un De Mul. Le plus important, à cet âge-là, est de témoigner d’une constance au plus haut niveau d’un bout à l’autre de la saison. Dès l’instant où cette régularité est atteinte, des éléments de leur trempe peuvent aller voir résolument ailleurs. A terme, je pense que des gars comme Fellaini ou Mbokani peuvent lorgner un championnat majeur comme la Premier League, où ils ne détoneraient absolument pas. D’autres ont la pointure également pour s’exprimer dans de grands championnats. Je pense à Defour, évidemment, voire Axel Witsel, Dante ou encore Onyewu. L’Américain, prêté à Newcastle United dans un passé récent, a cependant pu mesurer la différence entre la D1 belge et le championnat anglais. A l’occasion du retour à Anfield Road, ses jeunes partenaires, pour talentueux qu’ils sont, mesureront à leur tour le décalage d’une compétition à l’autre. Car c’est, bien sûr, un tout autre Liverpool qu’ils rencontreront sur ses terres. Au match aller, Benitez n’avait qu’un seul dessein : empêcher le Standard de marquer. L’homme est parvenu à ses fins, avec de la chance peut-être, mais le résultat est là. Au retour, il n’optera plus, cette fois, pour la prudence en se prononçant, comme il l’avait fait à Sclessin, pour deux demis râtisseurs avec Xabi Alonso et Damien Plessis. Ce coup-ci, il lancera directement Steven Gerrard dans la bataille avec un seul médian récupérateur dans son dos. Par là même, le duo formé de Robbie Keane et Fernando Torres sera autrement mieux alimenté. Sans compter que les Reds se surpassent toujours devant leur public. Je suis bien placé pour m’en souvenir.

 » Le Standard est plus costaud qu’à mon époque « 

Qu’est-ce qui attend les Rouches à Anfield Road ?

Au-delà des hommes, ce retour s’assimilera surtout à une lutte entre le kop local et la tête des Standardmen, si vous me permettez cette métaphore. Liverpool, c’est 45.000 voix de préférence qui vous poussent sans relâche vers le but adverse. Pour l’adversaire, il est dur de garder la tête froide dans ces conditions. A fortiori quand il est composé essentiellement de jeunes footballeurs sans planches sur la scène européenne. En réalité, l’opposant est déjà conditionné dès le couloir qui mène au terrain. Rien qu’à voir le sigle This is Anfield avant de monter sur l’aire de jeu, ça glace les sangs, croyez-moi. Il faut être fort pour conserver tout son influx dans de telles circonstances, surtout quand on découvre pour la première fois cette scène. Il n’empêche que j’accorderai quand même une cote supérieure au Standard à Anfield qu’à Sclessin. Avant le match aller, j’étais d’avis que les Rouches avaient 20 % de chances de se qualifier. Cette proportion est passée à 30 à présent. Et peut-être même un peu plus si les Liégeois parviennent à mener au score. Ce n’est pas du tout impensable dans la mesure où ils ont de la percussion sur les flancs. Décalé sur la droite, Jamie Carragher est nettement plus précieux comme couvreur. Et de l’autre côté de la pelouse, Dossena a encore tout à prouver. Pour moi, Liverpool est moins performant qu’à mon époque, lorsque je devais composer avec des monstres sacrés comme Ian Rush, John Barnes ou Alan Hansen. En revanche, le Standard est devenu plus costaud. Avec les Gilbert Bodart, Guy Hellers et autres Benoît Thans, je n’aurais pas pesé bien lourd face aux Rouches actuels.

Vous-même avez remporté votre dernier titre de champion avec Liverpool en 1990. Depuis lors, les Reds courent désespérément après cet honneur. La saison 2008-09 sera-t-elle la bonne pour eux ?

J’ai bien peur que non, même si Rafa Benitez se veut plus optimiste que par le passé à ce propos. A mon sens, Liverpool manque d’arguments, tous azimuts, par rapport à Manchester United, Chelsea et Arsenal. Quand je suis arrivé à Anfield Road à la fin des années 80, les Reds disposaient d’une équipe tout-terrain, à la page à la fois en championnat, en Coupe d’Angleterre, ainsi que sur la scène européenne. Aujourd’hui, les Liverpudlians brillent le plus souvent sur des séquences mais plus vraiment sur la longueur. En l’espace de deux décades, ils ont été confrontés d’abord au renouveau de Manchester United, suite à l’arrivée d’Alex Ferguson, puis au rebondissement d’Arsenal, sous la houlette d’Arsène Wenger et, last but not least, à la puissance tant financière que sportive de Chelsea avec Roman Abramovich et José Mourinho puis Avram Grant. Dans le même intervalle, les Reds n’ont pas suivi. D’un côté, ils n’ont plus jamais trouvé de manager du calibre de Bill Shankly, Bob Paisley ou Joe Fagan, qui avaient écrit les plus belles pages de la saga du club, même si Benitez n’est pas le premier venu non plus. De l’autre, ils ne possèdent plus, non plus, un Peter Robinson qui avait réellement le nez creux en matière de transferts. Pour moi, au lieu de transférer Robbie Keane, le club aurait été nettement plus inspiré en attirant des arrières latéraux dignes de ce nom. Ce sont eux, dans le football moderne, qui contribuent à faire le surnombre et qui se révèlent le plus souvent les premiers attaquants de leur équipe. Liverpool ne l’a pas compris et c’est la raison pour laquelle il ne doit pas se faire trop d’illusions en PremierLeague. A la fin de la saison, Manchester United, Chelsea et Arsenal le précèderont au classement. Le Standard, par contre, devrait être logé à meilleure enseigne. S’il conserve toutes ses forces vives, il sera le grandissime favori.

par bruno govers

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